Test | Pharaoh : A New Era
27 févr. 2023

Je boirai tout le Nil

Testé par sur
Pharaoh : A New Era

Tour Eiffel, Golden Gate, Taj Mahal : des crottes comparées à la pyramide de Khéops ou au phare d'Alexandrie. Certes ces Merveilles du monde ont souffert, elles, mais justement : les Bretons de Triskell Interactive et leur éditeur Dotemu vous proposent de les rebâtir comme neuves. Ils ont eu un appétit de barracuda avec Pharaoh : A New Era, remake de Pharaoh et de son extension, Cleopatra : Queen of the Nile, sortis en... 1999 et 2000. Ouch.

L'histoire

Bienvenue à Memphis, Grand Bâtisseur, puisse la déesse Isis vous prêter longue vie ! Enfin plus longue que votre prédécesseur et regretté Ammon, emporté par la malaria en même temps que cinquante archers, une bien triste affaire. Le pauvre avait recruté assez de docteurs, mais oublié les pharmacies – la boulette. Au moins il n'aura pas vécu la cuisante défaite que les Hittites nous auront infligée six mois après. Venez Votre Magnificence, ne restons pas dans le passage des porteurs d'eau. La ville s'étend au sud, loin des rives fertiles du Nil, il faut éviter que les bidons... que les nobles cabanes branlantes des ouvriers ne se retrouvent sans eau. Déjà que votre prédécesseur Djehuti avait baissé les salaires pour éviter la banqueroute et le game over...

Djehuti ? Qu'Anubis dévore son foie pour l'éternité, il avait des crocodiles dans les poches celui-là. Il a rogné sur tout : les pompiers, les architectes, les policiers (il crache par terre). Il aurait pu tenir si les dieux ne l'avaient pas foudroyé à force d'ignorer leurs pop-ups colériques. Dans sa mesquinerie, que Toutânkhamon vive mille ans, ce mécréant de Djehuti avait négligé leurs temples et leurs fêtes. 469 debens seulement pour une petite fête commune et sa vieille carcasse serait toujours là. Venez, venez Votre Sérénité, voici Iah le chef du chantier, il attend des briques pour finir la mission en cours. Où en étions-nous... ? Ah, c'est le dieu Ptah qui a eu la peau de Djehuti : le grenier s'est effondré sur sa tête en pleine inspection, on aura perdu un pingre et tout notre stock de pois chiches. Comme quoi les dieux ont aussi de l'humour, Votre Sagacité. Puissiez-vous bâtir la grande pyramide de notre bien aimé Pharaon à temps et en ayant appris de leurs funestes erreurs... ! Voici Iah, vous êtes entre de bonnes mains. Adieu, les scribes attendent leur école, l'encyclopédie est loin d'être finie... Les Grands Architectes comme vous en sont réduits à googler des aides en ligne qui datent de 1999 AVJC – quelle infamie. N'oubliez pas les briques, Votre Magnificence ! Et les temples !
469 debens pour fêter le dieu Ptah ? Qu'il attende la moisson… !

Le principe

Les calques permettent de voir quels bâtiments sont privés de services (eau, soins, etc.).

Les jeux de gestion, vous connaissez. Vous avez fini Sim City sur Super Nintendo, Anno 1503 et toutes ses suites, ce n'est pas un gros désert et un petit fleuve qui vont vous impressionner. Vous commencez sur une carte vide et vous découvrez le dilemme de tout grand bâtisseur qui se respecte : l'op-ti-mi-sa-tion. Pharaoh : A New Era s'appuie sur trois principes simples : les maisons monopolisent quatre tuiles sur la carte, doivent être reliées à une route et sont alimentées par des agents (pompiers, porteurs d'eau, médecins, etc.) qui parcourent 40 tuiles par jour. Voilà. Débrouillez-vous. Vous avez une pyramide à construire et le droit de vous endetter jusqu'à moins cinq mille debens maximum.

Alors vous commencez à construire des maisons, des taudis aux besoins primaires. Vous faites l'erreur classique : des blocs à l'américaine, alternant résidences et services. Vous cherchez la nourriture : les berges fertiles du Nil, un casse-tête à aménager vu que les routes ne passent pas partout. Vous suivez docilement le tutoriel revu et corrigé en installant les greniers à proximité. Une demi-heure passe, puis une heure, vous gérez un incendie et un début d'épidémie (détruire le bâtiment contaminé règle temporairement le problème). Vous avez oublié votre objectif de mission depuis longtemps : créer une école de scribes. Vous bâtissez les temples pour que les dieux arrêtent de vous envoyer des malus, acceptez une ligne de crédit car oups, vous étiez dans le rouge, et vous en êtes à ajouter des statues de chat et des jardins à votre gloire quand un vilain pop-up s'affiche : game over. Moins cinq mille debens. Hein ? Quoi ?
L'argent, le nerf de la construction

Le gameplay

Mes toilettes privées, 150 hectares. Je ne suis pas Alexandre Le Grand pour rien.

Alors ça les pop-ups, vous allez en bouffer. Vous allez crouler sous les notifications secondaires qui interrompent votre action en cours, là où les city builders récents affichent une petite icône explicite (et temporaire) dans un angle. Et ce alors même que vous êtes en train de faire faillite sans le savoir... Car qu'est-ce que ces pop-ups intrusifs vous apprennent ? Osiris n'est pas content, il faut lui dédier une fête ou un temple. Bien. Votre palais flambant neuf a été dévalisé par des voleurs, il faut plus de policiers et de journaux de droite. Bonne ambiance. La crue va se produire début septembre et vous avez des champs de pois chiches vides faute de main d'œuvre. Ah. Un pop-up, quoi encore ?! Bastet est jalouse, vous n'avez d'yeux que pour Ptah ?!

Elle attendra la chafouine. Et allez, une épidémie à gérer. Tiens d'ailleurs, ce quartier bourgeois avec des temples, des jongleurs et des statues est devenu un squat. Vérifions les calques... Horreur. Vous avez dépassé la limite des sacro-saintes 40 tuiles. Multiplié les blocs. Les intersections. Bilan ? Les architectes ne visitent plus les quartiers nord, pareil pour les médecins, les pompiers n'en parlons pas. Vous devez raser un bloc pour construire casernes et pharmacies. Oui mais voilà : les dépenses galopent, les rentrées d'argent se tarissent. Vous entendriez presque le souffle rapiat de Djehuti sur votre nuque. Allez-vous finir comme lui, enseveli sous les décombres et les pois chiches pour avoir négligé tel dieu, tel service faute de debens... ?
Osiris est furieux, Bastet jalouse et les pop-ups déceptifs

L'interface

Les écrans Ultrawide ne sont pas supportés au lancement. Merci les mods.

Relancer une partie d'Anno 1800 permet de mieux comprendre ce que vingt ans de city builder ont apporté au genre. L'interface n'a plus rien à voir. Dans ce Pharaoh : A New Era qui ripoline magnifiquement l'original de 1999, il faut se battre pour avoir accès aux informations essentielles. De combien de ressources disposez-vous ? Est-ce assez pour nourrir la population ? Faut-il importer, et si oui de combien ? Où en sont les finances ? Quel est l'impact des hausses d'impôt ? Et des baisses de salaire ? Pourquoi ce chantier est à l'arrêt malgré l'importation des briques... ?

Autant de questions qui vous obligent à multiplier les clics sur des calques, des chefs voire même des bâtiments. Si l'interface a été simplifiée et que les Français de Triskell Interactive ont abattu un boulot monstrueux, certains archaïsmes de 1999 demeurent. Malgré la quinzaine d'améliorations fonctionnelles et optionnelles visant à alléger la micro-gestion (recrutement simplifié, copié-collé de bâtiments, etc.), il est impossible de lutter avec des jeux vendus trois fois plus chers et ayant bénéficié du travail de centaines de développeurs. Soyez-en conscient : Pharaoh : A New Era convoque les souvenirs du passé avec des visuels entièrement retravaillés par de talentueux artistes, dont le directeur artistique Guillaume Rousselot et la graphiste Leslie Bigo. Des souvenirs sublimés qui ont tendance à faire oublier que les city builders rustiques d'antan n'ont bien sûr pas le confort des modèles dernier cri d'aujourd'hui.
L'amour est aveugle, la nostalgie aussi

Pour qui ?

Les batailles automatisées ne reposent que sur la production. Vivement des améliorations (prévues).

Quand vous commencez une partie le soir, que vous levez le nez de l'écran pour regarder l'heure en vous disant « je rajoute un quartier et j'arrête », et que brusquement il est deux heures du matin, c'est que les fondations sont solides. Pharaoh : A New Era ne déçoit pas. Que vous fortifiez un camp militaire en vue de batailles imminentes ou que vous développiez paisiblement une méga ville en mode bac à sable, le temps passe à toute vitesse. Il y a toujours à faire. Un truc à améliorer, un événement imprévu ; et ce city builder est tellement bon vingt ans après que vous serez rarement tenté d'accélérer le temps comme dans beaucoup d'autres plus récents (coucou Jurassic World Evolution). Alors certes il manque des informations clefs, les combats automatiques et l'éditeur de cartes sont encore en chantier à la sortie mais peu importe : le plaisir, et la magie de l'Égypte antique, sont parfaitement retranscrits. Les fans de Doom avaient leurs boomer shooters comme le redoutable Prodeus. Ceux de Pharaoh ont maintenant leur boomer builder de référence.
Les city builders d'antan : la nouvelle coke des boomers

L'anecdote

Plus vous multipliez les intersections, moins vos services sont efficaces.

L'Hyperloop d'Elon Musk, vous connaissez ? Certains fans de Pharaoh : A New Era aussi. En cherchant sur YouTube la façon la plus efficace de créer des blocs résidentiels, je suis tombé sur ce conseil de Tacticat : créer un quartier aussi ovale que possible, avec les services et les temples au centre et les résidences en périphérie. Le tout fermé par un barrage routier qui empêche les médecins, les pompiers, etc. de sortir du quartier. Résultat ? Ils font leurs patrouilles de 40 tuiles en circuit fermé, visitant chaque maison au passage et maintenant tous les taquets de bien-être au maximum. Avec quelques jardins luxueux à l'extérieur, vous obtenez (et gardez) les résidences les plus prestigieuses de la cité. La solution parfaite... ? Oui, sauf qu'il faut construire ces Hyperloops sur au moins un segment fertile pour avoir un point d'eau à l'intérieur. Ce qui n'est pas toujours facile selon les cartes. Voilà qui va encore m'empêcher de dormir quelques heures ce soir...


Si Elon Musk avait bâti Men-Nefer…
Les Plus
  • L'Égypte antique, sublimée
  • Des mécaniques de gestion indémodables
  • Un bon rythme et des nouveautés régulières
  • Énorme durée de vie avec 50 missions et un bac à sable
Les Moins
  • L'interface améliorée garde des archaïsmes de 1999
  • Des batailles automatiques ternes, en attendant les patchs
Résultat

Quel bonheur. Pharaoh : A New Era nous replonge tête la première dans le pot de confiture, quand les city builders n'avaient pas peur d'innover et de jouer la carte du dépaysement. De s'émanciper des jeux de stratégie si populaires, quitte à marcher maladroitement sur leurs plates-bandes avec des combats simplifiés. La petite équipe de Triskell Interactive a fait un travail formidable sur les graphismes et les mécaniques de jeu pour rendre aux cinquante missions du jeu original et de son extension leur lustre original. Comme Command & Conquer Remastered, c'est un must pour les fans indécrottables du hit de 1999.

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