Test | RoboCop : Rogue City
31 oct. 2023

Être ou ne pas être

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RoboCop : Rogue City
  • Éditeur NACON
  • Développeur Teyon
  • Sortie initiale 2 nov. 2023
  • Genre Action

Cela faisait 20 ans que nous n'avions pas eu d'adaptation de RoboCop. C'est pour le moins surprenant ! En effet, à l'annonce de RoboCop : Rogue City et en y réfléchissant un instant, voilà une idée qui, par ses thématiques et une exécution décente, avait tout pour faire mouche en 2023. Bonne nouvelle : la mission de Murphy est accomplie... et mieux encore !

L'histoire

Satire de l'Amérique de Reagan, les films RoboCop sont ainsi faits de contradictions et de doubles discours, au point d'avoir été en leur temps qualifiés de « gauchistes » ou, à l'inverse, de « pro-sécuritaires ». C'est en réalité une dichotomie que l'on retrouve dans l'essence même de ces œuvres (plus particulièrement les deux premières), ayant à la fois un statut de superproductions hollywoodiennes et de films d'auteur – qui, avouons-le, a plutôt été acquis par la suite. Pour tout dire, et afin de montrer à quel point le "paradoxe RoboCop" va loin, le testeur responsable de cette critique avait, dès ses plus jeunes années, une certaine fascination pour ce flic-robot qui – a posteriori – n'était pas vraiment de son âge. Parce que oui : RoboCop est violent, et Rogue City l'est tout autant.

Fidèle aux films et se déroulant entre les deuxième et troisième volets, le titre de Teyon nous place évidemment dans la peau du policier devant faire régner l'ordre (et parfois enquêter) dans un Detroit malfamé. L'un des principaux problèmes n'est autre que la nuke, la drogue à la mode, mais aussi – à l'instar de ce qui se passe dans les trames d'antan – les entreprises et même plus généralement les corporations ainsi que la corruption. Au final, le gang des Vautours ne sera qu'un problème parmi d'autres. Toujours est-il que Rogue City fait preuve d'un dévouement bienvenu et plutôt déconcertant de prime abord – hélas légèrement tiré vers le bas par la technique, mais nous y reviendrons.
« Excusez-moi, le devoir m'appelle. »

Le principe

Vous retrouverez des clins d'œil, des personnages, mais aussi Peter Weller qui reprend son rôle.

Pourtant, le plus intéressant ne se situe pas ici. Ce qui nous rendait initialement curieux, c'était surtout le statut même du jeu, ce qu'il signifie par sa simple existence. En effet, Rogue City récupère quelque peu l'idée du film d'origine. Sorte de faux blockbuster, il ne brille pas spécialement techniquement mais a pour paradoxe de tourner sur le dernier moteur à la mode (l'Unreal Engine 5). De plus, il voit son apparente bêtise être appuyée par son genre tourné vers l'action – ici agrémenté d'enquêtes simplistes. Ce côté exutoire, c'est finalement ce qui donne à l'expérience un caractère ultraviolent (comme l'œuvre d'origine, si ce n'est plus compte tenu du médium) et dans l'air du temps.

Mais l'œuvre pose aussi cette autre question, toujours fascinante avec le jeu vidéo : est-ce que l'identification à un personnage change tout ? C'est le côté astucieux de ce titre étonnant dans le fond, qui s'assume pleinement comme un objet d'incarnation, de consumérisme et de pulsions brutales, tout en le justifiant de la façon la plus simple qui soit : vous êtes RoboCop, et force est de constater que ce cher Murphy ne pourrait de toute façon pas faire grand-chose d'autre vu sa condition. Une chose brillante est alors d'humaniser la liaison avec le joueur en jouant sur la lenteur, la perception, les hallucinations, les choix... Bref, faire en sorte que l'utilisateur fasse corps avec la machine, sur le plan narratif mais aussi à travers les touches de son périphérique.
Je pense, donc je suis.

Lorsque vous visez avec la gâchette, un filtre CRT donne encore plus l'impression d'être RoboCop.

C'est d'ailleurs l'un des sujets initiaux de RoboCop (le héros étant souvent comparé à une boîte de conserve) : est-il lui-même, l'ancien officier Alex Murphy, ou un simple robot ? Rogue City répond indirectement à cette question en plongeant le joueur dans la peau du cyborg, puisqu'il n'y a pas plus humains que la sensation de l'être. Bien sûr, durant les phases d'action, la symbiose adopte une autre forme. Les développeurs ont dû ruser pour intégrer des passages mettant le joueur à l'épreuve alors qu'il se trouve dans une armure de titane. De ce point de vue et à l'instar de ce que l'on observe dans les films, le sentiment de puissance est conséquent. Grande faucheuse faite de métal, RoboCop tire sur tout ce qui bouge, à son rythme et en prenant assez peu de dégâts (rassurez-vous, il faut se soigner quand même de temps en temps).

Tout cela prend une tournure génialement absurde vers la fin de l'aventure, quand les ennemis standards se transforment en chair à canon, face à un joueur-robot devenu si fort qu'il enchaîne les tirs en pleine tête machinalement. De quoi presque parodier le genre, voire le médium. Pour apporter un peu de variété, les développeurs ont misé sur le moteur graphique et quelques idées de game design et mécaniques, permettant tout de même l'implémentation d'effets visuels pas toujours folichons, mais qui ont le mérite d'être présents (particules, dégâts environnementaux, explosions ou lancers d'objets). Des arbres de compétences finissent de rendre l'expérience assez complète pour qu'elle ne paraisse pas trop monotone. Au passage, le jeu propose une progression cohérente et équilibrée au sein d'espaces semi-ouverts, laissant la part belle à une exploration où les quêtes "Fedex" ont rarement eu autant de sens – RoboCop étant le service public idéal. Des décors qui, s'ils ne sont pas incroyables, ont souvent la bonne idée d'être variés.
À votre service !

L'ambiance

Vous pouvez changer votre carte mère et obtenir des améliorations et capacités.

L'atmosphère du jeu est pour ainsi dire étonnamment sensée. À l'instar des premiers longs-métrages, Rogue City a la gueule d'une sorte de blockbuster d'auteur. Un AA mais profitant d'un Unreal Engine 5 encore récent, qui même exploité de façon basique (on suppose) livre un rendu parfois très flatteur à l'œil (c'est notamment le cas dans certains intérieurs, où lorsqu'il y a beaucoup de débris). C'est là encore l'un des paradoxes du jeu : malgré un budget que l'on devine restreint, il ne s'interdit pas grand-chose. Les environnements sont vastes (ne serait-ce que le commissariat) et la représentation de Détroit est assez réussie pour donner l'illusion d'être dans un titre de plus grande envergure qu'il n'est. On apprécie aussi, par exemple, certaines idées de mixage sonore qui sont assez malignes. Pour compenser une ville somme toute peu active, où le crime plane sans cesse, il faut insuffler de la vie par d'autres moyens. Ainsi, on entend parfois des chiens aboyer, des sirènes de police ou même des dialogues contextuels, et le tout est la plupart du temps bien intégré. Entrez dans un immeuble et vous apercevrez peut-être un locataire entrouvrir sa porte pour observer ce qu'il se passe. Allez dans un hôpital et vous pourrez regarder à travers une pièce pour constater que celle-ci n'est pas totalement vide (ce qui aurait été facile, mais attendu). Tout n'est pas parfait (RoboCop pourrait être plus scruté par les citoyens), mais ce sont des petits détails qui, au bout du compte, font quand même oublier des couacs tels que les apparitions tardives de certaines textures ou les modélisations de certains personnages. Dans tous les cas, l'une des leçons à tirer de Rogue City est que l'Unreal Engine 5 va probablement bientôt changer les standards visuels des jeux au budget moyen.
"Je vous préviens : résister provoquera… votre mort."

Le gameplay

Le jeu est assez vivant, avec des PNJ relativement nombreux et disposés dans des lieux crédibles.

Dernière réussite de Rogue City : l'immersion et la manière dont le gameplay influe sur cette dernière. Le titre est ingénieux, se servant de divers artifices pour accentuer l'identification à RoboCop, tout en gommant tant que faire se peut des défauts. Un bon exemple est le filtre CRT (rappelant les téléviseurs cathodiques d'autrefois) qui s'active lorsque nous zoomons pour tirer, mais également pour scanner des éléments dans l'environnement. Anecdotique de prime abord, il permet, en plus de plonger encore mieux l'utilisateur dans la "peau" de Murphy, de dissimuler à l'aide d'un subterfuge le manque de moyens techniques par moment (modélisation de certains PNJ, etc.). De même, certains aspects du gameplay tels que la lourdeur caractéristique du cyborg ont dû nécessiter énormément de travail pour trouver un équilibre, afin d'être aussi lent que l'homme de titane tout en autorisant des phases d'action dynamiques. Dans le même genre, la puissance (et la violence) qui se dégage des affrontements est savoureuse, surtout au regard de l'armure permettant d'encaisser pas mal de dégâts sans se mettre à couvert (comme dans les films). Il est même parfois possible de briser des murs, ou encore d'activer un mode ralenti. Tout cela fonctionne extrêmement bien – tout juste pouvons-nous reprocher au titre, peut-être, une exploration trop présente compte tenu de la "machine de guerre" que l'on incarne. S'étalant sur plus de vingt heures et même si cette durée – digne des "grands" – participe à une sensation globale, nous aurions aimé la possibilité de s'essayer au jeu en réalité virtuelle, ce qui aurait rendu le discours encore plus fort et symbolique. Peut-être une prochaine fois ?
"Mort ou vif, vous venez avec moi !"
Les Plus
  • Un jeu qui a du sens, avec de vraies ambitions artistiques
  • Étonnamment généreux et bien écrit
  • Un game/level design ingénieux
  • Le sentiment d'incarner RoboCop, et que tout est calibré correctement (vitesse, dégâts, etc.)
  • La place sensée de l'identification
  • L'ambiance visuel, et quelques effets réussis
  • Les musiques (incluant le thème de la saga), les doublages et le mixage sonore
  • L'Unreal Engine 5 permet des bases solides, et un rendu parfois très agréable à l'œil
Les Moins
  • Pas de HDR (plus tard ?)
  • Une expérience VR ajouterait encore plus de symbolique à tout ça
  • Parfois des déceptions sur le plan graphique (textures, etc.)
Résultat

Non seulement RoboCop : Rogue City est fidèle à l'œuvre d'origine (au point de s'inscrire comme un prolongement), mais il offre par sa seule existence, sa technique et son game design une vraie réflexion sur le médium. C'est souvent le propre des satires populaires : dénoncer tout en étant des produits de leurs temps. Rogue City n'invente pas grand-chose, et il est même parfois bas du front. Mais c'est justement en transformant le joueur en robot ultraviolent au service de l'ordre (et de la population), en justifiant sa brutalité et quelques absurdités du jeu vidéo moderne par le simple fait de jouer RoboCop, que le titre interroge. C'est finalement dans cette identification souvent radicale que le médium a écrit son histoire, et c'est en l'utilisant comme il se doit que Teyon compose la sienne. Il serait aisé de croire que tout cela est facile à mettre en place, mais la générosité évidente, un certain sens du détail ainsi que le soin apporté à la progression nous rappellent que ça ne l'est pas. Produit à licence et sorte de faux blockbuster contemporain, RoboCop : Rogue City est à sa façon un travail d'auteur, de précision et une belle mécanique... avec une âme ?

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