Test | Gran Turismo 7
05 avr. 2022

Le masque et la prune

Testé par sur
Gran Turismo 7

Qu'est-ce qui appartient à l'histoire de l'esprit humain ? La relation d'Héloïse et d'Abélard certes, et plus récemment Gran Turismo 7. Sa passion pour l'automobile transpire à chaque pixel, comme jadis la flamme du théologien philosophe et de celle qui devait devenir abbesse. Le revers de la médaille ? Le coût aberrant des micro-transactions.

L'histoire

Quand vous lancez Gran Turismo 7, vous avez sûrement les images des derniers trailers en tête : replays magnifiques, éclairages dynamiques et autres reflets en ray tracing. Ce n'est pourtant pas du tout ainsi que le jeu vous accueille. À la place, des images d'archives en noir et blanc...

Pour son 25e anniversaire, la saga montre les grandes étapes du sport auto. Les expositions universelles qui ont vu passer les prototypes les plus fous en 1900 – limités à 20 km/h en ville, un peu comme Paris de nos jours dès 17h30. Les premières courses aussi, comme la Paris-Bordeaux-Paris du 11 juin 1895. Ou encore le premier record de vitesse au-dessus de 100 km/h réalisé par Camille Jenatzy le 29 avril 1899 à Achères avec sa voiture révolutionnaire, la Jamais-Contente. Une façon pour la saga amoureuse d'inscrire son anniversaire dans la lignée des exploits de l'automobile. Et pourquoi pas, de tenter d'entrer dans l'histoire, comme Héloïse et Abélard – et comme eux, avec un parfum de scandale (voir encadré).
Entre Kazunori Yamauchi et l'automobile, c'est l'amour fou

Le principe

Vos premières courses se font contre des Mini, Toyota AquaS, Fiat 500F et autres Volkswagen 1200.

Ne vous attendez pas à piloter une Porsche 919 Hybrid 16 ou une Lamborghini Veneno '14 au bout de cinq minutes comme chez les yankees de Microsoft. Dans la lignée des premiers épisodes de la série, il faut s'armer de patience. Commencer par des épreuves sans grand intérêt, au volant de pots de yaourt qui se traînent péniblement. Débloquer des « Menus Café », des voitures lentes dont l'histoire vous est racontée entre deux courses laborieuses. Et des permis : des épreuves sévèrement chronométrées pour apprendre à braquer au bon moment, freiner ou gérer des voitures de puissance différente sur une même section de circuit. Un régal, mais une tannée aussi, tant l'or se dispute parfois au centième de seconde près (drame vécu). Pas de courses libres, pas de multijoueur, pas de garage pour changer la couleur de sa voiture ou en acheter de nouvelles : il faut une dizaine d'heures pour débloquer tout ça.
Il faut enchaîner les courses poussives pour débloquer tous les modes de jeu

Le gameplay

420 voitures sont à collectionner, avec des vues cockpit très bien modélisées.

Vu comme ça, Gran Turismo 7 pourrait refroidir les habitués des Grid et autres Forza Horizon 5. Imaginez que vos amis soient déjà en train de disputer une course en ligne et que vous soyez obligé de débloquer le « Menu Café 9 : Tokyo Highway Parade » avant, pour faire apparaître le fameux menu multi. Frustrant. Le bénéfice de ces épreuves imposées ? Une bonne maîtrise des circuits sur des voitures peu véloces, une montée en puissance progressive qui vous permet de vous entraîner sur une Mini avant d'espérer dévorer l'asphalte en Dodge Viper. C'est vraiment une approche de la progression différente, presque élitiste : apprenez à connaître les circuits et vos voitures, puis montez en puissance et en gamme, avant d'espérer jouer en multijoueur.

À condition de jouer le jeu, quelle claque ! Le moteur physique de Gran Turismo 7 est étonnant, avec des transferts de masse incroyablement réussis. Il faut désapprendre les mauvaises habitudes prises sur les jeux arcade concurrents : un freinage tardif peut par exemple bloquer les roues et vous faire rater votre trajectoire. La gestion de la caméra, avec des soubresauts qui accentuent le travail des suspensions, joue énormément sur l'immersion. Tout comme la DualSense, très bien exploitée. Les gâchettes adaptatives et les vibrations très précises permettent de bien sentir la voiture et de lui donner une véritable inertie. Un régal. Pour les débutants, des aides à la trajectoire et au freinage sont disponibles, afin de ne laisser personne sur le carreau – aide que vous aurez sans aucun doute envie de désactiver, une fois le jeu bien pris en main. La difficulté est raide, surtout pour décrocher l'or sur les permis, mais les aides au pilotage et les vidéos explicatives sont là pour repêcher les néophytes.
Une conduite exigeante, des aides nombreuses

Le multi

Le mode Music Rally est original. Il faut passer des checkpoints en musique !

Commençons par enfoncer une porte qui ne fera pas plaisir à tout le monde : il faut être connecté en permanence pour jouer à Gran Turismo 7. Oui, même pendant la dizaine d'heures nécessaire pour débloquer le mode multijoueur. Si vous êtes victime d'une panne Internet, ou que les serveurs du jeu sont en maintenance (ce qui s'est produit pendant une trentaine d'heures après la découverte d'une faille de sécurité), vous ne pouvez matériellement pas profiter du jeu – seuls quelques modes sont jouables offline : Drift Trial, Music Rally, Single Race et Time Trial.

Pire : certains modes multijoueurs proposent 10 minutes de tours de qualification et des courses quotidiennes de... 15 tours. Autant dire qu'il faut avoir du temps devant soi, et pas d'enfants dans les pattes. Les problèmes de lag et de collision sur les courses testées rendent les premiers virages extrêmement dangereux, et il n'est pas rare d'abandonner après avoir traversé un concurrent, ou avoir été tamponné au point de faire une sortie de piste. Malgré sa connexion obligatoire qui laissait espérer un épisode conçu pour le jeu en ligne, et son contenu en ligne extrêmement riche (mention spéciale aux replays et autres photos postées par les joueurs sur le réseau social du jeu), Gran Turismo 7 manque d'accessibilité face à la concurrence, même un mois après sa sortie.
Il faut être connecté à Internet en permanence… Même en solo

Pour qui ?

Gran Turismo 7 est une lettre d'amour à l'industrie automobile, du XIXe siècle à nos jours.

Si vous aimez l'automobile, les moteurs graphiques et physiques carrés, le tout avec une connexion internet solide, Gran Turismo 7 est un monument du jeu vidéo. Un monument qui a ses lézardes : un code réseau pas encore optimal même après la mise à jour 1.09, une progression extrêmement lente et une politique de micro-transactions qui rappelle la débâcle Star Wars : Battlefront II. De quoi ternir la relation entre Héloïse et Abélard... ? Les fans voteront pour ce jeu toujours en chantier un mois après sa sortie, au fil de mises à jour et de rééquilibrages successifs.
L'Encarta du jeu automobile

L'anecdote

Certaines courses permettent de gagner 45 k crédits en 4 minutes. C'était plus avant le patch.

En marge des inserts sur l'évolution de l'automobile du XIXe au XXe siècle, Gran Turismo 7 tombe dans tous les travers gacha de Forza Horizon 5. D'abord le système de progression met en avant la collectionnite, notamment l'incontournable « Menu Café » qui est impératif pour débloquer des modes de jeu. Très tôt, le jeu vous habitue en plus à des récompenses aléatoires, sous forme de loterie – vous gagnez des crédits, des accessoires, voire des voitures. Ensuite vous avez des voitures légendaires qui ne sont disponibles que temporairement, vous encourageant à acheter les crédits manquants avec du vrai argent par peur de rater une affaire. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que Polyphony Digital a eu la main lourde. 2 millions de crédits coûtent au moment de la rédaction de ce test la bagatelle de 19,99 €. Si vous voulez une Lamborghini Veneno '14 à 3,64 millions de crédits, il faut donc dépenser 39,98 € (2 packs à 19,99 €). Pour UNE voiture. Si vous voulez une McLaren F1 '94 à 18,5 millions de crédits, il faut débourser 199,99 € (10 packs à 19,99 €). On est loin, très loin des 4,99 € réclamés par Gran Turismo Sport pour une Aston Martin Vulcan '16 – elle coûte maintenant 39,98 €, soit une augmentation de 700 % !

Et le grind dans tout ça ? Deuxième prune pour les fans, le patch 1.07 a diminué considérablement les gains distribués en fin de course – notamment les récompenses octroyées sur la Special Stage Route X, qui rapportait 30 k crédits pour un tour très rapide à boucler (moitié moins depuis la fameuse mise à jour). Patchée aussi la course Fisherman's Ranch Dirt Champions et ses 97,5 k crédits : seules des courses marathon World Touring Car 800 24H du Mans et Monza voient leurs revenus augmenter. Vu qu'il est impossible de revendre ses voitures, la grogne monte sur Metacritic où le score utilisateur est tombé à 1.8. Forçant Polyphony Digital à sortir l'extincteur « quoi qu'il en coûte » : 1 million de crédits ont été versés aux joueurs qui avaient acquis le jeu avant le 25 mars.

Est-ce que cela a gâché mon plaisir pour autant ? Pas vraiment. Peu m'importe de rouler à bord des voitures les plus chères du moment tant que je peux m'offrir une Ferrari F430, une DeLorean ou une Testarossa d'occasion sans grind excessif – des bolides qui réveillent mes souvenirs de boomer. Horripilantes sur le papier, surtout dans un jeu vendu au prix public conseillé de 80 €, les micro-transactions n'ont pas entamé mon plaisir de conduite ni mon amour d'une collection à taille humaine, à mon rythme. À vous de juger comment vous réagissez à cette situation – en gardant à l'esprit que sous la pression continue des fans et au fil des promotions estivales etc., Polyphony Digital sera peut-être amené à baisser le prix de ses packs de crédits ou de ses voitures, voire à augmenter les crédits gagnés en course – pour ceux qui veulent vraiment les bolides les plus chers.
Entre le précédent jeu et celui-ci, le prix de certaines voitures a augmenté de 700%
Les Plus
  • L'amour
  • La conduite
  • La réalisation
Les Moins
  • La progression très lente
  • Les micro-transactions
  • Le multijoueur pas stable
Résultat

Prendre ses repères sur la piste, freiner au bon moment, accélérer en sentant la résistance de la gâchette adaptative, voir la caméra bondir pour simuler la prise de vitesse, et se remettre dans l'axe pour imiter le rééquilibrage du transfert de masse... Gran Turismo 7 procure des sensations étonnantes, beaucoup plus travaillées que dans les autres jeux du genre. L'amour pour l'automobile, et pour son histoire, se ressent dans sa documentation très fournie, dans son encyclopédie mettant en valeur les constructeurs et leur passé, et pas que dans la modélisation maniaque des voitures, tant des carrosseries que des intérieurs. Certes, il y a de la friture sur la ligne : micro-transactions, panne réseau, progression très lente... C'est une expérience unique, quand elle marche.

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