Test | Wartales : Pirates of Belerion
15 janv. 2024

Coeur de Pirate

Testé par sur
Wartales : Pirates of Belerion
  • Éditeur Shiro Games
  • Développeur Shiro Games
  • Sortie initiale 14 déc. 2023
  • Genres Rôle, Stratégie tour par tour

« Way hay and up she rise! Way hay and up she rises! Way hay and up she rises! Early in the morning ». Si vous commencez à chantonner en rythme et que votre langue sèche réclame du rhum, c'est que vous êtes prêt à mettre en wishlist Pirates of Belerion, l'excellent DLC du redoutable Wartales. Oui, ce DLC coûte presque aussi cher que le jeu de base, nécessaire pour le faire tourner. Oui, il vaut chaque écu demandé. Asseyez-vous sur le pont, matelot, poussez notre sanglier promu Lieutenant, et écoutez Inghad raconter les glorieux débuts du gang des Claque-Marauds.

L'histoire

Pirates of Belerion rappelle Fallout, le premier. Ou The Banner Saga, plus récemment. Comme dans ces deux jeux, vous démarrez cul nul dans la pampa alors que des gueux en haillons vous attaquent immédiatement, dans des combats au tour par tour vus de dessus ("à l'isométrique", selon la formule consacrée). Et comme dans ces deux chefs-d'œuvre, à peine victorieux, vous reprenez votre route péniblement sur une carte qui réserve embuscades, rencontres aléatoires et décisions cruelles. Faut-il achever ce paysan atteint de peste, à la demande de sa femme éplorée ? Quid du père de famille fou de rage qui a massacré les assassins de sa fille et erre désormais à côté du moulin, couvert de sang ? Et de la propriétaire de cette scierie qui exploite des esclaves dans sa cave ?

Aucune décision n'est bonne dans ce jeu de survie – chaque marche, chaque jour entame vos réserves de nourriture et votre bourse. Le ventre vide, les poches vides, vos compagnons d'un jour peuvent décider d'abandonner le groupe. Et qui vous défendra alors si vous tombez sur une meute de loups au détour d'une forêt ? Avoir des grands principes chevaleresques c'est bien, mais manger à sa faim le soir c'est mieux. Alors parfois, il faut penser à vos compagnons d'infortune pour survivre une journée de plus. Abattre la femme qui demandait le gîte à un propriétaire buté, moyennant finances. Bref, embrasser la main que vous auriez préféré couper.
La fin du monde ou la fin du mois : Wartales vous force à choisir à chaque pas

Le principe

La piraterie renouvelle complètement le look et le gameplay.

Ou mettre le cap au sud. C'est ce que propose ce DLC, Pirates of Belerion. Moyennant 200 pièces et un peu de bois, vous retapez une épave située au sud de la zone de départ et là, le jeu change complètement. La beauté de la mer, la chaleur du soleil qui enflamme les dunes, les palais orientaux... Tout traîne un parfum poivré de pays inconnus et d'éternels étés où l'on s'étripe presque nus sur les plages. Ça change de la campagne et de sa gadoue. En fait, c'est tout le jeu qui évolue. En bateau il faut tenir compte du vent pour se déplacer plus vite (les poneys du jeu original n'étaient pas aussi exigeants), esquiver les premiers bateaux pirates, le temps de monter en puissance pour les affronter. Développer un nouvel arbre de compétences dédié, pour voguer plus vite par exemple. Tenir compte des tempêtes et des récifs qui abîment la coque et les voiles. Et explorer une carte aussi grande que le jeu de base, avec ses îles mystérieuses et ses reliefs traîtres – dans lesquels les plus téméraires peuvent s'aventurer pour looter des navires coulés, au risque d'abîmer leur coque. Pas de directives, de flèche à suivre ou même de scénario : comme dans le jeu original, vous créez votre propre histoire au fil des rencontres. Quel bonheur de ne plus suivre un marqueur tout le temps.

Plus vous explorez, combattez et aidez (ou décimez) la population locale, plus vous gagnez en prestige. Vous grimpez régulièrement dans le classement des Seigneurs des Mers, mieux équipés que vous, et qui apparaissent sur la carte quand vos followers TikTok dépassent les leurs (en gros). Les affronter vous donne des cartes au trésor et du bon loot, comme un nouveau sabre pour votre propre Capitaine. C'est un vrai plaisir d'explorer, de tomber ici sur un châtelain suicidaire qui veut restaurer le nom de sa famille en explorant une zone mortelle, là sur une prison avec un... varan à recruter. Promu à la vigie, il poussera des grognements pour indiquer la présence de loot ou de menaces "direction sud-ouest". Oui, c'est n'importe quoi, et oui, c'est drôle. Ce jeu est souvent sordide (esclavagisme, cannibalisme, combats illégaux en arène, la liste est longue) et heureusement souvent fun (comme ce sanglier promu Lieutenant "par l'ensemble de l'équipage", et qui dort maintenant avec les matelots sur le pont).
Ce n'est pas le sanglier qui ronfle le plus fort, d'après un matelot au réveil

La difficulté

Si votre attaque aérienne est un succès, vous éjectez plusieurs ennemis par-dessus bord.

Tout n'est pas rose pour autant dans le petit monde de Pirates of Belerion, loin de là. La difficulté est brutale, et des erreurs de gestion faites plusieurs heures auparavant peuvent se payer cash très tardivement. Certes c'est un choix clivant, mais n'est-ce pas mieux que ces jeux modernes au gameplay simpliste où les fenêtres explicatives apparaissent pourtant en permanence... ? Les aides sont succinctes, même en ligne (cette vidéo vous aidera à démarrer). Si vous dépensez trop vite votre or dans des améliorations du bateau au point de rater la paye, vous aurez des mécontents ou des déserteurs sur le dos. Si vous recrutez trop dans les tavernes ou les prisons, vous allez temporairement rouler sur vos ennemis en sous-nombre... avant de vous retrouver sans vivres pour les bivouacs. Et même si vous gagnez un combat, une équipe amochée a besoin de soins, un bateau de réparations... la spirale de la défaite vous pousse vite à la faute. Et là recharger une partie fait perdre parfois quelques heures, pas juste quelques minutes, le temps de revenir à un moment pivot, à une décision bénigne sur le moment et pourtant fatale plus tard. Au point de vous encourager presque à recommencer une partie de zéro, fort de votre expérience nouvelle.

Et c'est là que ce DLC, comme le jeu original, offre une expérience à géométrie très variable selon deux gros critères de départ : la difficulté choisie, et la mise à l'échelle ou pas du niveau des ennemis. Si vous partez sur un jeu trop facile, l'intelligence artificielle n'offre aucun challenge. Lors des abordages, les ennemis deux à trois fois moins nombreux n'utilisent même pas les cordes, pourtant vitales pour pousser les ennemis à l'eau. À l'inverse, dans le mode de difficulté le plus violent, ou quand vous atteignez le "end game" à partir du niveau 10, les ennemis sont capables de vous brûler, empoisonner, saigner, désarmer, etc. Parfois tout en même temps ! C'est comme ça que notre vaillant sanglier, affectueusement surnommé le Tank à cause de ses points de vie, a fini en barbecue. Surtout, si vous démarrez une nouvelle partie ou que vous attaquez directement avec le DLC, ce qui est tout à fait possible, il faut désactiver la mise à l'échelle des ennemis. Pirates of Belerion a été conçu pour les joueurs de niveau 10 ou plus, au point qu'un groupe de vulgaires varans peut croquer toute votre équipe de bleus dès la deuxième île. Avec la mise à l'échelle en revanche, ces mêmes varans font moins les malins, bloqués au même niveau que vos aventuriers du dimanche. Vous pourrez leur jeter des oursins de loin et les voir se blesser en marchant X fois dessus bêtement. Le jour et la nuit, en terme de plaisir de jeu. Le prochain mur de difficulté viendra des ennemis en armure, puis de sirènes, mais vous aurez gagné en expérience d'ici là.
Une bête erreur de gestion peut entraîner une spirale de défaites quelques heures plus tard

Pour qui ?

Il faut souvent prendre parti avec très peu de contexte. Au risque de faire un mauvais choix...

Si vous aimez les jeux de pirate, ce DLC vaut chaque euro réclamé. Pirates of Belerion est généreux avec sa carte immense, passionnant avec ses gueux et ses princes ciblés par les pirates, et dangereux comme l'autoroute du sud un jour de départ en vacances. Au-delà de ses mécaniques bien huilées, son redoutable triptyque survie-exploration-combat, il continue de poser une ambiance incroyable. Visuellement plus chatoyant avec ses plages, ses lagons, ses squelettes assis sur des cartes au trésor, ce DLC solaire est souvent en décalage avec la noirceur des décisions qu'il vous force à prendre. Votre boussole morale va être secouée, la faute à un aspect survie paramétré au cordeau qui vous oblige à comparer scrupuleusement chaque récompense avant de faire un choix ; et pas seulement la moralité de chaque demande. C'est la leçon à retenir avec ces jeux retors aux graphismes choupis. L'habit ne fait ni le moine, ni le pirate.
Sous le soleil, vos cadavres

L'anecdote

Les insultes des Seigneurs des Mers indiquent quelle attaque ou défense ils préparent.

Ce n'est pas parce que vous avez un rafiot que vous pouvez tirer sur tout ce qui bouge d'emblée ; couler les bateaux pirates croisés ; et enlever la fille du gouverneur. Votre cercueil flottant n'a aucun moyen d'attaque au début, et en attendant de trouver comment lui ajouter une baliste, il va falloir survivre. Le meilleur moyen est de fuir lâchement. Si ça ne marche pas, plan B : il faut éperonner les pirates qui vous canardent – le combat passe alors au tour par tour sur le pont des navires. Grosse nouveauté, vous pouvez faire passer les ennemis par-dessus bord avec certaines attaques qui les repoussent, ou avec les cordages qui permettent des attaques en piqué – à condition de perdre un tour, pendant lequel votre cible peut se déplacer.

C'est fun, très tactique quand il s'agit de récupérer un des vôtres suspendu dans le vide, et cela renouvelle considérablement les combats avec des planches d'abordage étroites et donc hyper dangereuses (en tout cas quand l'IA n'est pas bridée par un niveau de difficulté trop bas). Le clou ? Aborder un Seigneur des Mers déclenche un combat à base d'insultes, vague clin d'œil à The Secret of Monkey Island. C'est un pierre-papier-ciseaux qui change un peu et qui se conclut par l'embrochage en bonne et due forme de votre rival, avant le pillage en règle de son vaisseau. Chacun d'entre eux laisse une carte au trésor, comme par exemple une île en forme de canard avec une croix – mais bon, là je pense que je me suis fait troller.
Devenez Calife à la place du Calife
Les Plus
  • Le sous-texte du jeu : survivre un jour de plus en meute, en essayant de garder une boussole morale
  • Les mécaniques de survie bien dosées : vous n'aurez jamais assez d'or, de vivres ou de matériaux pour être serein
  • Le plaisir de la découverte, avec très peu de didacticiels et de consignes – ça change des triple A simplets et pourtant ultra directifs
  • La réalisation : la mer, le sable, le soleil et ces saletés de varans
  • L'humour qui affleure, entre deux décisions horribles
  • Une MAJ gratuite en plus du DLC avec nouvelle classe, compétences, ennemis, objets et apparences
Les Moins
  • DLC très complexe et peu explicite : il ne faut pas avoir peur de tâtonner et de galérer un peu au début pour les nouveaux
  • Les balistes c'est bien, les canons c'est mieux
Résultat

Vous aimez les jeux de pirate ? Parfait, Pirates of Belerion est fait pour vous. Quel bonheur de retrouver les sensations du Sid Meier's Pirates !, ses effluves de sable et de sang chauds. Car le sang coule, et pas qu'un peu : les combats sont âpres, à la fois en mer et sur la terre ferme, tandis que le monde de Wartales reste incroyablement violent sous ses graphismes chatoyants. Certains malheureux rencontrés, certaines décisions prises, vous hanteront longtemps, même après avoir massacré le dernier Seigneur des Mers. Une victoire teintée de misère, pour un des meilleurs jeux de rôle du moment – pas seulement pour la complexité de ses mécaniques, la variété de ses situations et la solidité de sa réalisation. Mais bien pour les messages en creux qu'il fait passer. Pour ce monde magnifique et cruel où seuls les plus pragmatiques survivent.

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