Interview | Adorable Adventures
01 déc. 2025

Entretien avec Wild Sheep Studio

Interview par ,

Après notre première approche plus que réjouissante d'Adorable Adventures, impossible de résister à l'envie d'en savoir plus sur ce petit concentré de feel-good emmené par Boris, marcassin aussi mignon que maladroit. Rencontre avec Céline Tellier, directrice de Wild Sheep Studio et directrice artistique du jeu, ainsi que Damien Dreveau, game designer, pour discuter de la naissance de cette aventure rafraîchissante qui fleure bon les Cévennes, la curiosité... et un peu la truffe.

"Promenez-vous dans les Cévennes pour retrouver vos frères et votre famille."

Si vous deviez pitcher Adorable Adventures en une phrase ?

Damien DreveauJe dirais : « Promenez-vous dans les Cévennes pour retrouver vos frères et votre famille. »

Céline TellierUne petite aventure adorable, à jouer tranquillement à la maison ou en famille.


D'où vient l'idée d'Adorable Adventures et comment cette idée a-t-elle évolué depuis le tout début du projet ?

DamienLe studio avait déjà travaillé sur plusieurs projets liés à la nature. Quand on a voulu imaginer un "petit jeu" facile à produire, on pensait à quelque chose dans l'esprit de A Short Hike. L'équipe était plus réduite à l'époque. L'idée d'un marcassin est arrivée assez naturellement : qu'est-ce que fait un marcassin ? Il renifle des odeurs, il charge... Alors on a construit autour de ça : un système d'odeurs, des petites mécaniques, des tas de micro-activités. Le jeu a grandi comme ça, morceau par morceau.

CélineNous sommes basés à Montpellier, dans un cadre naturel incroyable. Toute l'équipe est très connectée à la nature : on aime se balader, observer, photographier. On voulait que ce jeu rassemble cette passion. Le style graphique réaliste vient aussi de là : créer un environnement naturel immersif, fidèle et chaleureux.

"Un jour, un marcassin a débarqué au studio : il s'est mis à jouer avec toute l'équipe !"

Le jeu nous met dans la peau de Boris, un marcassin explorateur. Comment avez-vous choisi cet animal et ce cadre narratif (la forêt, l'incendie, la quête de famille) ?

DamienC'est une vraie histoire : nous connaissons quelqu'un qui avait recueilli un marcassin. Il venait parfois au studio, c'était absolument adorable. Quand on se cachait le visage, il continuait à foncer comme si de rien n'était ! Comme on voulait un petit animal des Cévennes, on a tout de suite pensé à lui : c'était original, touchant et pas courant.

CélineLa personne qui nous fournissait des photo-références pour scanner des éléments naturels est aussi responsable des sangliers en Occitanie. Elle s'occupe des marcassins trouvés seuls ou blessés. Un jour, elle nous en a apporté un au studio : il s'est mis à jouer avec toute l'équipe ! Alors quand on a décidé d'incarner un petit animal dans la nature, c'était évident que ce serait un marcassin.

DamienBoris existe vraiment. Les cailloux du jeu aussi : on scanne énormément d'éléments réels. On aime que le jeu garde une vraie authenticité.

"C'est un jeu chill, pas un conte dramatique ou fantasmé."

Comment avez-vous travaillé l'incarnation de Boris ?

DamienComme c'est un petit marcassin, il est forcément un peu maladroit. Il glisse, il dérape... et c'est normal : il ne connaît pas le monde. C'est aussi pour ça qu'il ne peut pas suivre une odeur immédiatement : il doit apprendre. Cette maladresse fait partie de son charme. Boris grandit au fil de l'aventure, et avec lui, ses compétences. C'est un thème important du jeu : grandir, devenir un peu plus responsable.


Le jeu semble raconter beaucoup de choses sans dialogues. Comment avez-vous abordé la narration « par l'environnement » ?

DamienComme le héros est un sanglier, la question « est-ce qu'il parle ? » s'est posée. Très vite, on a décidé que non : ça ne collait ni avec le réalisme, ni avec le ton. L'histoire est plutôt racontée par un garde-forestier, comme un narrateur discret. On montre des éléments narratifs – la fratrie dispersée, les traces d'un incendie passé... – mais sans jamais alourdir l'expérience. On est dans un jeu chill, pas dans un conte dramatique ou fantasmé.

CélineLe jeu vidéo a cette force : faire ressentir des émotions par l'action. Les petites mécaniques participent toutes à l'histoire, même sans mots. C'est un outil essentiel de notre narration.

"Les pistes olfactives guident le joueur vers des points d'intérêt."

On voit qu'il y a un système de suivi des odeurs et un herbier interactif. Comment fonctionne concrètement cette mécanique olfactive, et comment change-t-elle la façon d'explorer ?

DamienComme un marcassin découvre le monde par les odeurs, on a voulu traduire ça. Les pistes olfactives guident le joueur vers des points d'intérêt, parfois vers des détours. Mais Boris ne peut pas sentir tout ce qu'il veut immédiatement : certaines odeurs dominent, comme un champignon très fort. Il doit d'abord les apprendre pour ignorer celles qu'il ne souhaite plus suivre.

Cette progression accompagne la narration : Boris ne connaît rien au début, il apprend la forêt, ses plantes, ses pistes. Plus le joueur avance, plus il peut percevoir des odeurs "profondes", et donc explorer plus loin. L'herbier valorise ces découvertes avec de vraies descriptions et des anecdotes.

"Les décors s'inspirent directement du Parc national des Cévennes."

Les environnements (clairières, plateaux rocheux, grottes) semblent très variés. Comment avez-vous conçu la progression dans ces lieux, et avez-vous une zone favorite ?

CélineLes décors s'inspirent directement du Parc national des Cévennes, notamment du Mont-Lozère pour la démo. On commence dans des zones plutôt fermées, comme la forêt, puis on s'ouvre vers des landes plus vastes, puis des grottes... Ces contrastes accompagnent aussi la progression narrative. Le jeu culmine avec une petite montagne : pour un marcassin, une petite montagne devient un sommet immense.

DamienEt il y aura encore plus d'environnements dans la version finale !


L'ambiance est très contemplative, mais riche en explorations. Comment avez-vous trouvé l'équilibre entre détente et aventure ?

DamienAu départ, le jeu était presque uniquement basé sur les odeurs. Les testeurs trouvaient qu'on ne "voyait" pas assez l'aventure. Alors on a ajouté des activités : casser des pierres, nettoyer des déchets, faire des courses, etc. Ces petites actions permettent de profiter du décor autrement et d'équilibrer détente et exploration.


CélineLa démo nous a révélé deux types de joueurs : ceux qui suivent la quête principale et veulent sauver leurs frères ; ceux qui se laissent porter, jouent avec un ballon, grattent le sol, plantent des champignons dans un petit jardin... L'équilibre vient aussi de là : c'est un jeu pour tous les profils.

"Ce n'est pas un documentaire : Boris pourrait aussi être un petit garçon."

Vous avez mis l'accent sur les comportements animaliers et la nature. Quelles recherches ou inspirations réelles vous ont guidés ?

DamienL'herbier est central : les plantes sont vraies, issues des Cévennes. Chaque entrée inclut une petite description ou légende. C'est un aspect un peu documentaire.

CélineNous sommes en lien direct avec le Parc national des Cévennes, qui relit nos descriptions de plantes et certaines comportements d'animaux. Mais ce n'est pas un documentaire : Boris pourrait aussi être un petit garçon. On raconte une histoire touchante dans un cadre réaliste, en ajoutant des petites touches authentiques.


Vous parliez du Parc national : une collaboration plus officielle est-elle envisageable ?

CélineC'est en discussion. La métropole de Montpellier nous soutient beaucoup. Tout le monde est ouvert à l'idée, il faut juste trouver la bonne manière de le faire.

"Les sons sont enregistrés directement dans la nature : pas de bibliothèques génériques."

La bande-son semble essentielle à l'immersion. Comment avez-vous travaillé la musique et les sons ?

CélineNous avons un audio director très expérimenté et nous collaborons avec le compositeur Christophe Héral. Il sait capturer l'âme d'un lieu : il peut ramasser des éléments dans la forêt et en faire de la musique. La bande-son intervient au bon moment – retrouver un frère malade, partager un moment joyeux... Les sons sont enregistrés directement dans la nature : pas de bibliothèques génériques. On veut que casque sur les oreilles, le joueur ait vraiment l'impression d'être dans les Cévennes.


Le titre évoque quelque chose de léger, mais le thème de la séparation familiale est mélancolique. Comment avez-vous trouvé le ton juste ?

CélineOn ne voulait surtout pas rendre la narration pesante. Par exemple, la maman est enfermée, mais elle n'est pas en danger : elle peut attendre. L'histoire peut durer une journée ou deux sans urgence. Le joueur est libre d'explorer ou de suivre la quête, sans stress. Trouver cet équilibre – émotion sans pression – nous a demandé beaucoup de travail.

"Au début, on imaginait une menace extérieure... mais ça ne collait pas du tout."

Y'a quoi dans Adorable Adventures qu'on ne verra jamais, que vous avez retiré ?

DamienUn chasseur. Au début, on imaginait peut-être une menace extérieure... mais ça ne collait pas du tout. Trop dramatique, trop stressant. Le jeu n'est pas là pour ça. Même l'incendie du passé est montré après coup, de manière douce et mélancolique. L'absence de stress est une règle fondamentale.

CélineEt la chasse n'est pas notre sujet. On aborde plutôt la pédagogie autour de la nature, l'écologie, mais toujours avec subtilité. Il y a un petit fil rouge, mais il reste discret.


Si vous pouviez ajouter un mode complètement fou ou un easter egg caché, ce serait quoi ?

DamienC'est déjà fait ! Il y a un easter egg inspiré des légendes des Cévennes, intégré dans la démo. Peut-être qu'on en ajoutera d'autres. Le jeu s'y prête : on aime glisser de petites interactions cachées.


Quand Adorable Adventures sortira, quels seront les trois ou quatre mots-clés que les joueurs auront en tête ?

DamienMignon. Cozy. Beau. Et, on l'espère, touchant – entre la maman, les frères, l'incendie...

CélineTrès bonne synthèse. Bravo Damien !

"Notre directeur créatif a travaillé sur Killzone et Horizon."

Parlons un peu de l'équipe. Combien êtes-vous, et quels parcours avez-vous ?

CélineNous sommes treize. Nos profils sont très variés. Notre directeur de l'animation vient du cinéma d'animation, où il a travaillé sur des longs-métrages. Plusieurs d'entre nous viennent d'Ubisoft, dont moi. Steven ter Heide, notre directeur créatif, vient de Guerrilla Games : il a travaillé sur Killzone et Horizon. Et Damien vient du jeu indépendant, toujours avec une sensibilité nature très forte. Toute l'équipe partage ce lien avec l'environnement.

"On aimerait s'inspirer d'Astro Bot pour la caméra et l'accessibilité."

À quoi jouez-vous quand vous ne travaillez pas sur Adorable Adventures ? Et que recommanderiez-vous aux joueurs en attendant la sortie ?

DamienJe joue à énormément de jeux différents, j'écris même des articles. Mais le jeu que je recommande, et qui nous a inspirés, c'est A Short Hike.

CélineMoi, je fais souvent une pause écrans en regardant mes enfants jouer. Le jeu qui m'a le plus marquée récemment, c'est Astro Bot. On aimerait s'en inspirer pour la caméra et l'accessibilité : Adorable Adventures doit pouvoir être joué par des enfants ou par des personnes qui ne jouent pas beaucoup.


Si vous deviez inviter un joueur à entrer dans votre forêt, quel conseil lui donneriez-vous pour profiter pleinement de l'expérience ?

DamienPrenez votre temps. Profitez du monde.

CélineC'est ce qu'on a vécu la Paris Games Week : on met un casque au joueur et le plus beau compliment, c'est quand il n'a besoin de rien. Qu'il s'amuse, qu'il suive la quête ou qu'il remplisse son herbier. Il y a plusieurs manières de vivre l'aventure.

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Tribune libre