Test | Starfield
10 sept. 2023

Brillant et brouillon

Testé par sur
Aussi disponible sur
Starfield

L'espace, frontière de l'infini vers laquelle voyage notre vaisseau spatial. Sa mission : explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d'autres civilisations. Au mépris du danger (et des bugs), avancer vers l'inconnu. C'est ce que propose Starfield, la nouvelle franchise événement de Bethesda.

L'histoire

Ce n'est pas votre jour. De corvée dans une mine, vous touchez un artefact alien qui vous déglingue le cerveau. Vous êtes attaqué par des pirates. Un explorateur vous prête son vaisseau. Vous survivez de justesse à un combat spatial. Et vous finissez embrigadé par une secte de frappadingues qui se font appeler "Constellation". Cela vous semble compliqué ? Il ne s'agit pourtant que du premier contact avec Starfield, un jeu d'action et d'exploration spatiale.
Extraction de ressources, combat au sol, dans l'espace : la première heure est un condensé du reste

La promesse

Le dépaysement est total. Reste que le contenu aléatoire est ultra répétitif.

Dans la grande lignée des jeux Bethesda, vous faites tout ce que vous voulez, dans l'ordre que vous voulez. Comme explorer de nouveaux systèmes solaires après moins d'une heure de jeu, dès que vous récupérez le vaisseau de Constellation. Créer des avant-postes comme dans Fallout 4. Farmer des ressources – beaucoup. Faire de la contrebande. Combattre des pirates – ou les rejoindre, en passant par la case prison. Acheter, voler, modifier votre propre vaisseau, brique par brique. Débloquer un arbre de compétences pour améliorer l'efficacité de votre jetpack, de vos armes. Pour crocheter des serrures. Ou encore scanner la faune et la flore locales.

Sur le papier, la promesse est de taille : Starfield est un jeu d'action, d'exploration, de craft, de construction, etc., sur des dizaines et des dizaines de systèmes solaires très différents. Et ça marche. Ce jeu peut vous happer comme un trou noir. Vous pouvez engloutir des dizaines d'heures de jeu, que ce soit pour réunir les 279 425 crédits nécessaires à l'achat d'un vaisseau "Shieldbreaker" ou pour faire toutes les missions d'une des factions choisies – chacune rapportant entre 2 000 et 5 000 crédits. Le revers de la médaille, c'est que chacune de ces propositions montre vite ses limites.
Vous êtes libre de faire ce que vous voulez après moins d'une heure de jeu

L'espace temps

Le jeu vous incite à ne voyager que via la carte stellaire, sans utiliser votre vaisseau.

L'exploration spatiale est hyper décevante. Contrairement à Rogue Galaxy ou bien sûr Elite : Dangerous, vous passez très peu de temps dans votre vaisseau. Le jeu vous encourage à consulter les quêtes actives pour vous téléporter instantanément. Vous venez de récupérer un artefact à ramener à votre base ? Sur PC vous appuyez sur "J" pour afficher vos quêtes, "R" pour voir la destination, "X" pour vous y téléporter. Et vous passez en vingt secondes de chargement à peine de la surface d'une planète paumée au fin fond de la galaxie aux portes de la Loge, le QG de Constellation. À aucun moment vous n'avez vu votre vaisseau. Ni la moindre cinématique d'ambiance.

Cette compression de l'espace ne donne pas l'impression d'explorer, de voyager. Même dans les coins les plus reculés de la galaxie, vous trouvez une mine abandonnée, un complexe scientifique, bref une présence humaine – à chaque fois la même, copiée-collée jusqu'au contenu des emails dans les ordinateurs. La faune locale est rarissime. C'est la limite du contenu généré de façon aléatoire : le photocopieuse s'emballe et passées les vingt premières heures de découvertes, magiques, l'ennui s'installe. Surtout quand pour la dixième fois un vaisseau de pirates se pose à côté du votre dès que vous débarquez sur une planète. Puis redécolle, laissant cinq ennemis sur place, immobiles, pour le cas où vous iriez dans cette direction. Où est l'immersion ? Le sens de la solitude, de l'étrangeté, de l'inhabituel ?
Avec son contenu aléatoire, Bethesda privilégie la photocopieuse

La réalité

La surcouche RPG avec ses défis de compétence absurdement élevés est un ratage complet.

Bethesda suit l'école Ubisoft : toujours distraire le joueur. Lui montrer quelque chose toutes les deux ou trois minutes, même s'il l'a déjà vu mille fois. Il y a toujours un point bleu à suivre, un appel de détresse, une téléportation pour enchaîner les missions, l'XP, les ressources, le loot. Et dans une certaine mesure, ça marche : ce que le jeu perd en immersion, il le gagne en boucles de gameplay. Vous serez tenté de faire une mission de plus, puis une autre encore, pour récupérer telle ressource indispensable au craft, ou quelques crédits pour votre futur vaisseau ; jusqu'à rester collé à votre écran cinq heures d'affilée. Sans même vous en rendre compte... et sans forcément être satisfait pour autant. Car le grind omniprésent est excessif, comme dans un Assassin's Creed. La gesticulation, la multiplication des ressources et du loot, ne meublent qu'artificiellement la répétitivité. C'est le fast-food du jeu vidéo, sucré, addictif. Vite mangé, vite oublié.

Ce qui est vrai pour l'exploration l'est aussi pour la création de bases. Ce qui suppose de grinder, beaucoup – le nombre de ressources à réunir est astronomique. Leur collecte redondante à l'absurde : fer, aluminium, tungstène, cuivre, béryllium... tout le tableau périodique des éléments va remplir vos soutes. Pire, il faut accumuler les points d'expérience ET remplir certaines conditions précises. Vous voulez crocheter des serrures ? Le premier niveau ne coûte qu'un point de compétence. Pour le second, il faut d'abord crocheter cinq serrures pour ensuite dépenser un deuxième point de compétence. Dès le troisième, il faut crocheter TRENTE serrures. Problème : il n'y a pas assez de serrures dans la campagne solo, qui dure une vingtaine d'heures, pour débloquer le troisième palier... Même chose pour améliorer les armes de votre vaisseau, au point qu'il faut passer par un simulateur de combat pour débloquer des paliers. Absurde.
Pour chaque type de gameplay proposé, une constante : le grind abusif

Le dilemme

Le jeu récompense très mal l'exploration non violente. Le grind pour tout scanner est insupportable.

Clairement, Starfield va cliver. Il est tout à fait possible de se passionner pour son univers richement détaillé. L'arrivée dans le cockpit du premier vaisseau, l'impression de débarquer dans un habitacle qui a vécu, qui a appartenu à quelqu'un d'autre, laisse une impression durable qui se confirme par la suite. Certaines missions, certaines rencontres, certaines histoires sont bluffantes et posent de vrais enjeux – comme ce vaisseau colonial parti il y a 200 ans et qui découvre que la technologie, ainsi que sa destination, ont radicalement changé entre temps. Et puis il y a les rencontres aléatoires, ces Marines que vous recroisez entre deux voyages interstellaires et qui vous donnent des nouvelles de PNJ que vous avez aidés quatre heures plus tôt... Cette mamie de l'espace qui vous invite à déjeuner à bord de sa passoire... Ce couple qui s'engueule parce qu'il s'est perdu avec son vaisseau de location et qui vous demande de prendre parti pour le mari ou son épouse... Dans ces moments-là, assez nombreux au final, Starfield rend l'espace vraiment vivant.

Et puis le jeu a sa part d'ombre : pour chaque qualité, son défaut. Vous développez les compétences d'infiltration ? Une mission taillée sur mesure vous demande de voler un artefact à un collectionneur... avec un level design inadapté. Le tout premier ennemi que vous croisez fait face à la toute première porte du jeu, grillant toute tentative d'infiltration. Génial. En fait, le jeu est englué dans l'héritage de Skyrim et de Fallout 4, avec les limitations de leurs moteurs archaïques : IA sommaire, moteur physique souvent pris en défaut (morceaux de décor ou cadavres qui dansent sur place, un grand classique), ou encore scripts qui ne se déclenchent pas. Surtout à la fin de la campagne solo, clairement bâclée avec ses textures au sol qui ne s'affichent pas ; et ses grottes dont les éclairages sont plantés, lampe torche comprise – un bug vous obligeant à tâtonner dans le noir. De quoi rappeler les errements de Redfall. Pour un jeu de ce calibre, et de ce budget, c'est particulièrement grave.
Plus vous avancez dans la campagne, plus les bugs bloquants sont nombreux

Pour qui ?

Vous pouvez influencer certains PNJ. À vous de cerner leur personnalité en un minimum de répliques.

Si vous aimez les jeux Bethesda, cela ne va probablement pas vous refroidir. D'abord parce que leurs jeux sont toujours buggés à la sortie, Starfield ne faisant pas exception. Ensuite parce que la raideur des animations, des visages, du gameplay sont connus des fans, et pardonnés d'avance. Enfin parce les mods vont, au moins sur PC, combler beaucoup de lacunes ; les premiers sortis améliorent notamment l'inventaire. Reste que nous testons un jeu à sa sortie en nous basant sur son état actuel, vendu au prix fort – et pas sur une promesse future, une fois le jeu patché, modé, discounté.

Pour les nouveaux venus qui ne connaissent pas les jeux Bethesda, qui ont par exemple évité Fallout 76, ce Starfield fini à la truelle risque de décevoir autant qu'il a hypé. Ce sera peut-être une déception à la hauteur des espoirs placés jadis en Mass Effect Andromeda, ou encore No Man's Sky – des jeux très attendus et très éloignés de leurs promesses à la sortie. Un exemple ? Certains joueurs seront surpris de voir qu'une fusillade en ville laisse un barman au sol, fauché par les balles ; mais que si vous revenez peu après dans la pièce, ce même barman aura retrouvé sa place derrière le comptoir, et ses lignes de dialogue inchangées... au milieu des clients morts. De quoi tuer l'immersion pour énormément de joueurs, sans que cela ne fasse sursauter les fans du studio. Faites-vous partie de ceux que ça gêne ? Ou est-ce un détail trivial pour vous... ?
Un jeu aussi clivant que Mass Effect Andromeda ou No Man's Sky

L'anecdote

Le New Game + réserve des surprises... si vous multipliez les runs.

Starfield a eu une idée de génie : incorporer son New Game+ à la narration. Des événements étranges perturbent la campagne solo... Il faut finir le jeu pour avoir le fin mot de l'histoire. Si vous décidez de continuer, et le jeu vous y encourage sitôt le générique passé, vous aurez un choix à faire : recommencer toute la campagne solo en gardant votre expérience, vos compétences et la dernière arme utilisée. Ou vous concentrer sur la collecte d'artefacts. Si vous optez pour ce second choix, un deuxième run ne dure qu'une poignée d'heures. Et réserve, parfois, des surprises : sans spoiler, tout n'est pas forcément identique d'un run à l'autre... Dans les faits, Bethesda aurait pu aller encore plus loin en apportant des changements plus radicaux à chaque run – il en faut parfois cinq, ultra répétitifs puisque les artefacts sont toujours au même endroit, pour constater un vrai retournement de situation.
Le New Game + est à l'image du reste du jeu : à la fois brillant et brouillon
Les Plus
  • La direction artistique
  • La narration, les rencontres aléatoires
  • La variété des expériences : combat, exploration, construction, crafting, etc.
  • La surprise du New Game +
Les Moins
  • Les bugs, même avec les patchs Day One : impossible de finir certaines missions !
  • Des choix d'interface et de game design décevants pour chaque type d'expérience proposée
  • Le copié-collé du vaste contenu généré aléatoirement : mines, laboratoires, grottes, etc.
  • L'immersion systématiquement brisée par des défauts de programmation : IA, interface, mécaniques, bugs
Résultat

Nous pourrions ne pas mettre de note à ce jeu – les fans de Bethesda vont adorer, beaucoup d'autres vont détester, et le contenu même de ce test devrait vous aider à comprendre si ce jeu est fait pour vous ou pas. Vous allez peut-être passer 30 heures heureuses à faire et refaire votre propre vaisseau, ou votre avant-poste, en ignorant complètement la campagne et tous les autres pans du jeu. Ou à l'inverse, vous allez faire la campagne solo, quelques quêtes annexes pour vous payer l'équipement de vos rêves (ah, la Gatling de Terminator... !), puis tomber dans la spirale sans fin du New Game + si bien intégré à la narration. Starfield est un jeu clivant, avec autant de qualités que de défauts, et ce pour chacune des nombreuses expériences qu'il propose : combat, exploration, construction etc. La hype (et le marketing) aidant, nous espérions sans doute un peu trop d'un studio ambitieux, talentueux, mais handicapé par un moteur très inégal et des choix de game design contestables, comme la pseudo exploration spatiale à base de cartes stellaires et de téléportations instantanées. Le tout avec un niveau de finition indigne d'une super production, surtout à la fin de la campagne solo – notamment ces scripts cassés qui empêchent carrément de finir certaines missions. C'est au final ce qui empêche ce jeu ambitieux et bancal d'avoir une meilleure note.

Partagez ce test
Tribune libre