Test | Grand Theft Auto 4 : l'Amérique, je la veux et je l'aurai
03 juin 2008

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Grand Theft Auto 4

Non, Grand Theft Auto 4 n'est pas seulement une simulation de gangster. Réduire ce jeu à l'attente qu'il a suscitée, à ses chiffres de vente faramineux ou à ses scandales serait également caricatural. Grand Theft Auto 4 raconte avant tout une histoire, celle d'un immigré qui découvre l'Amérique sous son jour le plus terrible, le plus crade, le plus sombre. Grand Theft Auto 4, c'est la relecture de ce pays qui fascine, l'Amérique, à travers une de ses villes les plus emblématiques : New York, rebaptisée Liberty City. C'est autant l'histoire d'un paumé qui cherche à se refaire que l'histoire d'une ville gangrenée par le crime et la luxure, la violence, la folie des hommes. C'est dans les creux de cette série noire qu'il faut chercher le vrai charme de GTA, plus que dans les interactions incroyables que le jeu propose. Car c'est précisément cette peinture terrible et délirante qui distingue ce titre follement ambitieux de la masse informe de ses concurrents.

Dans la dèche

Les premières heures de Grand Theft Auto 4 sont presque décevantes. En débarquant en ville dans la peau de Niko Bellic, ne vous attendez pas à commencer d'emblée par des fusillades monstrueuses, par des courses poursuites endiablées ou par des véhicules rutilants. Le jeu commence par installer un cadre sordide et déprimant : les bas-fonds de Liberty City, la famille pitoyable de Niko, le mode de vie américain côté lose. Votre première mission ? Ramener votre cousin bourré à domicile, une chambre crade envahie par les cafards... D'emblée, le ton est donné : Niko se dispute avec son cousin, lui reproche ses mensonges, critique l'Amérique, le rêve américain... Lui qui croyait vivre comme un pacha découvre le métier de coursier. Lui qui pensait mater des filles en bikini au bord d'une piscine, comme dans les séries TV américaines, doit... lever lui-même une fille ! Débrouillez-vous pour en raccompagner une, obtenir son numéro, sortir avec elle, voire si tout se passe bien coucher avec. Quitte à lui mentir sur vos activités de plus en plus crapuleuses, histoire de lui dire ce qu'elle veut bien entendre. Grand Theft Auto 4, un jeu où on écrase les flics... ? Pas vraiment. C'est plus une simulation de vie urbaine, orientée drague et racket, avec quelques répliques bien senties sur la différence entre le rêve et la réalité. Entre la réputation de l'Amérique et ce qu'elle est vraiment...

Liberty City, cet asile de fous

Les caïds sont tous plus tarés les uns que les autres.

C'est avec le meurtre du premier caïd que les choses sérieuses commencent. Le scénario décolle enfin, Niko révélant à son cousin les vraies raisons de sa présence sur le sol américain. C'est à aussi que le personnage de Niko prend plus de relief : son passé, les guerres d'Europe de l'Est, l'envie de rédemption apparaissent en filigrane... puis disparaissent. Très schématiquement, voilà la structure de Grand Theft Auto 4 : les missions annexes sont là pour gagner de l'argent, elles servent de prétexte à une galerie de personnages hauts en couleur. Le body builder débile qui se shoote à la testostérone de requin (!), le rasta parano qui vit dans un brouillard de marijuana permanent, le mafiosi drogué qui tire sur tout ce qui bouge... Plus c'est gros et mieux c'est. Au point que le jeu lorgne parfois plus vers les Scary Movie que sur des films comme Les Infiltrés ou Les Affranchis. Mais c'est là que ce Grand Theft Auto 4 est le plus drôle, tout en restant profondément cynique : malgré son ambiance noire et sordide, chacun en prend pour son grade. Tout le monde y passe : les blancs, les blacks, les riches, les pauvres, toutes les communautés, tous les stéréotypes... Mais il faut progresser dans les missions principales, celles qui sont confiées par les parrains locaux, pour que l'intérêt décolle vraiment. Pour que le scénario, au lieu de se disperser dans cette nébuleuse de portraits critiques de la société occidentale, parano et dépravée, suive Niko Bellic dans son ascension vertigineuse.

La quête de puissance

Ne vous attendez pas à piloter bateaux et hélicos tout de suite...

Vous commencez dans une chambre minable. Votre cousin est un minable. Vous avez levé une fille, mais c'est presque votre seul exploit : rassurez-vous, les choses vont changer. Votre personnalité atypique, votre brutalité, votre cynisme, vont vous rapporter gros. D'abord en vous faisant gagner l'estime des fous furieux qui sont vos plus gros commanditaires. Ensuite en vous amenant à les tuer... Cette ligne directrice immuable, vite repérable, brosse un portrait impitoyable de l'arrivisme. Il y a du Tartuffe chez ce Niko Bellic. Et c'est ça, cette fièvre du sang, qui va vous accrocher réellement et définitivement à Grand Theft Auto 4. L'envie d'avoir des armes, des vraies : pas ce pistolet minable que vous touchez au bout d'une bonne heure de jeu. Des Uzi par exemple. Ou ce lance-roquette que vous trouvez chez un marchand d'arme, mais que vous ne pouvez pas acheter. Pour l'instant. L'envie de conduire des véhicules plus puissants aussi. Des motos. Des bolides. Des hélicos, des bateaux... L'envie de vous sortir avec de vraies femmes enfin, au lieu de cette Michelle insipide. Quitte à les draguer sur Internet, à leur offrir un rencard... et à mieux vous habiller pour l'occasion. Fini le survêtement et les sorties au KFC local. Place au club de strip-tease et à ses back room où Niko bave devant "les vrais nichons américains" (texto). Plus de violence. Plus de fric. Plus de sexe. Plus de puissance. Plus de respect. Plus d'estime de soi, à force d'amasser des armes, des voitures, des prostitués... Le message implicite de ce Grand Theft Auto 4 se trouve là, en filigrane : finalement, est-ce que ce n'est pas ça le rêve américain ? Et au-delà, le rêve occidental ?

Moins qu’un film, plus qu’un jeu

Un conseil : ne vous fiez à personne...

Evidemment, Grand Theft Auto 4 reste un jeu. De même qu'il ne faut pas le réduire à ses scandales, il ne faut pas non plus voir en lui davantage qu'un jeu vidéo. Un jeu où tout est possible, sans que tout soit permis. Un jeu surtout avec ses bugs, encore et toujours. Comme ces corps qui passent à travers les décors. Ces voitures qui restent plantées dans un mur et vous obligent parfois à relancer une mission... Un jeu avec ses modes multijoueur aussi, originaux, marrants, mais pas toujours équilibrés. Avec son contenu additionnel pour la Xbox 360 aussi. Un jeu avec des graphismes agréables mais pas aussi impressionnants qu'on pouvait s'y attendre sur next gen, notamment à cause de la modélisation des personnages. Leurs bouilles patibulaires et expressives gardent le côté polygonal de la PlayStation 2. Caricaturales, elles restent clairement en deçà de ce qui se fait de mieux actuellement : il ne fallait pas jouer à Mass Effect ! Et surtout, Grand Theft Auto 4 reste un jeu où il est possible de ne rien faire. De se balader en ville et de piquer une belle caisse, pour le plaisir de s'offrir une virée. D'appuyer sur l'accélérateur jusqu'à la perte de contrôle du véhicule, la physique étant remarquable. De provoquer les flics, pénibles mais pas trop durs à semer. Bref, de faire tout ce que Grand Theft Auto 4 permet en marge de l'histoire qu'il propose et de sa vision terrible de l'empire occidental : s'amuser d'un rien, tout bêtement.
Les Plus
  • Une relecture de l'Amérique et de l'Occident au vitriol
  • Le scénario, les personnages
  • L'impression géniale d'évoluer dans une vraie ville, dans une vraie vie
  • Le moteur physique, les modes multijoueur
Les Moins
  • Encore et toujours des bugs
  • La modélisation sommaire des personnages, les visages polygonés
Résultat

Vous aimez les fusillades ? C'est bien. Les exécutions sommaires ? Encore mieux. Les courses-poursuites comme dans les bonnes séries américaines ? Nickel. Et les filles faciles ? Les embrouilles ? Les garces ? L'argent sale ? Le car-jacking ? Parfait ! Grand Theft Auto 4 est pour vous. Mais est-ce que vous aimez aussi rire jaune, dans votre canapé, quand un débile profond qui agite un revolver aussi gros que son bras vous paraît vaguement familier... ? Quand un jeu vidéo, aussi marrant soit-il, vous donne brusquement l'impression d'une proximité peut-être pas si agréable ? Parce que c'est surtout ça, Grand Theft Auto 4 : le jeu de tous les excès, de toutes les provocations, notamment celle qui consiste à cracher dans la soupe. Dans la vôtre. Vous êtes occidental. Vous rigolez des américains. Mais il y a dans ce jeu, au détour d'un dialogue, dans ses missions secondaires, dans ses possibilités incroyables – regarder des séries débiles à la TV ou draguer sur Internet ! – un arrière goût franchement acide. Un miroir grossissant, déformé, caricatural certes, mais un miroir quand même, qui va vous renvoyer le reflet crapuleux de votre société cynique. C'est précisément pour ça que certains adorent GTA. Et que d'autres le détestent...

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