Test | Derrick : Meurtre dans un Parterre de Fleurs, la rose (fanée) du vidéoludisme
27 juin 2011

Testé par sur
Derrick

Il y a toujours une appréhension à tester un jeu à licence. Vous pouvez vous dire que l'éditeur va surfer sur le succès d'un film ou d'une série, que le travail sera bâclé, et que le fan novice achètera un jeu frelaté quoi qu'il arrive tant qu'il s'agit de son héros préféré. Aussi, j'en connais beaucoup qui dévaluèrent et dénigrèrent les possibilités offertes par l'adaptation de Derrick en jeu vidéo. Balayé d'un revers de la main par de nombreux néophytes, je ne pu me résilier à hurler avec les loups en crachant sur le visage de l'inspecteur le plus célèbre d'Europe depuis l'antiquité. Et dans le fond, comme les plus acharnés d'entre vous, je me suis dit : comment peut-on surfer sur la vague Derrick ? Y'a-t-il seulement jamais eut un vague Derrick ? Peut-on bâcler Derrick, où est-ce là un fin oxymore ou au contraire une lapalissade facile ? Devant ces questions purement rhétoriques, je me rassure. Ce ne peut être que l'œuvre de concepteurs tellement honnêtes et sincères qu'ils sont prêts à passer du temps sur un titre pour pas un radis. Ce constat enchanteur nous met au pied du mur : ont-ils respecté l'âme et la réserve un tantinet frigide de la série germanique, ou ont-ils brader les tripes munichoises pour mercanti dans une foire à la saucisse du sensationnalisme ?

L'inspecteur inspecté

L'immortalité existe, et certains hommes l'ont atteinte. Là où les plus grands sceptiques se vautrent dans un matérialisme rationnel et rassurant, je sais que quelque part, ignorée des cartes, cachée de Google Map par une enclave électromagnétique, il existe une île secrète et mystérieuse où les plus grands de ce monde se sont retirés pour couler des jours paisibles. Ainsi, Adolf Hitler et Kurt Cobain joueraient à la roulette russe autour d'un plat de riz créole, alors qu'Elvis apprendrait de nouveaux pas de danse par Sir Yvan-Chrysostome Dolto – alias Carlos – sur un fond de Tireli-pimpom, le tout sous l'œil bienveillant d'un Peter Falk racontant ses vieilles enquêtes colombesque à un Horst Tappert attentif, l'un sirotant un whisky du meilleur cru pendant que l'autre descend son schnaps éventé paisiblement. Alors qu'Auk, le big boss, et toute la rédaction de Gamatomic me disent : "Mais tu es stone DarkFramboisier, tu ne sais plus ce que tu dis, tu es ivre, tu nages la brasse dans les plantes vertes...", je voudrais croire à un signe. Leur ténacité encroutée érodant légèrement ma conviction, si pure, qu'elle flirte avec la dévotion pieuse, je finis par recevoir dans ma boite aux lettres un étrange paquet. Oblitéré d'un symbole cabalistique recouvrant l'énigmatique timbre d'une contrée absolument inconnue du monde futile, je ne puis m'empêcher de déchirer l'emballage précaire frénétiquement. Dedans, une galette, Derrick, Meurtre dans un Parterre de Fleurs, et je me dis que le signe du destin tant attendu est juste là, devant mes petits yeux criant des larmes de gratitude. Je me rue sur mon ordinateur, insérant frénétiquement le disque inespéré dans un lecteur avide de sensations fortes comme un jeune toxico qui va découvrir sa première dose d'héroïne.

Et là, c'est l'explosion, le burst, la claque, l'apothéose, le nirvana, la révélation, la transcendance. Quelques sigles d'éditeurs se succèdent à vitesse moyen-V. Tradewest, Prime Games, daedalic, ZDF Enterprises me tombent sur le coin du museau comme les co-signataires d'un attentat vidéoludique destiné à ébranler le God of War himself. Kratos tremble dans sa jupette à lamelles et ses sandalettes, les teutons viennent lui rappeler qu'ils sont devant les spartiates dans le classement des bouchers de l'histoire. Le générique – reprise impeccable du thème original par orchestre bontempiste – est entonné. Sobre, réservé, à l'image de l'inspecteur qui à bercé nos parents, nos grand-parents, et les parents de leurs parents. Quelques options, avant de se lancer dans l'aventure la plus épique depuis les récits de mythologie scandinave. Derrick est un dieu du Walhalla, l'Odin de Munich, l'incontournable Jörmungand de la télévision européenne, le sempiternel Mjöllnir qui assomma des générations de retraités. Après cette liste capilotractée de métaphores faciles qui ne restituent qu'un embryon avorté de la grandeur et la magnificence du totem outre-rhénanien, il s'agit de mettre mon onanisme teutonique en pause afin de vous livrer non pas un test de jeu vidéo, mais bel et bien un épisode incontournable dans la vie d'un être humain, la pierre angulaire de mon évolution et de mon accomplissement personnel. Voici l'expérience des expériences.

Harry, va chercher la voiture !

Un exemple de mini jeu fabuleux où vous devrez reconstituer cet objet insolite, qui a son rôle dans l'enquête. Cousu de fil d'or...

Vous ne pourrez que vous sentir immédiatement très investi dans le rôle du policier le plus charismatique depuis l'inspecteur Labavure, et dans la peau de ce dernier, vous serez pénétré par cette intrigue foisonnante et kaléidoscopique. Derrick reçoit un coup de fil d'Harry Klein, son Robin attitré, lui annonçant un terrible meurtre, celui d'un certain Aloïs Huber. Notre Allemand préféré doit d'abord retrouver son manteau et ses gants avant de se rendre sur la scène du crime. Je biche à mort devant cette amorce digne d'une intro de Bukowski, cette accroche aussi aguicheuse qu'un tapin à trois ronds fagoté chez Tatti, avant de comprendre à quel point l'éditeur à su capter la substantifique moelle de la plus grande série de tous les temps. Des plans fixes, dans des ton gris-verdâtre, parfaitement en adéquation avec le magnifique effet des caméras si typiques, au grain si singulier, des séries allemandes. On sent un travail de précision d'orfèvre effectué par les artistes autour du projet. Ces paysages dignes des impressionnismes d'un Van Gogh ou d'un Monet vous offrent deux possibilités d'action seulement : le clic sur l'objet réclamé par l'inspecteur, et le Drag-and-drop pour utiliser un objet ramassé en conjonction avec un autre. De temps en temps, vous pourrez constater un furtif mouvement dans l'écran. Peut-être un indice capital, ou l'attentat d'une bande de ninjas démons venant court-circuiter l'enquête tellement importante de l'Uber-inspektor. Mais il n'en sera rien ; une chouette, une grenouille cachée derrière un nain de jardin... Le soucis du détail, mais tout en gardant un certain calme permettant aux plus insomniaque d'entre vous d'y trouver une bonne dose de sommeil.

Côté scénario, un déluge stroboscopique d'informations toutes plus importantes les unes que les autres amèneront l'inspecteur à rencontrer une myriade (environ cinq en tout) de protagonistes haut en couleur dans des lieux nombreux et variés (environ sept ou huit), toujours en quête d'objets aussi insolites que pourvus de bon sens et d'une logique imparable. Ainsi, Derrick va devoir vider les poissons d'une mare à l'épuisette pour y trouver un nain de jardin fragmenté, ou encore devra-t-il coller trois chewing-gums sur un fil et un aimant pour récupérer des clés dans une bouche d'égout. La preuve que MacGyver n'avait rien inventé. Et que les choses soient claires, ces petits évènements sont gérés à la façon de mini-jeux, tous plus variés et passionnants les uns que les autres, affichant allègrement le bon goût des réalisateurs qui ont tenu à regrouper autour d'une même partie votre grand-mère atteinte d'Alzeimer, votre oncle lobotomisé, votre berger allemand paraplégique, sans pour autant que ces derniers ne coincent dans l'enquête. Un grand jeu pour toute la famille. Le tout soutenu grâce à une idée de génie des concepteurs : l'appareil photo Derrick, qui, toutes les 40 secondes environ, vous dévoile l'objet caché recherché si vous bloquez. Sorte de joker inépuisable qui vous évitera de perdre la finesse et la complexité de la trame au détriment de pixels mal-définis dans le florilège créatif des compositions fixes de haute-résolution. Un peu le Derrick Combo Breaker, ou encore la furie, l'attaque finale, la Fatality de l'inspecteur Munichois.

Bosch, du travail de pro !

Ne loupez pas la grande scène d'action finale, parfaitement résumée par cette image, qui montre que les effets spéciaux, c'est surfait !

Autant de techniques et d'exploits artistiques au profit d'un scénario ficelé comme un rôti de veaux un soir de fête de la bière, pour le plaisir de nos papilles de gourmets. Les scènes s'écoulent comme le ruissellement d'un bon kirsch bien fermenté. Enfin, ça, c'est la théorie, car dans la pratique, la version française risque de vous bloquer sur un problème d'écharpe bleue, car les programmeurs ont oublié d'implémenter l'interaction qui permet de prendre l'objet... Ceci pourrait paraître comme une honte et l'aveu d'un jeu vite bâclé et non testé, mais en tant que fidèle j'ai bien compris que d'oubli, il n'en était que nenni. Le téléchargement d'une version originale allemande vous permettra de passer ce petit désagrément avant de reprendre votre enquête. J'y vois plutôt la volonté maligne et consciente des programmeurs de vous faire jouer à Derrick dans sa langue d'origine.

Nous passerons brièvement sur des petits détails, comme le fait que certaines phrases ne soient pas traduites, ou alors très mal, avec d'étranges mutations de l'orthographe. Ainsi, un "macchabée" devient un "macabé" dans la bouche de Derrick, il ne fait pas un enquête "pour", mais une enquête "pouir", j'en passe et des meilleures. Vous comprendrez, comme moi, qu'il s'agit de fines astuces qui renvoient sans doute à des paradoxes torturés et triturés de la langue de Goethe. Il ne peut y avoir d'approximations linguistiques dans un jeu Derrick. C'est un dieu, je vous dis-je. Il écrit comme il veut, il fait comme il veut. Si Derrick te dit que "macabée" s'écrit comme ça, tu prends tous les Larousse de France, et tu corriges l'erreur. On oubliera également le fait que Derrick ne laisse aucun choix de dialogue ou d'interaction hors du script. C'est normal, c'est allemand, c'est carré. Le joueur ne va pas commencer à faire n'importe quoi dans l'enquête palpitante de la Kriminal Polizei.

Vous ne cesserez également de vous esbaudir devant les compositions musicales à l'image du reste, à savoir, ce degré de qualité si propre dans le respect de la sobriété de la série. Pouvant accompagner aussi bien votre sommeil que vos balades en ascenseur, la bande sonore a l'avantage de ne jamais vous rester dans la tête, les compositeurs ayant évité ce cliché de si mauvais goût, à savoir ces thèmes musicaux qui vous hantent au point de vouloir les mettre sur MP3 ou sur CD, d'en faire des reprises, pour les faire écouter à votre copine qui n'y comprend rien. Ici, vous pouvez rediffuser les thèmes dans votre salon pendant que votre grand-mère s'y décompose lentement, elle se sentira comme chez elle, pendant ces nombreux après-midis passés à mater en boucle les mêmes rediffusions des épisodes sacrés de l'inspecteur.

Enfin, comble du comble, Derrick est sadique. Car si son enquête est prenante, et qu'il est dur de lâcher la souris une fois les deux pieds dans le Strudel, l'aventure ne dure que deux petites heures maximum, ce qui vous rendra fou d'impatience en attendant une éventuelle suite encore plus extravagante et spectaculaire, si cela est possible. Fort a parier qu'il vous faudra changer la configuration de votre PC lors de cette future sortie d'ailleurs.
Les Plus
  • Parfaite transcription de la série
  • Harry va chercher la voiture !
  • La grenouille dans l'étang qui fait coucou, qui anime un peu un plan fixe
  • L'appareil photo Derrick qui sert de joker pour les plus nuls
  • On réapprend la grammaire et l'orthographe grâce à des traductions néologiques
  • La scène d'action finale restituée tout en plan fixe et dialogue uniquement
  • L'arme du crime
  • Les mini-jeux absolument LSD-ien
  • La musique composée par les fils spirituels d'André Rieux, Kenny G et Richard Clayderman
  • Vous aurez l'impression de sentir votre grand-mère par le biais du jeu
  • La subversité de l'œuvre
Les Moins
  • Trop court, on en reveut encore et toujours ! La suite !
Résultat

Je le dirai en ces termes : si avez regardez Derrick, vous êtes un déviant. Si vous voulez créer un jeu Derrick, vous êtes un malade. Et si vous voulez jouer au jeu de Derrick, vous êtes un punk !
Ne nous voilons pas la face, il y aura un avant et un après Derrick tant les concepteurs ont su coller parfaitement à l'ambiance si particulière de cette série tellement singulière. Tout y est, des couleurs ternes aux longues séances de plans fixes qui n'ont rien à envier à la nouvelle vague et les films de Jean-Luc Godard. Le tout servi par une intrigue qui a le bon goût de se partager entre quelques personnages, à la manière d'un bon épisode de Derrick, servi par des situations toutes plus cocasses et atypiques les unes que les autres. Bref, Derrick, c'est la bombe de l'été, le titre impérial qui domine le monde du jeu vidéo d'un nihilisme fainéant par sa certitude de n'avoir plus rien à prouver. C'est l'accomplissement total, l'épanouissement du joueur qui vous attend derrière chaque tirade de notre héros à tous. Et à titre personnel, la preuve qu'Horst Tappert est vivant, et qu'il a atteint, comme Charlie Oleg ou Garcimore avant lui, un degré d'existence supérieure au reste de l'humanité, en pouvant transposer son âme dans des CDs que seuls les fidèles les plus méritants et les plus assidus auront le droit de toucher. Derrick ist lebhaft, Derrick ist ein Gott!

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