Test | Carrion
30 juil. 2020

La chair et le sang

Testé par sur
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Carrion
  • Éditeur Devolver Digital
  • Développeur Phobia Game Studio
  • Sortie initiale 23 juil. 2020
  • Genres Plateformes, Survival

Manger, c'est un peu comme les anniversaires : tout le monde aime ça. La créature de Carrion aime manger elle aussi, elle baffre non-stop. Et elle prend du bide, comme nous ! Après, son régime alimentaire est constitué d'humains. Certains pleurent. D'autres hurlent. Quelle erreur. Pourquoi se battre quand le karma fait que le plat de spaghettis bolognaise que vous dévoriez encore hier a décidé de se rebeller et de vous manger vous, pour une fois ?

Les Atomes 2020

Vous vous en doutez, chaque membre de la rédaction n'a matériellement pas pu jouer à tous les jeux testés durant cette année sur Gamatomic. Alors, plutôt que de vous proposer une sélection collégiale mais forcément faussée, chacun de nous a souhaité remettre en avant un jeu qui l'a particulièrement marqué sur ces derniers mois.

Pour ma part, je n'ai pas joué à beaucoup de jeux cette année mais j'ai corrigé beaucoup de tests. Eh oui, en tant que relecteur de Gamatomic, chaque test publié ici passe sous mon microscope pour y traquer la moindre faute. Alors, voici un atome un peu spécial puisqu'il s'agit du test qui m'a donné le plus envie de jouer au jeu concerné. J'ai donc choisi celui de Carrion. Avant de lire – qui plus est, de corriger – un test, j'en zieute habituellement les screens. Évidemment non par doute de l'extrême application systématique de nos testeurs à vérifier eux-mêmes qu'il n'y a pas d'oubli d'upload de ce côté-là (oui, un message perso s'est glissé dans cette phrase), mais pour le plaisir des yeux, et me motiver à me lancer. Et là, mince. La 2D, le pixel art, ce n'est plus mon kiff depuis l'Amstrad 6128. Mais pourtant, le test est fourni, le jeu bien noté, alors que l'éditeur ne semble assez gros pouvoir soudoyer quelconque rédacteur de Gamatomic. « Fascinant » dirait M. Spock. Et si les screens ne pouvaient retransmettre les points forts de ce jeu ? Eh bien l'entrain du rédacteur dans la description de l'ambiance de cette œuvre underground horrifiquement glauque m'a laissé être tenté par ce jeu qui sort de l'ordinaire ! Même l'un de ses "moins" relatif à sa courte durée peut s'avérer être un atout pour les joueurs comme moi qui ne veulent/peuvent plus se lancer dans des jeux chronophages pour en atteindre leur fin. Serez-vous aussi surpris par ce test ?

Voilà, vous savez maintenant pourquoi Carrion mérite l'atome du test qui m'a le plus incité à reprendre la manette. Si vous souhaitez en savoir plus sur ce jeu – ce qui voudrait dire que j'ai rempli mon contrat d'influenceur/correcteur –, je vous laisse continuer la lecture du test.
Ce jeu est le coup de cœur 2020 de Coudrak et il vous explique pourquoi

L'histoire

Il faut parfois perdre volontairement de la biomasse pour avancer.

Vous incarnez une petite chose tentaculaire et visqueuse qui se débat dans sa capsule, au cœur d'un laboratoire souterrain. La vie n'est pas juste : dehors il fait beau, le soleil brille, les humains grouillent, et toute cette nourriture sur pattes vous est interdite par une malheureuse petite paroi en verre. Alors vous prenez votre destin en main, enfin en tentacule. Vous repliez votre petite boule de tissus organiques et de dents, et vous la jetez de toutes vos forces contre la paroi. Une fois. Deux fois. Trois fois... le verre craque, se fissure, explose, et libère votre faim insatiable. Vous découvrez le laboratoire, dédale de couloirs et de conduits de ventilation qui ressemble à des intestins métalliques. Vous avez peur, petite araignée de chairs et de crocs fragile. Alors vous fuyez, effrayé par les hurlements des scientifiques. N'ayez pas honte : ce n'est que le début du jeu, et comme dans dans le film Alien : Le Huitième Passager, la peur va vite changer de camp...
La proie devient rapidement le chasseur...

Le principe

Ces capsules vous donnent accès à de nouveaux pouvoirs.

Dans Carrion, vous commencez petit, très petit : avec un unique point de vie, et pas plus gros qu'un chien. Pour restaurer votre énergie, il vous faut de la chair fraîche. Vous commencez par des scientifiques bruyants mais inoffensifs, qui font tout de suite moins de bruit dès que leurs petits os tendres ont fini de craquer entre vos mâchoires. Vous allez prendre de la masse progressivement, et surtout découvrir de nombreuses capsules biologiques qui vous octroient des compétences spéciales. Notre préférée : celle qui vous permet de prendre le contrôle des humains pour activer des interrupteurs et surtout mitrailler les ennemis, comme dans Oddworld : New 'n' Tasty !. Classique certes, mais efficace.

Si beaucoup de compétences favorisent l'attaque, comme ces pieux qui sortent de votre corps pour empaler soldats et drones, les autres vous permettent de mieux circuler dans le laboratoire. C'est le cas de celle qui vous permet de séparer votre corps en longs spaghettis pour passer à travers certains obstacles sous-marins – indispensable pour progresser. Après quelques heures de jeu, à force de boulotter scientifiques et capsules, votre petite araignée sanguinolente des débuts est devenue un dinosaure. Un T. rex capable de remplir tout l'écran, de se propulser d'une pièce à l'autre à toute vitesse et d'empaler n'importe quel soldat en quelques secondes. Explosant mobilier, ordinateurs et ampoules au passage. La sensation de progression est réelle, mais la puissance est toujours tempérée par de nouveaux pièges et ennemis, souvent capables de vous tuer en quelques secondes. Vous allez détester ces mines collantes qui vous renvoient illico au dernier point de sauvegarde...
Votre puissance est toujours tempérée par de nouveaux pièges

Le gameplay

Plus vous grossissez, plus il devient difficile d'éviter les tirs ennemis...

Se propulser en avant avec le stick gauche. Abaisser un levier avec votre tentacule principal à l'aide du stick droit. Se faufiler dans une bouche d'aération. Contourner un ennemi lourdement armé. Puis foncer brutalement, entendre les tentacules claquer dans l'air comme des fouets... Chaque déplacement, lent ou rapide, procure une vraie sensation de puissance, de contrôle et de monstruosité. Comme lorsque vous attrapez une porte qui va vous servir de bouclier improvisé, puis de projectile. Ou qu'un garde secoué par un tentacule en percute un autre et le fait chuter. Ou que vous arrachez un distributeur pour le jeter sur un drone... la liste continue comme un inventaire à la Prévert. Plus vous avancez dans le jeu, plus vous apprenez à coordonner déplacements et tentacule principal, et plus vous devenez efficace dans votre entreprise de destruction et de démembrement. Deux sticks, quelques gâchettes pour les compétences spéciales : le jeu fait très fort avec quelques touches seulement.
Une maniabilité parfaite

Le level design

Si vous ne trouvez pas de l'eau en quelques secondes, c'est Game Over.

Contrairement à beaucoup de jeux, y compris des triple A, Carrion maîtrise parfaitement son rythme. Les niveaux hyper bien conçus arrivent à équilibrer combats brutaux et puzzles (ni trop simples, ni trop compliqués). Quand ce ne sont pas combats et puzzles qui se mélangent... Mention spéciale aux soldats équipés de lance-flammes qui vous obligent à toujours garder un élément de décor entre eux et vous. Et à repérer une étendue d'eau pour éteindre l'incendie qui vous consume progressivement si jamais vous êtes touché. Ces ennemis sont d'autant plus dangereux que plus vous êtes gros, plus votre corps est exposé aux attaques. Et que vos tentacules baladeurs peuvent trahir votre présence, quand vous vous en servez pour surveiller un ennemi ou découvrir une zone.

Une fois votre taille adulte atteinte, ramper le long d'une paroi vous rendra beaucoup plus vulnérable. Vous aurez aussi bien du mal à vous cacher dans une anfractuosité à temps pour échapper à une rafale meurtrière. Même si le jeu est court, il vous oblige donc à revoir votre façon de jouer au fur et à mesure que vous grossissez comme une baudruche. Perdre de la masse est parfois utile pour gagner en souplesse ou en furtivité – volontairement ou non, vu que chaque forme a ses propres points de vie. Si vous attaquez trop directement et que vous encaissez des dégâts, votre masse corporelle va se réduire plus vite qu'une anorexique sur les réseaux sociaux. Et il faudra croquer des scientifiques pour regagner points de vie et masse tentaculaire, scientifiques qui ne sont pas si nombreux... Avec l'expérience, vous apprendrez à les laisser parfois en vie. Provisoirement bien sûr. Disons tant quand votre jauge de santé est pleine.

Plus vicieux encore : toutes vos compétences sont liées à un stade particulier de votre évolution musculaire. Impossible d'utiliser l'invisibilité avec votre taille maximale par exemple. À vous de ruser, de trouver une mare spéciale où abandonner volontairement une partie de votre masse, pour activer la compétence qui vous aidera à franchir un obstacle. Attention toutefois : revenir en arrière pour récupérer la masse perdue n'est pas toujours possible, même avant un combat difficile. Une bonne façon d'équilibrer la difficulté vers la fin... Heureusement que les points de sauvegarde, des abris à infecter, sont nombreux et bien placés. Bref, Carrion excelle dans le level design. Il est d'ailleurs rare de se perdre malgré l'absence totale de carte, une hérésie d'ordinaire dans ce type de jeu très Metroidvania.
Combats et puzzles se mélangent à la perfection

Pour qui ?

La possession permet d'incarner un soldat. S'il meurt, vous perdez un point de vie.

Si vous avez platiné Ori and the Will of the Wisps et que vous n'en pouvez plus d'attendre Hollow Knight : Silksong, Carrion est fait pour vous. Adorer les grands films d'horreur, The Thing de John Carpenter et le non moins excellent L'Attaque de la moussaka géante de Panos H. Koutras, est évidemment un plus. Ainsi que les spaghettis bolognaise, pour s'identifier un peu mieux au protagoniste. Attention cependant : Carrion se finit en cinq ou six heures, voire moins pour les plus doués. Il n'y a pas de mode multijoueur, pas de collectibles planqués, bref, nous ne sommes pas chez Nintendo – ce n'est pas un Yoshi's Crafted World dont vous feriez et referiez inlassablement les niveaux à la recherche de la dernière marguerite bonus à débloquer. La durée de vie peut donc en rebuter certains, même si le prix est au diapason et que l'expérience est, comment dire... viscérale. Et après tout, reproche-t-on à Inside de ne durer qu'une heure trente ?
Aimer les spaghettis bolognaise est un plus

L'anecdote

La vitesse des animations est calée sur la pression des sticks analogiques.

Impossible de décrire l'abomination créée par Sebastian Krośkiewicz, développeur polonais presque inconnu jusque-là. Sur Twitter et dans quelques interviews, à Ausgamers par exemple, Krośkiewicz revient sur la genèse du jeu, et notamment sur son incroyable système d'animation. Les moindres mouvements de la créature sont simulés avec des animations procédurales basées sur un moteur physique impressionnant. Le tout est renforcé par des animations de sprites plus traditionnelles. Des visages se forment et disparaissent dans la masse tentaculaire que vous incarnez, et qui ressemble à une version véloce et gore de la créature du film The Thing de John Carpenter.

Aucune capture d'écran ne rend justice à cette fluidité spaghettiesque. Il faut voir le jeu en vidéo. Et encore, c'est difficile de se rendre compte à quel point sticks analogiques et animations procédurales procurent un plaisir coupable. Chaque micro impulsion de la manette donne des animations uniques, là où un système traditionnel aurait laissé voir des boucles, des patterns. C'est particulièrement vrai lors des combats. Vous pouvez ramper lentement derrière un Mech armé de gatlings mortelles, en poussant doucement le stick analogique, et voir les tentacules tâtonner à la recherche de prises. Dès que vous passez à l'attaque, la furie et la variété des animations retranscrivent à la perfection toute la violence et le chaos du combat. Une réussite manette en main qui contribue énormément au plaisir procuré par le jeu.
Aucune capture d'écran ne peut rendre justice aux animations
Les Plus
  • Les animations
  • La jouabilité
  • Le level design
  • Les idées de game design (taille vs compétences)
Les Moins
  • Pas de multijoueur
  • Cinq à six heures max pour le finir
Résultat

C'est fascinant de voir à quel point l'être humain, même au pied du mur, continue d'espérer, de lutter pour sa petite survie égoïste. De tirer au pistolet sur le mur de tentacules et de dents qui s'abat sur lui. Aura-t-on un jour le courage de Jack Sparrow : sabre au clair, embrassant sa destinée et se jetant dans la gueule du Kraken ? Devenant Kraken ? C'est la question que vous pose Carrion. Pour une fois que vous pouvez jouer le Kraken et bouffer du scientifique au petit déjeuner, le tout avec une maniabilité, des animations, une ambiance sonore et un level design de folie... Il faudrait être scientifique pour refuser.

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