Dossier | Visite chez White Birds Productions
18 juin 2004

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Le studio White Birds Productions a été fondé il y a moins d'un an autour d'une équipe, qui pour la plupart de ses membres a travaillé avec la complicité de Benoît Sokal depuis 98 sur L'Amerzone et les deux Syberia. Cette démarche a amené à la création d'un studio de développement indépendant, à taille humaine : White Birds, qui œuvre en ce moment sur Lost Paradise.

Interview de Michel Bams et Benoît Sokal.

Le studio White Birds Productions a été fondé il y a moins d'un an autour d'une équipe, qui pour la plupart de ses membres a travaillé avec la complicité de Benoît Sokal depuis 98 sur L'Amerzone et les deux Syberia. Cette démarche a amené à la création d'un studio de développement indépendant, à taille humaine : White Birds Productions, qui œuvre en ce moment sur Lost Paradise.

- Michel Bams, responsable marketing, est chargé de trouver les éditeurs des jeux développés par le studio, puis d'assurer le suivi du pré-lancement du jeu avec l'éditeur. Il occupe ce poste depuis 1992, chez Sega, puis chez Microïds, où il rencontre Benoît Sokal. Son jeu favori reste The legend of Zelda : Ocarina of Time, sur N64.

- Benoît Sokal, auteur de BD (Sanguine, Silence on tue, Le viel homme qui n'écrivait plus), scénariste et directeur artistique, supervise le développement de Lost Paradise. A terme, il envisage de réaliser en BD les jeux qu'il va sortir, non pas en simple adaptation mais en complément ou avec une idée originale.
White Birds n'a pas encore un an ; pouvez-vous présenter ce studio ?

Michel : White Birds, c'est une dizaine de personnes qui occupent les postes clés de la chaîne de production d'un jeu. Si le studio n'emploie pas 35 personnes comme il est nécessaire pour la complète élaboration d'un jeu, c'est pour pouvoir vivre à son rythme et surtout se concentrer sur les projets qui nous tiennent à cœur. Un studio de 35 personnes doit fournir du travail pour chacune d'elle en permanence, ce qui implique qu'il faut enchaîner les jeux. White Birds ne veut pas devenir ce genre de studio, à la limite du studio-éditeur, mais veut se distinguer comme étant un label de jeux d'aventure.


Ce ne sont tout de même pas uniquement ces dix personnes qui vont faire le jeu ?

Michel : Non, chacun occupe un poste de lead : lead artist, lead developer, game designer… Le reste est sous-traité dans des studios européens. C'est actuellement la meilleure solution ; faire l'inverse serait fatal pour le studio. C'est d'ailleurs ce qui a tué les studios français ces cinq dernières années.


C'est-à-dire ?

Michel : Le marché du jeu vidéo a été surcapitalisé. L'engouement a été énorme au niveau boursier. Du coup, avec l'éclatement de la bulle Internet, tout s'est effondré.


Comment voyez-vous l'avenir des studios français ?

Michel : La France et l'Europe vont mettre en place un système d'aides et de subventions, comme pour le cinéma. Ces aides permettront aux studios français d'affronter le marché mondial. Le jeu vidéo est enfin devenu une industrie de bien culturel. La sous-traitance dans les pays asiatiques à la Nike n'est pas la solution. Il faut continuer à préserver les studios français et européens, les jeux doivent être faits ici.
White Birds se porte donc bien. Quels sont les projets actuels ?

Michel : Pour le moment Lost Paradise représente le plus gros de notre travail. On bosse dessus depuis octobre 2003, et nous finissons la pré-production dans quelques semaines. La production même du jeu, c'est-à-dire toute la fabrication à partir des éléments que nous aurons déterminés durera jusqu'à la fin de l'été 2005. Logiquement, notre éditeur devrait faire sortir le jeu entre septembre et décembre 2005.

Nous avons cependant quelques idées pour la suite, mais rien encore de très précis… Il s'agirait d'un film et d'un jeu à la fois. Mais comme nous n'avons encore jamais rien réalisé dans le domaine cinématographique… Cependant, le constat actuel est que la chaîne de production d'un film en image de synthèses et d'un jeu est de plus en plus similaire ; c'est pourquoi cette idée nous semble tout à fait réalisable, avec l'aide de professionnels du cinéma bien entendu.
Parlons un peu de Lost Paradise ...

Michel : Lost Paradise est clairement un jeu grand public. Toutes les catégories de tous les âges sont représentées dans le panel de Syberia, il en va de même pour Lost Paradise.

Benoît : Celui qui a aimé L'Amerzonepuis Syberia 1 et 2 ne sera pas surpris par Lost Paradise. On reprend les éléments qui ont fait le plaisir des joueurs et on les améliore, petit à petit. Il faut arrêter de croire que chaque jeu est une révolution, où tout change. Non, c'est tout simplement une amélioration progressive en tenant compte des technologies qui évoluent, dans de nouveaux environnements. On a de plus tenu compte des critiques entendues à propos de Syberia 2, mais vous savez, c'est très dur de les traduire ; certains joueurs disent par exemple ne pas aimer les aller et retours dans certains mondes, mais, paradoxalement, ils disent avoir besoin de ressentir la notion d'espace. Au final, on essaie d'équilibrer au mieux le jeu ; nous essayons de savoir quand le joueur va s'ennuyer. Notre but est de ne jamais le faire décrocher.

Michel : Ce sont à chaque fois de petites évolutions qui font un nouveau jeu. Il ne faut pas oublier que ce sont des jeux qui ont pour origine les idées de Benoît. Dès lors, c'est sa patte que l'on retrouve dans chacun d'eux, sans oublier qu'il supervise l'ensemble du travail graphique et scénaristique du jeu.

Bien sûr, quelques améliorations notables seront intégrées à Lost Paradise. Le moteur de dialogues de Syberia est un des points que nous avons totalement retravaillé. Ce ne sera plus une liste de mots cliquables que le joueur pourra à loisir faire répéter, mais un système d'objets associés à des notions. Nous n'avons pas encore déterminé la mécanique précise mais l'idée est là.

Benoît Sokal

Comment vous est venue l'idée du jeu ?

Benoît : C'est un peu un rêve d'enfant. J'ai grandit entouré de gens qui étaient en rapport avec le Congo Belge ; je rêvais une Afrique idéalisée, Tintin au Congo y a beaucoup contribué. Le joueur se retrouve donc plongé dans une Afrique sub-saharienne, le cœur du jeu se passant dans un décor à la Out of Africa, avec certes un côté fantastique, mais dans un environnement plausible, réaliste.


L'héroïne, nouvelle drogue dure du jeu vidéo ?

Benoît : Le choix d'une femme comme héros n'a rien de stratégique. L'immersion du joueur est ce qui est le plus important pour nous. Une femme incarne peut-être le côté subtil de ce genre de jeux, mais le choix s'est fait sans réflexion. L'ambiance générale est faite pour plaire à un public assez large.
Le personnage évolue au cours du jeu, il change, il a des doutes, il réagit par rapport à ce qui lui arrive… Il nous fallait un personnage faible à la base pour pouvoir le faire affronter toutes ces péripéties.


Comment voyez-vous l'après Lost Paradise chez White Birds ?

Michel : Lost Paradise, comme l'a dit Benoît, n'est pas en rupture avec L'Amerzone et Syberia. C'est leur continuité, au moins au niveau du concept. Le jeu d'aventure est un genre très intéressant à développer, et Lost Paradise en est une phase. Je veux dire par là que nous essayons, petit à petit, de nous orienter vers des jeux où la linéarité disparaît pour laisser place à une un équilibre d'action et aventure. Nos prochains jeux iront dans ce sens.


Et pour le on-line ?

Michel : La problématique du on-line est double. Soit on propose un jeu où plusieurs personnes jouent en même temps dans la même aventure, soit on propose un jeu on-line monojoueur.
Dans le premier cas, il faudrait dépasser le style de jeu que l'on connaît déjà pour accéder à un jeu plus riche, avec de véritables énigmes. Le problème résiderait dans une trop grande liberté, comme dans les MMORPG, où les quêtes peuvent être illimitées mais sont assez simplistes.

Dans le second cas, où le joueur est seul, on ne peut pas proposer un nombre infini de mondes à explorer. Le principe du jeu d'aventure est le même que celui d'une BD ou d'un film : il y a un début et une fin. In Memoriam est un jeu que nous trouvons fascinant car il a su créer une intrigue sur le net, poussant le joueur à résoudre des énigmes on-line.


Retrouvera-t-on cette idée dans Lost Paradise ?

Michel : Pas réellement. Mais à terme, dans nos prochains jeux, pourquoi pas ?

Rencontre avec les game designers

- Emmanuel Dexet a quitté le secteur bancaire il y a dix ans pour devenir game designer. Il est passé par plusieurs studios avant d'arriver chez White Birds, et a – entre autres – travaillé sur le sympathique Trackmania. Son rôle sur Lost Paradise est de définir tout ce qui est possible de faire ou de ne pas faire pour le joueur, comment, dans quelles conditions, mais aussi de déterminer la place de chaque objet, l'animation qu'il provoque avec telle ou telle action, etc. « La logique est primordiale» ajoute-t-il. (NDLR : Nous développerons très prochainement la notion de game design avec Pascal Luban de Game Design Studio)

- Cyrille Baron est quant à lui arrivé plus récemment dans ce milieu, puisqu'il était auparavant de l'autre côté du miroir, en tant que rédac chef de Joystick pendant six ans. Il s'occupe à présent du 'walk through' (prononcez [ouolksrow]), c'est-à-dire le scénario extrêmement détaillé du jeu, tout ce qui est à faire pour en arriver à bout. La soluce géante en quelques sortes.


Parlez-nous un peu de votre job chez White Birds ...

Cyrille : C'est énorme, je ne pensais pas que ça prendrait autant de temps ! Rien que pour le premier monde, ça m'a pris deux mois et 300 pages. Il faut tout détailler, tout ce que le joueur voit, ne voit pas forcément, tout ce que le personnage fait, et surtout comment il le fait. Le plus long est d'écrire tout ça.

Emmanuel : En fait, Cyrille fait ça sous forme de texte géant. Pour ma part, je donne les propriétés de chaque objet, pour que ceux qui compileront sachent exactement comment le faire. Prenons l'exemple d'une chaise. Eh bien, il faut déterminer sa hauteur exacte, pour que l'animation, si le perso s'assied, colle parfaitement… En fait, toutes les chaises ont la même hauteur mais l'angle de vue et la distance font varier la perception du joueur. Toujours est-il qu'il faut tout décrire. C'est pareil pour les actions : que se passe-t-il si au lieu de prendre un véhicule le joueur décide de suivre la route à pieds ? Et la pierre qui est ramassée, elle est prise avec quelle main ? Sous quel angle ? Il s'agit de décrire tout ce qui est possible de faire dans ce monde, avec ses lois physiques, mais aussi tout ce qui n'est pas nécessaire. L'indispensable, c'est Cyrille qui s'en occupe.

Cyrille : On définit en fait tout le gameplay. Benoît nous a donné un scénario, et quand le gameplay exige certains angles de caméra, ou que la logique manque, on en discute tous ensemble. Comme chacun vient d'horizons différents, ça apporte beaucoup à l'ensemble du travail. Là où White Birds a vraiment fait fort c'est en divisant le poste de game designer en trois : on travaille beaucoup plus vite et beaucoup plus efficacement ainsi.
Le choix d'une héroïne pour Lost Paradise, qu'en pensez-vous ?

Emmanuel : Je ne pense pas que ce soit un choix stratégique. Dans Syberia, il s'agissait déjà d'une femme, et, à la limite, je préfère.

Cyrille : Je préfère aussi clairement jouer avec un personnage féminin que masculin. On en voit bien assez dans les autres jeux, et généralement ce sont de vrais bourrins. Lost Paradise est un jeu plus fin, peut-être que le personnage féminin reflète davantage le côté réflexion. Et puis ce n'est pas Lara Croft : notre personnage est bien plus naturel et moins caricatural.

Emmanuel : C'est vrai que ça contribue beaucoup à l'immersion.


Comment ressentez-vous le marché français du jeu vidéo actuellement ?

Emmanuel : Ce n'est pas compliqué. Aujourd'hui, lorsqu'on veut acheter un jeu, on ne trouve que des clones. Les éditeurs n'osent plus sortir des jeux originaux, ils ne cherchent plus que les bénéfices. Quand ils ont vu le succès de Half-Life, ils ont tous eu envie d'avoir leur FPS. On ne trouve plus que ça. Le marché s'est réellement restreint et c'est dommage. Pouvoir développer des jeux comme Lost Paradise est un vrai plaisir quand on voit ce qui est proposé aux joueurs. Et ce n'est pas la faute des game designer car ils ne demandent qu'à faire des jeux créatifs et originaux.


À ce sujet, que pensez-vous des écoles de jeux vidéo ?

Cyrille : Je trouve ça dommage, même si l'idée n'est pas forcément mauvaise, de vouloir restreindre certains métiers du jeu vidéo à un cursus… En fait, dans ces écoles, on ne peut pas réellement t'apprendre à faire du game design, puisque chaque jeu a son propre game design, et à chaque fois c'est une création originale. Imaginons un instant que tous les diplômés qui sortent de cette école créent à chaque fois le game design qu'ils ont appris ? Dans ce cas, il n'y aura plus qu'un seul studio et un seul type de jeu.

Emmanuel : Le meilleur moyen pour intégrer un studio reste les stages. Chez White Birds on a tous une histoire différente. L'autre problème est que vu le marché actuel, sur chaque promo de ces écoles, seuls quelques uns trouveront une place. Mais le game design reste le boulot le plus sympa dans le développement d'un jeu ; contrairement aux idées reçues, la programmation n'est pas nécessaire à tous les postes, regarde Cyrille, il vient de la presse.
Pour conclure, votre jeu favori ?

Cyrille : La question qui tue ... Je dirais Morrowind, Flight Simulator, Far Cry, Thief 3, … Je peux pas t'en donner qu'un.

Emmanuel : Morrowind aussi, et Neverwinter Nights, pour rester dans les jeux à peu près récents.


Merci à tous les quatre pour votre contribution et rendez-vous fin 2005, pour la présentation de Lost Paradise.
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