Presse Start : Le Crépuscule des Vieux
25 oct. 2020

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L'Encyclopædia Universalis de la presse spécialisée arrive en librairie : 400 pages d'enquêtes passionnantes, serrées et sans photos. 400 pages pour 40 ans de presse jeux vidéo. 400 pages qui couvrent chronologiquement les tous débuts des années 80, quand les jeux vidéo étaient testés dans les revues de... jeux de plateau. Mais aussi les années d'or de la fin des années 90. La crise des années 2000. Et la catastrophe récente de Presstalis.

Si vous aimez les jeux vidéo, vous aimez la presse. La presse papier comme le vénérable et formidable Canard PC. La presse Internet comme Gamatomic. Voire la presse mythique des années 80 et 90, les Joypad, Player One, Consoles Plus. La presse écrite avec sa mise en page éclatée, ses photos fixes, ses textes de passionnés autodidactes pas toujours bien écrits (ni très bien relus). Avec la patience de paléontologues, les auteurs Boris Krywicki (assistant et chercheur au Département Culture, Médias et Communication de l'Université de Liège) et Yves Breem (MO5.Com) ont écumé les conférences, interrogé les journalistes, rouvert des vieux dossiers pendant 5 ans. Et mis les pieds dans le plat : quid des collusions entre journalistes et éditeurs ? Des notes ? Du machisme ? Des salaires d'hier et d'aujourd'hui ?

Ce livre énorme offre une rétrospective vertigineuse sur le jeu vidéo et les joueurs dont les attentes ont changé au fil des décennies, des consoles et des jeux. Les gamers des années 80 ne sont plus ceux des années 2000. Le milieu s'est professionnalisé. Finis les magazines type Gameplay RPG lancés par un Georges « Jay » Grouard âgé d'à peine... 19 ans. Extrait : « Dans les revues des années 1990, les articles sont désormais rédigés comme si les journalistes s'adressaient à leurs copains, avec un humour potache digne des cours de récré, ce qui séduit un lectorat souvent d'un âge proche. Mathieu Triclot, de l'Université de Technologie de Belfort Montbéliard, opère d'ailleurs une analogie entre ce nouveau style et la période actuelle lors du colloque "La presse de jeu vidéo francophone" : "Quand je lis les Gen4 de l'époque, j'ai l'impression de voir les youtubeurs d'aujourd'hui". »




- Les auteurs se sont beaucoup intéressés aux enjeux économiques du secteur, comme ici avec l'impact des notes sur le (dé)référencement des jeux en boutique. -


Changement d'époque et de ton avec les années 2000. Le presse se professionnalise, affronte de graves problèmes de rentabilité. Elle s'industrialise même avec l'ascension puis la chute de la très mal aimée maison Future, qui aura marketé la presse (deals de couverture, notes, goodies...) au détriment de la qualité éditoriale. Les gamers ont aussi abandonné des titres (l'audacieux Background tombé au champ d'honneur après 11 numéros). Puis soutenu des auteurs – le financement participatif actuel sauvant des titres, notamment face aux scandales de la distribution. Via le prisme de la consommation d'actualité, ce sont différentes époques qui se succèdent avec un mélange de passion, de nostalgie et de regrets. Des pages riches en anecdotes qui raviront les gamers les plus vieux.

Gamatomic compte quelques anciens de la « presse spé », des pigistes de la grande époque. Pour eux, comme pour les gamers les plus vieux qui étaient ados dans les années 80 et 90, cette encyclopédie est une madeleine de Proust formidable. Les 200 premières pages font revivre des moments – et des conflits ! – qui risquent de passer au-dessus de la tête des joueurs plus jeunes. Soyons clairs : la première moitié de ce pavé va surtout intéresser les nostalgiques, notamment ceux qui ont peut-être rêvé un jour de devenir « testeur de jeux vidéo ». Tandis que la dernière partie, Chapitre 11, est trop légère pour intéresser les gamers les plus jeunes – les influenceurs et youtubeurs sont à peine traités, bien que certains comme Gia To et Julien Chieze viennent de la presse écrite. Ou que Canard PC ait ses chaînes Twitch et Youtube – impensable il y a encore quelques années, tant les journalistes de la « presse spé » méprisent ouvertement ce type de média instantané.




- Seulement deux couvertures sur 400 pages... où sont passées toutes celles-ci dans le livre commercialisé ? -


Autre défaut : les illustrations sont rarissimes. Pas de scans de magazines ni de couvertures – difficile de se projeter dans les années 80 ou 90 sans voir les maquettes horribles qui affoleraient n'importe quel maquettiste aujourd'hui. Plus dommage encore, aucune photo des locaux. Des salons. Des journalistes. Des magazines eux-mêmes. Visuellement : à quoi ressemblait un chemin de fer, quand toutes les pages du magazine étaient mises à plat et ordonnées ? Une mise en page dans les outils de l'époque, écran cathodique inclus ? Un bouclage ? Le passage chez l'imprimeur ? L'E3 des débuts, voire le très décédé European Computer Trade Show ? Pas d'images, à part un édito, un ours (mentions légales) et seulement deux couvertures sur 400 pages. Et ce malgré les 70 journalistes interrogés, sûrement blindés d'archives photographiques passionnantes, auquel le livre rend hommage dans ses toutes dernières pages. Bref, il faut aimer les murs de textes et la nostalgie – c'est notre cas, à vous de voir si c'est le vôtre.

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