Test | Jusant
31 oct. 2023

Un voyage aussi inoubliable que Journey ?

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Jusant

Depuis que tous les feux des projecteurs ont été braqués sur DON'T NOD en 2015 pour le lancement de Life is Strange, le studio semble avoir du mal à s'aventurer sur de nouveaux terrains. Mais aujourd'hui, Jusant, leur nouveau bébé, est là pour nous prouver le contraire !

L'histoire

À l'image de RIME, ABZÜ et Arise avant lui, Jusant évolue dans les pas de Journey. Comme dans le jeu de thatgamecompany, on y incarne un personnage anonyme, peu bavard – pour ne pas dire complètement muet. Ce dernier se met en tête d'escalader une tour, un gigantesque phare naturel qui surplombe un océan de sable. Rapidement, on comprend que cette terre desséchée ne l'a pas toujours été. Au sol, recouverts par le sable, des bateaux sont désossés, d'autres sont échoués dans les hauteurs, et d'autres encore sont suspendus dans le vide, tenus tant bien que mal par des cordages usés, eux-mêmes enroulés à des bittes d'amarrages qui ont pris la rouille.

Des habitations abandonnées, des commerces à l'arrêt depuis de longues années occupent également cette tour. Ils formaient des villages : Basse-Mer et Champs-d'en-Haut. Les chaises renversées, les tables retournées, les ustensiles en vrac ou rangés dans des débarras, tout est resté sur place, témoignant d'une vie passée. Et quand notre personnage venu tout droit d'un film de George Miller prend – à de rares moments – le temps de tendre l'oreille, on peut distinguer des cris, des rires et des cacophonies d'autrefois. On se sent alors ridicule, fragile, définitivement seul, malgré le fait que nous soyons accompagnés d'une petite bestiole aquatique dénommée Ballast. Des lettres jonchent également le sol, ainsi que des extraits d'un journal de bord, celui de Bianca qui, bien que jamais actrice au sein de l'intrigue, apparaît comme une protagoniste à part entière : des années avant nous, elle a tenté l'ascension de cette tour sans fin. Via son journal, elle nous fait part des difficultés rencontrées, de ses amitiés, de ses sentiments amoureux et bien évidemment de son envie de refaire couler l'eau à flot dans cette contrée oubliée. Ce que Bianca vit fait bien évidemment écho à ce qu'endure le personnage jouable.

Vous l'avez compris, la force de Jusant réside en premier lieu dans sa narration environnementale : chaque panorama, chaque bâtiment, chaque objet renferment des histoires. On se plaît à arpenter ces ruines en observant tout ce que l'on croise pour essayer de comprendre ce que cela raconte. Bien sûr, ces histoires sont au service d'une bien plus grande. Jusant est avant tout une réécriture de la Tour de Babel – épisode biblique qui montre la prétention de l'homme à vouloir égaler la puissance divine –, pour la transformer en une fable écologique... et franchement, c'est captivant.
Je me souviens écouter les vieux canots qui décrivaient les vagues gigantesques

Le principe

Ça ne va pas être de tout repos.

Si Jusant fait un sans-faute au niveau de la narration, on ne peut pas en dire autant en ce qui concerne le gameplay. Les premières phases d'escalade font mouche, en donnant vraiment le sentiment de vivre quelque chose de fort. Et grâce à l'idée d'utiliser les gâchettes gauche et droite de la manette pour contrôler le bras gauche et droit du personnage, on a vraiment l'impression de ne faire qu'un avec ce dernier. À la manière d'Ethan Hunt dans les Mission Impossible, on se plaît à se suspendre dans le vide, d'une seule main, pour observer l'infinie étendue de sable qui s'offre à nous. Dans ces moments, on ressent un incroyable sentiment de liberté, ce qui rapproche une fois de plus Jusant de Journey. Mais contrairement au chef-d'œuvre de thatgamecompany, ici ce sentiment de liberté n'est qu'illusion.

En voulant se rendre trop accessible peut-être, Jusant en vient à survoler la discipline qu'il tient à représenter. L'escalade, ce n'est pas seulement réaliser une ascension, c'est aussi observer, faire de mauvaises prises ou prendre un mauvais itinéraire. Ici, il n'y a bien évidemment rien de tout cela. Comme dans les séquences de plates-formes de Remember Me, le premier jeu de DON'T NOD, le chemin est complètement balisé. On exécute simplement ce que l'on nous dit de faire, ce qui détruit tout sentiment de liberté pour le reste de l'aventure. Heureusement, une ou deux mécaniques viennent complexifier un tant soit peu l'approche, à commencer par cette jauge de stamina qui indique l'épuisement de notre personnage, mais aussi par la mise en place de pitons que l'on peut planter dans la paroi. Ces outils permettent d'assurer ses arrières en cas de chute, même si ces dernières se font plutôt rares. Ce souci d'accessibilité et la simplification à l'extrême des mécaniques vont d'ailleurs à l'encontre même du discours de Bianca qui, dans son journal de bord, évoque à plusieurs reprises la difficulté de ce périple – jusqu'à hésiter à rebrousser chemin. Mais manette en mains, jamais on ne ressent ce danger, jamais on ne ressent l'épuisement, et c'est sûrement la plus grosse erreur de la production.

On peut finalement penser que l'escalade n'est qu'un prétexte pour nous narrer l'histoire de cette tour. Durant les 4 ou 5 heures nécessaires pour terminer cette ascension, Jusant peine à se renouveler. Il y a bien quelques tentatives ici et là pour apporter de petits changements, comme cette paroi exposée au soleil qui épuise davantage notre personnage, mais dans l'absolu, cela reste bien trop timide. On aurait aimé que Jusant aille plus loin, qu'il s'éloigne de ce que l'on peut voir dans les salles de sport pour se tourner davantage vers des jeux d'action/aventure comme Uncharted ou Tomb Raider, pour ne citer qu'eux. On aurait pu penser escalader des structures construites par l'homme, comme l'un de ces bateaux échoués ou un de ces bâtiments abandonnés, ou encore évoluer sur des poutres suspendues au-dessus du vide. Avec un brin d'imagination, les possibilités ne manquent pas.
J'ai l'impression de remonter une rivière à contre-courant

Pour qui ?

On aime prendre son temps dans Jusant.

À l'image de ses nombreuses références, Jusant est un jeu qui s'adresse au plus grand nombre, mais plus particulièrement à ceux qui veulent vivre une expérience rafraîchissante entre deux blockbusters vidéoludiques ou qui aiment prendre leur temps pour en apprendre plus sur le monde qui les entoure. Toutefois, si vous cherchez des mécaniques de jeu qui sortent de l'ordinaire, il vaut mieux passer votre tour : ce n'est vraiment pas la force de Jusant.
J'ai presque chaviré en retrouvant son rire

L'anecdote

Encore un petit effort !

Impossible de conclure cette critique sans faire mention de l'incroyable bande-son de Jusant. Composée par Guillaume Ferran, la musique vient magnifier nos péripéties, leur donner vie même. C'est simple, à plusieurs reprises, le titre donne tout simplement envie de poser la manette pour profiter des différentes partitions. Quand c'est nécessaire, la musique sait aussi se faire oublier pour laisser place au silence et à la contemplation. Le sound design, même s'il n'est pas aussi parfait, n'est pas en reste. On ressent notamment la force du vent dans les zones exposées et la matière des différentes structures lorsque l'on marche dessus. Des petits cris d'animaux – que l'on peut d'ailleurs apercevoir – se font également entendre, ce qui parvient à rendre ce lieu déserté aussi crédible que vivant.
Austin Wintory n'a qu'à bien se tenir !
Les Plus
  • Roi de la narration environnementale
  • La direction artistique aussi simple qu'efficace
  • La musique de Guillaume Ferran
Les Moins
  • L'escalade, un poil survolée finalement
  • Une aventure qui a du mal à se renouveler
Résultat

DON'T NOD, anciennement Dontnod, a bien mérité sa nouvelle appellation : Jusant prouve que le studio est enfin capable de s'éloigner de la formule "Life is Strange" pour proposer quelque chose d'inédit, mais surtout de réussi, ce qui n'était pas foncièrement le cas des précédentes tentatives (Vampyr en tête). Si le titre n'éblouit pas par ses mécaniques de jeu ou même par son originalité – étant donné qu'il reprend beaucoup de ses références –, il offre un magnifique voyage que l'on n'est pas prêt d'oublier. Son univers renferme de nombreux secrets que l'on se plaît à découvrir et comprendre grâce à une vraie maîtrise de la narration environnementale. Et ça, c'est vraiment précieux.

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