Test | En Garde!
16 août 2023

Une botte secrète de valeur

Testé par sur
En Garde!

Premier projet du jeune studio montpelliérain Fireplace Games, En Garde! a tout du "petit jeu français". Pourtant, dès les premiers trailers, le titre a interpelé les joueurs pour une raison toute simple : son gameplay, semblant plus abouti que bien des titres de ce calibre. Il est temps de voir le résultat... plutôt surprenant.

L'univers

Il n'est point question de parler en détail de l'histoire d'En Garde! puisque celle-ci est pour le moins rachitique. Tout juste comprenons-nous que nous incarnons une femme nommée Adalia de Volador, qui combat "pour le peuple" le terrible Comte-Duc. De manière générale, difficile de ne pas penser à une sorte de Zorro au féminin (et sans masque)... mais il faut avouer qu'à défaut d'avoir un gros budget, le titre arbore une direction artistique plutôt jolie. Les personnages ont ce petit quelque chose rappelant le savoir-faire français en termes de design et d'animation – ainsi que les jeux old school du début des années 2000. En fin de compte, on regrette simplement que le petit budget du titre nous prive de quelques aspects immersifs que nous pensions pourtant acquis en 2023 : la synchronisation labiale est par exemple inexistante... tout comme les cinématiques – il faut se contenter de quelques dialogues in-game. Cela n'est pas fondamentalement gênant, mais il s'agit de le souligner, d'autant plus que de simples tableaux façon story-board auraient pu faire l'affaire.
"Faut choisir : être un héros ou un poète. On ne peut pas être les deux." Le Capitan (1960)

Les combats

Aussi sympathique soit-il, l'univers du jeu passe un peu – logiquement – au second plan.

Malgré ce constat doux-amer, En Garde! a la bonne idée de nous rappeler qu'un gameplay peut révolutionner une expérience. C'est précisément dans sa dichotomie entre ses graphismes ("gentillets" et rappelant d'une certaine façon l'ère PlayStation 2) et son gameplay réaliste que le jeu trouve le salut. Et autant être clair : quelle surprise les amis ! Pour venir à bout de ses ennemis, Adalia peut s'aider du décor afin d'abaisser leurs jauges de fatigue et les étourdir. Ainsi, elle peut taper dans des caisses, des tonneaux ou encore lancer des pots ou des sceaux pour les malmener. Vous voulez gagnez du temps ? Projetez-donc l'un de vos opposant dans un râtelier ou poussez-le dans l'eau. Et sinon, pourquoi ne pas allumer des canons ou lancer des explosifs ?

Certes, sur le papier, tout cela n'a pas grand-chose de surprenant, mais il faut comprendre qu'En Garde! fait les choses pour le mieux : la physique des différents éléments est aussi crédible qu'amusante, et on ose à peine imaginer le temps qu'il a fallu pour calibrer tout cela. Tapez dans trois caisses et vous pouvez êtres quasi certain que deux d'entre elles parviendront sur les opposants prévus. La trajectoire automatisée peut sembler simple sur le papier, mais le fait qu'elle paraisse presque toujours crédible à l'écran relève de l'exploit. De même, poussez une table sur laquelle est perché un ennemi et vous le ferez chanceler de façon réaliste.

Tout cela peut paraître anodin, mais cette précision (ainsi que l'IA travaillée) empêche la frustration inhérente à certains de ces jeux exigeants. Ici, tout tourne rond, si bien que l'on ne rechigne pas vraiment à recommencer plusieurs fois une séquence. Mieux encore : malgré une caméra logiquement capricieuse (par moment), il nous arrive de passer des boss ou des zones d'ennemis sur le fil, sans trop comprendre pourquoi – si ce n'est grâce au système d'esquive. Cela peut paraître idiot, mais c'est peut-être aussi à cela que l'on reconnaît les jeux qui savent être gratifiants lorsqu'il le faut.
"Le premier qui m'approche, je l'embroche !" – La Fille de D'Artagnan (1994)

L'exploration

La force du jeu réside dans sa faculté à faire du joueur le metteur en scène de son propre film.

Le constat réjouissant ne s'arrête pas là. Un aspect d'En Garde! peut sembler futile de prime abord mais ne l'est absolument pas : le level design. C'est également ici que l'ont remarque les avantages probables d'avoir un budget restreint ; puisqu'il faut savoir faire des choix. En Garde! fait donc l'impasse sur des phases d'exploration d'ordinaire inutilement longues et ressemblant à du remplissage. Dans le jeu de Fireplace Games, le joueur n'a rien à chercher dans les décors (la vie se récupère à la fin des affrontements, et Adalia ne gagne pas d'équipement), si ce n'est quelques inscriptions qui ne sont en rien obligatoires.

De ce fait, il est d'autant plus surprenant de voir que le level design ne tient pas le joueur par la main. Alors que les premières minutes de jeu peuvent laisser penser que le terrain sera entièrement balisé, il n'en est rien. Attention : En Garde! n'est pas un jeu d'exploration et, par conséquent, il ne vous laisse pas vraiment le choix de votre chemin. En revanche, il a l'excellente idée à vous inciter à observer régulièrement le décor par vous-même, ne serait-ce que quelques secondes, ce dans le but de vous donner l'impression d'être dans l'action. Une façon de faire qui permet en quelque sorte de dissiper une monotonie qui aurait pu poindre dans d'autres circonstances, en nous tenant trop par la main.
"Allez exercer votre tyrannie ailleurs. Fini le temps des despotes !" La Tulipe Noire (1964)

L'accessibilité

Au détour d'un regard, vous apercevez un chemin logique et crédible. Un effort à saluer en 2023.

L'autre parti pris intéressant d'En Garde!, c'est celui de rendre le jeu accessible à tous. À titre personnel, cela fait des années que je milite en ce sens, et je suis content de voir que l'industrie semble se réveiller sur ce point. Ainsi, malgré son aspect exigeant, En Garde! propose des fonctions permettant au joueur de progresser si jamais il se retrouve bloqué. Invincibilité, parades automatiques, etc. La liste est courte mais assez radicale pour que chacun y trouve son compte. Si nous devions juste émettre un doute concernant cette démarche, ce serait – dans le cas présent – qu'il est peut-être dommage de ne pas avoir couplé cela avec un jeu plus engageant sur le plan de l'histoire et de l'univers. En Garde! brillant avant tout par son gameplay, on imagine difficilement un joueur vouloir poursuivre l'aventure pour son scénario, ou même ses ambiances. Peut-être pour une suite ?
"Touchez ma bosse, mon seigneur !" Le Bossu (1997)

L'anecdote

Sachez que l'IA des ennemis n'est pas en reste. Et un mode Arène est également disponible.

En Garde! m'a rappelé un podcast auquel j'ai participé récemment, et où nous parlions des jeux que nous aimerions voir revenir sur le devant de la scène. C'est aussi, parfois, le constat qu'un joueur puisse être partagé entre le fait d'espérer revoir une licence, et la peur que cette dernière perde son aura. Le jeu que nous avons ici soulève un peu ces questions. D'un côté, une suite pourrait être bien plus engageante, avec un gameplay encore plus peaufiné et gagner une vraie mise en scène. D'un autre côté, n'est-ce pas ce côté "jeu à petit budget et pétri de contraintes" qui fait le sel d'En Garde! ? Là est la question.
"[Mon avenir] assuré, j'aurai la patience d'espérer dans la certitude !" Fanfan La Tulipe (1952)
Les Plus
  • Une difficulté bien équilibrée pour les joueurs confirmés
  • Une expérience modulable, notamment pour les non-initiés au jeu vidéo
  • Des combats parfois franchement grisants
  • Un vrai sens du réalisme au service du gameplay
  • Un level design très simple, certes, mais qui a la bonne idée de ne pas tenir le joueur trop par la main
  • Pas de chichi sur le plan de l'exploration
  • Les musiques, discrètes mais qui "font le boulot"
Les Moins
  • Une histoire peu haletante
  • Bien que court (6 h), le jeu aurait presque gagné à l'être encore plus, et à être de ce fait plus radical
  • Des points de contrôle parfois un peu loin (avant plusieurs vagues d'ennemis)
  • L'accessibilité pourrait être encore plus mise en avant (choix du chapitre, options en plus, etc.)
Résultat

En Garde! est une bonne surprise ; à ranger dans la case des titres à faible budget, mais qui savent pousser les curseurs là où il faut. En ce sens, ses défauts (histoire et mise en scène minimalistes, etc.) ne sont pas grand-chose en comparaison de qualités telles que ses gameplay et level design. Il y a véritablement quelque chose de grisant qui se dégage des combats d'En Garde!, en particulier dans leur façon d'alterner les rythmes au sein même des affrontements. Projetez un ennemis dans un râtelier, avant d'en affronter d'autres en vous tenant en garde et en descendant des escaliers. C'est le genre de sensation très spécifique procuré par ce titre qui, sur ce point précis, pourrait faire pâlir de nombreux jeux à gros budget. Car tenez-vous le pour dit : d'un côté, une suite directe à En Garde! pourrait nous satisfaire ; mais au fond de nous-même, on se surprend quand même à espérer, un jour, que Fireplace Games fera un titre d'une toute autre envergure, et peut-être même dans un univers plus réaliste. Avant de jouer à En Garde!, nous n'imaginions pas vraiment un jeu de cape et d'épée. Désormais, sachez que c'est possible.

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