Test | The Evil Within
12 nov. 2014

La peau sur les os

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The Evil Within

Très attendu, The Evil Within a pour vocation de redéfinir le niveau des survival-horror du moment. Avec comme papa Shinji Mikami qui est à l'origine de la série des Resident Evil, on ne pouvait qu'espérer un retour fracassant du genre. C'est les yeux rivés sur votre torche que vous allez vous dépêtrer de cet univers où flottent dans l'air une odeur de sang mais aussi, hélas, un léger parfum de désuétude.

L'histoire

Immanquablement, la première scène du jeu est si ce n'est une référence, un honneur à Resident Evil premier du nom. Clin d'œil acceptable, qui vous allez vite le comprendre ne s'arrête pas là. En effet, l'histoire démarre quelque part en occident, mais dans cet occident vu du Japon : un ville qui mêle à la fois architecture moderne et ancienne (un croisement entre gothique et époque Victorienne), un héros du genre bon flic mais au passé tourmenté par la mort de sa fille, et de jeunes partenaires à protéger. L'équipe déboule dans un manoir transformé en hospice en plein centre ville. Des cadavres jonchent le sol, et une étrange présence fantomatique apparaît : première rencontre avec votre Nemesis, qui a la faculté de vous tuer d'un simple contact avec son doigt.

Vous fuyez avec un patient, un tremblement de terre secoue la ville, votre fourgon fait une embardée, vous vous évanouissez... Pour vous réveiller à l'extérieur de la cité, en pleine forêt, par une nuit plus noire que votre destin, avec pour seule défense vos poings et un pistolet au chargeur très limité. C'est d'autant plus inquiétant quand les villageois que vous croisez ont des clous plantés dans le crâne et veulent à tout prix goûter à votre petit cou. Vous voilà au cœur de l'enfer sur Terre, crasseux, hostile, taillant votre route à travers la chair en putréfaction pour traverser quelques villages, cimetières, bâtisses et sous-sols, dont l'enchaînement n'a pas de sens. Vous revivez en réalité des souvenirs, qui ne vous appartiennent pas...
Hôpital psychiatrique, expériences, horreur, c'est reparti

Le principe

Finalement, je vais prendre la porte de derrière.

Alors que le macabre tableau est posé, votre instinct premier est celui de survivre. Très vite, vous comprenez que vous ne valez pas un clou au combat au corps à corps. Pour garder la vie, gardez vos distances. Gardez également le silence : la moitié du jeu se déroulera à croupi, marchant lentement pour ne pas éveiller l'attention et planter par surprise votre couteau dans la cervelle de votre ennemi. En classique vue à la troisième personne, vous explorez un environnement clos (un village, un manoir, un sous-sol...) jusqu'à comprendre comment progresser. Cela passe par l'activation de leviers pour déverrouiller une porte, ou la destruction d'un boss. Si le combat par les armes est privilégié, le jeu vous incite très tôt à vous dissimuler. La peur atteint alors son paroxysme quand un ennemi assoiffé de sang vous cherche dans les couloirs déserts d'un hôpital et que vous l'observez à travers les fentes d'un casier. C'était d'ailleurs le parti pris de l'excellent Outlast, qui ne reposait que sur la survie et la dissimulation sans jamais mettre une arme dans les mains du joueur. Hélas, The Evil Within semble hésiter et ne tranche pas clairement son choix. La majeure partie du jeu occulte cet aspect au profit de combats directs. Notre héros se construit un inventaire d'armes assez complet, allant jusqu'au fusil à lunettes.

L'arme la plus intéressante reste cependant l'arbalète, que vous pourrez équiper de carreaux spéciaux fabriqués à base de pièces détachées ramassées en chemin : explosifs, glacés, perçants, piégés, ils seront vite la clé de votre survie face à des ennemis vifs et coriaces. Si vous profitez habilement de l'environnement, de nombreux pièges vous permettront d'économiser vos rares munitions. Cependant ne vous attendez pas à des combats épiques, entachés par une maniabilité digne de... Resident Evil. Avec un personnage lourd, incapable de se retourner facilement, affublé d'une caméra facétieuse, contraint par des mouvements scriptés tout sauf naturels, vous n'aurez absolument pas la sensation d'être dépaysé. À côté, Léon dans Resident Evil 4 a l'air d'un cabri en liberté. Shinji Mikami a voulu renforcer l'aspect cinématographique du jeu avec des séquences où le héros n'a pas ses facultés maximales mais c'est raté : bien souvent vous aurez la désagréable impression de vous débattre au fond d'une piscine avec les mains attachées dans le dos.
Pour les yeux dans le dos, on repassera

L'ambiance

Kubrick doit se retourner dans sa tombe.

Arrêtons-nous un instant sur l'aspect visuel et sonore du jeu. Pour revenir à la question cinématographique, il faut savoir que le jeu se joue en 2.5:1, un ratio plus étroit que le 16/9 qui rogne près de 30 % de votre écran. Déroutant, car vous passez beaucoup de temps à incliner de haut en bas votre champ de vision pour être certain de ne rien manquer. Par-dessus cela s'ajoute un aspect très sale de l'univers du jeu. Tout semble abandonné, pourri, mais avec une surcouche organique. Les murs saignent, par exemple. Les cadavres ne sont pas secs mais luisent de pus. Et les effets sonores quand vous marchez dessus sont là pour le confirmer.

Globalement, The Evil Within est gore, très gore. Tellement qu'il se déclenche chez le joueur un phénomène assez intéressant de blocage, voire de rejet. Le jeu est tellement sale qu'il en devient amusant. Le héros ne cesse de tomber dans des trous sur des piles de cadavres en putréfaction, de se faire vomir dessus par des monstres de laboratoire, ou de voir des ennemis trucider des personnes encore saines. Mais au final, vous faites abstraction. Trop de gore tue le gore, et sans un minimum de retenue, il n'a plus aucun intérêt. L'ambiance stressante du début s'évanouit comme une marre de liquide corporel pour ne laisser place qu'à l'indifférence. Avec un bestiaire limité, des textures qui semblent dater, un univers que l'on jugerait dérivé de Resident Evil 4, la surprise se dégonfle et vous avancez en comptant vos balles.
Sang pour sang gore

Pour qui ?

Ce type a définitivement du plomb dans la cervelle.

Impossible de passer à côté du titre pour tout fan des Resident Evil, vous l'aurez compris. Pourtant, impossible de ne pas être déçu quand on connaît justement bien la série. Surtout que Shinji Mikami a à son actif des titres bien plus nerveux comme Killer 7. Le choix de la lourdeur du système du jeu combiné à l'ambiance excessivement gore a pour objectif d'installer une peur dérangeante chez le joueur. Malheureusement il n'en n'est rien. C'est davantage la lassitude d'une prise en main poussive et désuète qui prend le dessus. Mis à part ce fait, si vous vous accrochez correctement, la richesse des environnements et leur équilibre vous permettent de poursuivre avec envie de chapitre en chapitre. Il faut reconnaître quelques passages angoissants, qui avec les effets audio vous feront pousser quelques cris. Notamment lorsque vous vous démenez dans un sous-sol qui pourra devenir votre tombeau si vous ne parvenez pas à couper les valves de gaz mortel à temps, pendant qu'un gardien qui ressemble à un boucher s'étant vissé une conserve sur la tête vous chasse avec sa tronçonneuse. Mais attendez-vous à voir la surprise arriver de derrière vous ; vous savez, cet endroit que la caméra ne veut pas vraiment vous montrer...
De la viande trop peu nervurée

L'anecdote

♪ Kum bay ya, my Lord ♫

Bien des passages de The Evil Within méritent le détour. Le premier boss rencontré au cœur d'un village en ruines par exemple, qui vous fera connaître une mort violente sauf si, petit malin, vous le transpercez grâce à un piège activé dans l'une des maisons. Jouissance éternelle que d'avoir économisé vos maigres munitions. À contrario, un bucheron géant vous fonçant dessus tel un taureau enragé ne voudra bien s'écrouler qu'après avoir encaissé quelques grenades et flèches explosives. Si dans bien des jeux vous retrouverez les munitions adéquates au chapitre suivant, il n'en n'est rien ici : s'en suivra de longs moments de survie où chaque balle compte. Ainsi, dans bien des situations, ma fidèle petite boite d'allumettes m'a été salvatrice. Un coup bien placé met à terre l'ennemi pour quelques instants : tout juste ce qu'il vous faut pour craquer une allumette et l'enflammer. Dans la vidéo ci-dessous, vous trouverez quelques extraits de ma partie et constaterez que la caméra pose souvent un vrai problème.
Un bon ennemi est un ennemi carbonisé
Les Plus
  • Long et varié, même si comme un air de déjà vu
  • Le son contribue grandement à l'ambiance
  • Des scènes bien stressantes
Les Moins
  • Un Resident Evil 4.5
  • La maniabilité des années 2000
  • Action ou survival ?
  • Le classique système d'amélioration de compétences
  • Vous mourez beaucoup trop
Résultat

D'un côté, nous avons un jeu globalement plaisant, qui propose un level design classique mais intéressant, une ambiance certes abusivement sale mais suffisamment travaillée pour inquiéter, et quelques passages relativement excitants qui poussent à progresser. De l'autre côté des faiblesses plombent un peu le constat, avec une incapacité à décider entre un jeu d'action ou un jeu de dissimulation, ainsi qu'une forte tendance à vous faire mourir pour apprendre (ce qui a le mérite d'agacer). C'est en demi-teinte que vous avancez dans les (nombreux) chapitres, oscillant entre la satisfaction du devoir accompli et la lourdeur d'une maniabilité dépassée. Un petit arrière-goût de regret, comme si le poids du passé de Shinji Mikami était trop lourd pour faire table rase de ce qui était à un moment la clé du succès. Mais entre-temps, d'autres titres plus humbles sont passés par là, Outlast en tête.

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