Test | Maneater
03 juin 2020

La puissance et le gore

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Maneater

Vous aimez la plage ? La baignade ? Le pédalo ? Le jet-ski ? Et les tortues de mer, c'est mignon les tortues de mer. Les poissons-perroquets ? Les poissons-chats peut-être ? Et les alligators, vous aimez les alligators ? Moins ? Comme le requin de Maneater dans ce cas, qui aime la plage, les baigneurs, les tortues de mer (qui craquent comme des cookies) et tout ce qui nage en général. Voire tout ce qui gesticule en surface, hurle et saigne, dans cet open world arcade au croisement improbable de Far Cry 5 et de Jaws Unleashed.

L'histoire

Tout va bien dans le meilleur des mondes : vous êtes un beau requin-bouledogue adulte, une bête de muscles et de dents, lâchée près de plages paradisiaques où comatent des touristes bedonnants. La vie est facile, la vie est simple. Un coup de mâchoire et plop ! plus de bouée licorne. Plus de baigneurs obèses non plus – juste des petites flaques rouges dans le sillage de votre aileron. La vie est belle, la vie est là, offerte, à croquer à pleines dents : mâchonnez les imprudents en martelant la gâchette de votre manette ou le clic gauche de votre souris. Même les bateaux de chasseurs lancés à vos trousses ne font pas long feu. Un coup de queue et vous endommagez la coque. Un saut hors de l'eau et vous croquez les gardes-côtes penchés par-dessus le bastingage (les idiots). Vous les broyez négligemment, les laissez couler en se noyant, ou les balancez d'un coup de queue en slow-motion sur leurs congénères, jusqu'à l'explosion James Cameron-ienne de leurs bateaux. La maniabilité est simple, les graphismes flatteurs, la sensation de puissance parfaite, l'humour omniprésent. Bref, les premières impressions sont excellentes. Et puis c'est l'accident bête. La rencontre avec Pete l'Écailleux. Un redneck qui vous harponne en pleine mâchoire et vous ouvre le bide au couteau. Fin du didacticiel, bienvenue en enfer : votre requin pénitent commence sa quête désespérée de dignité dans le sillon de Graham Greene.
L'humour est omniprésent

Le principe

Sautez hors de l'eau pour échapper aux autres prédateurs.

Concrètement, vous vous retrouvez cul nul dans un marais. Vous incarnez maintenant le rejeton du requin du tuto, un bébé moche et frêle qui ne ferait pas peur à un crapaud. La claque est sévère : de prédateur apex qui terrorise la baie baignée de soleil, vous voilà têtard dans un bayou crado. Le but ? Survivre et grandir dans un open world découpé en zones de difficulté croissante : de bébé à ado, puis à adulte, etc., pour redevenir la moissonneuse batteuse sous-marine que vous étiez plus tôt. Les débuts sont incroyablement poussifs, d'abord parce que vous commencez dans la zone la plus moche du jeu, dans des décors jaunes-verdâtres qui ressemblent au contenu de vos intestins après une nuit trop arrosée. Mais surtout parce que le bayou est ridiculement étroit, tortueux et peu profond.

Les développeurs ont fait une grosse bourde en vous forçant à commencer dans cet environnement restreint. Vu la faible profondeur, la moindre esquive ratée colle littéralement votre requineau à la surface : il faut impérativement appuyer sur un bouton pour plonger, avec zéro visibilité sous la surface, pendant que brochets et alligators continuent de vous croquer le ventre. Les combats ultra faciles quelques minutes plus tôt deviennent une purge, notamment contre les alligators surpuissants qu'il faut fuir comme un lâche. La faute à des attaques frontales qui forcent les protagonistes à se doubler, paumant la caméra au passage, à un système de visée semi-automatique qu'il faut réajuster en même temps que la caméra, et à la faiblesse de votre têtard. Ajoutez des ennemis qui couvrent une dizaine de mètres en une seconde, souvent pendant que vous galérez avec la caméra, et vous comprendrez que claviers et manettes devraient être remboursés par l'éditeur du jeu.

Dans les zones suivantes, plus profondes, plus larges, avec quelques upgrades, c'est moins problématique. Après quelques heures de jeu, sur la dizaine nécessaire pour faire une bise tranchante au boss final, vous aurez retrouvé une puissance de destruction correcte. C'est longuet, certes. Heureusement que le tout est commenté non-stop par un narrateur hilarant, façon David Attenborough imperturbable face à vos requineries, en VO hélas – pas de sous-titres pour lui, alors que le reste du jeu est en français. Les intermèdes avec Pete l'Écailleux et son fils façon télé-réalité sont traduits, et c'est important : ces scénettes vous rappellent qui vous a expulsé de votre tuto paradisiaque.
Les combats deviennent vite une purge

Le gameplay

Bouffer tout ce qui traîne permet d'upgrader tête, aileron, corps et queue.

La boucle de gameplay est très simple : enchaîner des missions (répétitives), en vous laissant distraire (souvent) par les marqueurs qui popent à chaque coup de sonar. Il peut s'agir de poteaux à mordre pour découvrir des points de repère, nombreux clin d'œil à la culture geek de Pacific Rim à Bob l'Éponge. De plaques minéralogiques qui vous entraînent à sauter hors de l'eau, de plus en plus haut. De prédateurs dangereux, simples barracudas au départ, puis requins-tigres ou cachalots plus tard. Ou de grottes planquées, dont il faut défoncer les grilles à coups de dents – à condition d'être assez puissant. Au fur et à mesure que vous explorez chaque zone, la carte se couvre de points d'intérêt, avec autant de petits drapeaux que dans un open world Ubisoft. Attention, tous ces points d'intérêt ne sont pas indispensables. L'écrasante majorité ne sert qu'à gonfler l'XP et qu'à la collectionnite, le fléau des open worlds.

La composante RPG, au cœur de la quête de puissance de Maneater, est par contre très soignée. Il existe 4 types de nutriments à dépenser dans des améliorations (tête, aileron, corps et queue) : mâchoire plus puissante, queue plus destructrice, résistance aux dégâts, etc. Vous les récupérez en dévorant certains types d'ennemis, avec un code couleur très simple : rouge pour les prédateurs et les humains par exemple. Vous savez donc toujours ce qu'il faut chasser pour obtenir l'upgrade tant convoité. Mais pour dépenser ces points, encore faut-il accumuler de l'XP pour grandir et... des armures. C'est là que le jeu se complique. Ce qu'il ne vous dit pas, c'est comment récupérer morceau par morceau une armure bio-électrique, une armure d'os, ainsi qu'une troisième cachée... Maneater regorge d'astuces, de secrets, bref, il récompense les curieux. C'est important, parce que c'est ce qui compense la répétitivité de ses objectifs copiés/collés d'une zone à l'autre et vous pousse au leveling.
La composante RPG est très soignée

Pour qui ?

N'hésitez pas à fuir un combat qui vous est défavorable.

Ce que J.J. Abrams a raté avec Star Wars, Maneater le réussit très bien : vous doter d'un arc de progression remarquable, qui vous fait passer de larve à mégalodon en l'espace d'une dizaine d'heures. Vous allez ressentir des frissons de plaisir vengeur en revenant dans le bayou originel pour croquer en deux coups de mâchoire bio-électrique les alligators qui vous pourrissaient la vie en début de partie. Du plaisir et de la honte : jouer à Maneater, c'est switcher sur son cerveau reptilien, c'est assumer pleinement le côté débile, gore et arcade de ce jeu caricatural. Ce qui n'est pas pour tout le monde : la boucle d'objectifs est beaucoup trop répétitive, les combats trop brouillons pour passionner les esthètes de l'école du gameplay. Seuls les accros au loot, à l'exploration et au leveling vont s'en donner à cœur joie. Ce ne sont pas tant les fans de GTA V ou de Far Cry 5 que les développeurs visent en caressant tendrement leur aileron dorsal. Ce sont plutôt les amoureux de Diablo III ou de Path of Exile – vous êtes prévenus.
Gore, arcade et convivial

L'anecdote

L'amure d'os permet de survivre facilement aux attaques des gardes-côtes.

Maneater propose une jauge d'infamie qui fonctionne comme les étoiles dans GTA V : croquez des baigneurs, quitte à sautiller sur la plage pour les atteindre – c'est aussi ridicule qu'efficace. Persévérez jusqu'à l'arrivée des bateaux de gardes-côtes, à couler pour attirer les chasseurs de prime. Puis dévorez ces derniers pour récupérer des upgrades. Atteindre le niveau d'infamie maximal, le 10, est loin d'être simple, vu les tapis de bombes que les gardes-côtes finissent par larguer depuis leurs bateaux, façon Bombermen fous. Il faudra peut-être attendre l'armure d'os, très efficace contre les bateaux. Même si cela hérisse votre sens de l'esthétique, mélangez et upgradez les morceaux d'armures selon vos besoins pour dévorer tous les chasseurs de prime un à un.
Les Plus
  • Le plaisir de jouer un requin et de mâchonner tout ce qui traîne
  • Une excellente sensation de montée en puissance, de bébé à monstruosité Cthulhienne
  • Les upgrades RPG
  • Les ennemis perdent des bouts de barbaque, comme dans Doom Eternal
Les Moins
  • Les combats avec caméra et auto-lock à recentrer tout le temps
  • Les objectifs ultra répétitifs (tuer 10 poissons)
  • Pas de traduction pour le narrateur
  • Pas de sauvegardes manuelles
  • Pas de multijoueur
  • Des problèmes de performance sur PS4 Pro et Xbox One X au lancement (ralentissements, ventilation des consoles ; RAS sur PC)
  • Des sauvegardes corrompues et des bugs de trophées sur console au lancement (RAS sur PC)
  • Exclusivité Epic Games Store sur PC au lancement
Résultat

Destruction, humiliation, pénitence : Maneater a l'intelligence de frustrer le joueur dès le départ pour le propulser dans une quête effrénée de puissance, telle une torpille pleine de dents. Pour un jeu aussi joyeusement débile, où claquer des mâchoires donne un boost de vitesse, il y a là des éléments RPG étonnement subtils, incroyablement bien dosés. Si vous aimez le loot, les requins, le leveling, les requins, les jeux arcade, mais aussi les requins, Maneater vous fera passer une dizaine d'heures simples et heureuses – à condition de ne pas être trop regardant sur les combats brouillons et ses caméras aux fraises.

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