Interview | Under The Waves
02 janv. 2024

Rencontre avec Parallel Studio

Interview par

Under The Waves nous a cueillis. Et quand un jeu nous cueille, les responsables doivent s'expliquer ! En effet, c'est l'air de rien et sans prétention que cette histoire profonde s'est frayée un chemin vers nos cœurs de gamers. Développé par le studio parisien Parallel, Under The Waves coche beaucoup de cases : gameplay ultra fluide, ambiance à part, décors enveloppants et musique hypnotique. Autant de prétextes pour chercher à en savoir plus sur la création de cet univers. Rencontre avec trois membres du studio : le level designer Eloi Fromangé-Gonin, le lead gameplay programer Christophe Avalle et le compositeur Nicolas Bredin.

"C'était surprenant de s'apercevoir qu'on avait atteint le cœur et les émotions visées."

Si vous deviez pitcher Under The Waves en une seule phrase ?

ChristopheC'est un jeu qui se passe sous l'eau, où on dirige Stan, un plongeur professionnel qui a accepté une mission : travailler pour une société pétrolière, loin de tout, car il a besoin d'effectuer un deuil.


Quelles réactions des joueurs vous ont surpris ?

ChristopheLes réactions ont été celles qu'on espérait : la beauté du jeu, l'histoire qui touche. On est contents d'avoir obtenu ces réactions mais ce n'est pas vraiment une surprise.


Il n'y a donc pas eu de réactions exotiques ?

EloiJe ne dirais pas exotiques mais comme le dit Christophe on s'y attendait. C'était quand même surprenant de voir que sur plusieurs streams les passages que l'on avait prévus comme étant touchants ont vraiment atteint le cœur et les émotions qu'on visait. Ça m'a surpris et ému. Pour moi, ça montre qu'on a atteint le but recherché.

"Pour la suite du studio, on a des idées de projets, des prototypes ont été faits."

Justement, en parlant de streams, vous êtes attentifs à ça ?

ChristopheLe jour de la sortie, on était sur Twitch. On a vu les gens qui lançaient le jeu et commençaient à le découvrir. Et tous ces petits moments où ils faisaient « Ah ça c'est cool ! » et d'autres plus émouvants. Forcément, on était contents. Ça peut être dangereux cette pratique car, à l'inverse, s'ils sont déçus, ça peut nous démoraliser. Mais là on a eu des bons retours donc on était vraiment contents.


Maintenant que le jeu est sorti, comment organisez-vous votre temps ?

ChristopheActuellement, on travaille sur des correctifs. Il y en a eu deux pour le moment et peut-être bientôt un troisième. Pour le reste, je n'ai pas toutes les infos mais il semblerait qu'on en reste là avec Under The Waves. On travaille déjà sur deux potentiels nouveaux projets.

EloiC'est une phase d'expérimentation mais effectivement, on est d'abord sur les dernières améliorations pour Under The Waves.

ChristopheL'équipe est divisée en deux. Un premier groupe assure le service après-vente sur le jeu. Et la deuxième partie de l'équipe expérimente des choses, avec la sortie récente d'Unreal Engine 5. On essaye de se former aux nouveaux outils. On a des idées de projets, des prototypes ont été faits.

"Beaucoup de fonctionnalités ont dû être repensées pour les différentes consoles."

Qu'est-ce qui a été plus simple ou plus compliqué que prévu pendant le processus de développement du jeu ?

EloiJe n'ai rien trouvé simple donc je ne sais pas (rires).

ChristopheLe plus compliqué pour moi ça a été le portage. Quasiment toutes les fonctionnalités du jeu ont dû être repensées pour les différentes consoles qui n'ont pas toutes la même puissance. Et on n'était que deux développeurs pour ça. C'était donc un gros challenge. Et pour le plus facile, je dirais que c'était le système de dialogue. On avait déjà bossé sur un système équivalent...

Eloi... qu'il a fallu quand même retravailler. Pour moi la chose la plus facile, ce n'est pas vraiment technique, mais c'est un point de vue personnel, je dirais que c'est la cohésion, la manière dont l'équipe a fonctionné. Il y a avait une vraie envie de faire avancer le projet, de manière unie, sans tensions. On a tous voulu mettre en avant nos compétences pour soutenir le travail des uns et des autres.

ChristophePour rebondir, ce projet avait pas mal de défis techniques. On a tous eu un moment ou un autre un mur devant nous en se demandant comment on allait réussir à faire ça. Ça demande beaucoup de travail, de recherches, et finalement avec une bonne communication dans l'équipe a su apporter une solution à chaque corps de métier.

"La salle dans laquelle on récupère Moon est inspirée du hangar de Hoth dans Star Wars V."

Under The Waves a souvent été comparé au jeu Firewatch et au film Abyss. Parlez-nous de vos inspirations.

ChristopheC'est vrai que depuis la Gamescom 2021, on nous a souvent comparés à Firewatch. Je ne saurais pas dire si c'était l'idée de base mais c'est sûr qu'il y a une grande similitude entre ce dialogue entre Stan et Tim et ce qui se passe dans Firewatch. Ce procédé nous a aidé à rythmer la narration.

Pour Abyss, Ronan Coiffec, notre game director, aime beaucoup les films de ce genre, c'est l'un de ses films préférés. Moi-même j'adore ce film et il y a une relation entre Abyss et notre jeu qui est évidente.

EloiÉvidemment il y a plein d'autres références ici et là qui nous ont servi et ça serait trop anecdotique pour les citer. Mais il y a un petit truc que je peux citer parce que ça a concerné mon travail directement. La salle dans laquelle on récupère Moon est inspirée du hangar de Hoth dans Star Wars V par exemple. Il y a également les films de Jacques-Yves Cousteau avec ce côté à la fois très documentaire et cinématographique.

ChristopheDans le jeu, il y a d'ailleurs une petite télé qui diffuse des documentaires.

"Le regard aiguisé de Quantic Dream sur les jeux narratifs nous a aidés."

Sur quels précédents jeux vous avez travaillé ?

ChristopheJ'ai rejoint Parallel Studio sur la production du jeu EQQO, un jeu en VR. J'ai également travaillé sur le portage de Dark Days sur les nouveaux casques de réalité virtuelle.

EloiPour ma part, j'ai travaillé sur les jeux Tour de France chez Cyanide. Je viens d'une réorientation professionnelle. Auparavant j'étais photographe d'architecture et je me suis réorienté vers le level design à 27 ans.


Under The Waves est le vrai premier jeu édité par Quantic Dream. Comment s'est passé le support et qu'est-ce que ça vous a apporté ?

ChristopheBeaucoup d'expertise et d'outils à la production, notamment en matière de motion capture, l'aide au marketing aussi. On a gagné beaucoup de temps. Leur regard aiguisé sur les jeux narratifs nous a aussi aidés. Leur expertise sur les jeux narratifs, leur regard qu'ils donnaient sur ce que nous leur présentions, on a été assez libre en termes de narration. Après ils nous conseillaient. Il y avait un jeu de ping-pong entre nous et grâce à ça, on n'a pu parvenir au jeu qu'on connaît aujourd'hui.

"On a gagné beaucoup de temps grâce à Quantic Dream."

À quoi jouez-vous quand vous ne travaillez pas sur votre propre jeu ?

ChristophePrincipalement à League of Legends ce qui n'a rien à voir avec les jeux narratifs (rires). Mais je joue aussi sur les petits jeux solo comme Limbo, Fez, I Am Bread... J'aime également les jeux coopératifs et de survie.

EloiJe joue pas mal à Counter-Strike en ce moment mais c'est une déformation parce que j'aime bien son éditeur de niveaux (rires). Sinon, je suis un très gros fan de Zelda et beaucoup d'immersive sims, j'aime bien ce genre de jeux.


Parlons musique. Les compositions de Nicolas Bredin sont hypnotisantes et enveloppent le joueur dans une expérience sonore très particulière...

ChristopheNicolas est justement à côté, ça sera encore mieux. (il va le chercher)

NicolasBonjour ! (très sonore)

"J'ai été très influencé par une musique très minimaliste, des mélodies simples."

Bonjour Nicolas ! La musique a un rôle important dans ce jeu, c'est presque un personnage à part entière. Comment s'est passée la création de cette bande originale ?

NicolasIl y a d'abord eu une phase de recherche du style musical. S'agissant d'un jeu qui se passe sous l'eau, c'est un sujet difficile. Au début, j'étais parti dans une voie beaucoup plus mélancolique qui plombait beaucoup l'expérience. Et c'était pareil pour l'ensemble du jeu. On a donc rajouté plus d'éclairages, plus de luminosité globale. On a une histoire profonde mais on ne voulait pas que tout nous ramène vers le bas, aussi bien au niveau de la lumière que de la musique.

Cette première phase d'essai a duré près d'un an. Pour le son, on était calé sur cette optique de ce qu'on attend du langage audiovisuel, c'est-à-dire quelque chose de très sourd. Mais deux heures de jeu avec cette ambiance sonore auraient été très éprouvantes. C'est pour cette raison que je me suis orienté vers des choses très oniriques et réverbérées. Une fois qu'on a défini cette approche là du sound design, on va créer notre propre langage qui n'est pas celui d'un film. La musique est partie dans cette direction avec un son très cristallin et moi je voulais une musique qui puisse s'écouter comme un album entier. J'ai été très influencé par une musique très minimaliste, des mélodies simples, pas d'instrumentations trop complexes. Je voulais des mélodies qui se retiennent.

"Je suis parti sur les gros synthétiseurs analogiques type moogs pour obtenir ce son chaleureux."

Quelles ont été vos inspirations ?

NicolasDans une veine indé, post-rock, très influencée par des compositeurs actuels comme Ólafur Arnalds, Sigur Rós, Radiohead, Vangelis. Une grosse approche sur les synthés parce que c'était exactement ce qu'on voulait, un truc un peu rétro futuriste, que ce soit pour l'éclairage à la Cousteau. Idem pour la musique, je suis parti sur les gros synthétiseurs analogiques comme les moogs, pour obtenir ce son chaleureux.


Dans le développement, à quel stade intervient la création de la musique ? Est-ce qu'il faut disposer d'un premier prototype ou bien travailler de son côté ?

NicolasComme je suis aussi le cofondateur du studio, j'ai commencé à travailler dès le début. Pour le coup c'est un peu particulier parce qu'avec Ronan, le creative director, on est très bons amis, on est en contact tous les jours et donc on crée cet univers dès son origine et tout va être lié.

Mais il y a eu des tests ! La BO est sortie en douce sur Spotify. Sur ma page, il y a un album au titre polonais qui s'appelle GŁĘBIA et qui regroupe les premières musique d'Under The Waves. Il y a eu énormément d'itérations. En tout, le jeu comprend 3 heures 30 de musique.

Donc, finalement la musique intervient dès le début et comme tous les autres corps de métiers, ça se modèle au fur et à mesure pour qu'on trouve le bon curseur.

"Le silence est vraiment important pour l'ambiance des fonds marins."

Les deux se nourrissent...

NicolasVoilà. Et très souvent avec Ronan, on discute des moments clés narratifs pour se dire dans quelle direction la musique devrait aller. À l'inverse, je peux proposer une musique qui va ensuite nous donner l'idée d'un moment narratif.


Dans un jeu qui se passe sous l'eau, réfléchit-on aux moments de silence également ?

NicolasAu tout début, lorsque le jeu est sorti, il n'y avait pas de moments de silence parce qu'on avait un bug sur la musique random donc on avait de la musique tout le temps. Mais oui, le silence est vraiment important pour l'ambiance des fonds marins. Par contre si le joueur va très vite, il sera beaucoup accompagné par la musique.

Ça a été un curseur de se dire que ça reste aussi un voyage onirique. Si le joueur ne suit pas le chemin scénaristique et part en exploration, c'est bien de l'accompagner aussi. C'est un parti pris qu'on a eu. Et on s'était aperçu qu'au bout de quelques minutes, si le joueur s'éloigne loin de l'objectif, l'absence de musique peut vite être ennuyante. En effet, puisqu'on a visuellement souhaité être assez réaliste, c'est censé être un univers où la nature est détériorée par l'homme et même s'il y a beaucoup de poissons, on ne peut pas avoir toujours quelque chose de florissant tout le temps. Si visuellement il ne se passait pas grand-chose et que musicalement non plus, on a eu peur que ça soit trop ennuyeux. On a donc mis de la musique random partout.

"Le message écologique du jeu faisait partie du pitch du projet."

Il y a justement une dimension écologique évidente dans le jeu. Il est d'ailleurs associé à la Surfrider fondation. À quel moment cette association est intervenue ?

ChristopheAssez tôt parce que le message écologique du jeu faisait partie du pitch du projet. On s'est donc demandé si on ne pouvait pas s'associer à une organisation qui permettrait de se renseigner sur le sujet, histoire de pas dire de bêtise. Ils nous ont donné des infos sur la faune et la flore de la mer du nord par exemple.


C'est une bonne idée de distiller ce message très naturellement dans le jeu, comme lorsque l'on croise un poisson par exemple...

ChristopheOui, on a essayé de ne pas être trop forceur là-dessus. Par exemple, le fait de pouvoir ramasser son stick d'oxygène une fois qu'il est vide, c'est une mécanique sous-jacente du jeu. Le joueur le comprend et le fait naturellement. C'est à lui de se poser la question de l'impact qu'il a sur l'environnement et s'il a envie de participer au recyclage de cet objet.

EloiIl y a beaucoup d'anecdotes aussi sur les éléments qu'on peut scanner, les épaves à explorer. Il va y avoir un commentaire de Stan ou même des notes dans le journal. Certaines de ces associations d'idées ont été faites avec Surfrider en ajoutant une trace supplémentaire de leur implication sur le projet.
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Tribune libre