Test | Syberia
16 juil. 2002

Testé par Netsabes sur
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Syberia

Après une Amerzone tropicale et étrange, Benoît Sokal, célèbre dessinateur de bande-dessinées, s'est tourné avec Syberia vers les non moins étranges mais beaucoup moins tropicales, voire carrément fraiches par endroits, contrées de l'Europe de l'Est. L'on y suivra donc le périple d'une jeune avocate américaine à la solde du grand capital américain, une Ally McSteppes envoyée pour dévoyer un mystérieux et génial créateur d'automates. L'histoire est-elle si bien ? Les graphismes sont-ils aussi somptueux que ce qui se murmure ? Les automates rêvent-ils de mammouths à ressort ? La réponse à (presque) toutes ces questions se trouve dans le test...

Décryogénisation de mammouths

Célèbre pour ses bande-dessinées, Benoît Sokal l'est aussi pour son premier jeu vidéo, l'Amerzone, qui était justement inspiré d'un de ses albums remplis de bulles. L'Amerzone était un jeu d'aventure à la Myst, voire assez proche des jeux édités par le défunt Cryo Interactive. Ce principe de jeu, s'il mettait en avant l'histoire racontée, transformait le joueur plus en spectateur qu'en véritable participant à l'aventure. Soucieux de ne pas sacrifier au plaisir de jeu tout en continuant à mettre en avant l'histoire, Benoît Sokal et les développeurs de l'équipe de Microïds Canada ont cette fois-ci opté pour un système de jeu point & click, popularisé par les jeux d'aventure de LucasArts (les Monkey Island, Full Throttle et autres Day of the Tentacle) et repris récemment dans le sympathique Stupid Invaders de Xilam Studios. On se retrouve donc, et c'est tant mieux, en terrain connu.

Une histoire qui déraille à fond de train

Oscar : "Kate Walker, vous avez réussi, Syberia est vraiment un beau jeu"

L'histoire de départ est simple : l'on incarne Kate Walker, jeune, fringante & ambitieuse avocate envoyée aux fins fonds des Alpes françaises, dans le petit village de Valadilène, pour régler en deux théoriques coups de cuillère à pot les détails de la vente d'une usine de jouets mécanisés. Ce qu'elle ne sait pas en prenant l'avion pour la France, c'est que ce sont de super gros coups de cuillère à pot, et que ce sera nettement moins simple que de juste faire signer un bout de contrat à la vieille dame propriétaire de ladite usine. Ceci pour la bonne raison que la vieille dame en question est décédée juste avant l'arrivée de Kate, et qu'elle a un héritier que personne ne sait où localiser. La tâche de Kate (et donc par extension la notre) devient donc la recherche d'Hans Voralberg, homme-enfant, inventeur de génie et concepteur des automates fabriqués dans l'usine dont vous devez assurer la vente.
Et pour remonter sa trace, il vous faudra utiliser ses inventions, et notamment son train mécanique, piloté par Oscar, un automate doué de parole et d'un système psychique pour le moins élaboré, et partageant un petit air de famille avec C3PO.

Du bouleversement du train-train quotidien

"J'ai peur de la faucille et peur du marteau..." (chanson connue)

Un voyage à travers l'Europe de l'Est tiendra lieu de suite à ce point de départ. Le train étant mécanique, son ressort a besoin d'être remonté de temps en temps. Il s'arrêtera donc (bien forcé, eh !) quand le besoin s'en fera sentir, et ce sera à vous de trouver un moyen de le remonter. Ces arrêts impromptus donnent l'occasion à Kate de découvrir des villes de ce qui fut l'Empire Soviétique. Le point commun entre ces villes est que toutes ont été marquées du passage du génial Hans Voralberg. A Barrockstadt, par exemple, ville universitaire de l'ancienne Allemagne de l'Est, les inventions d'Hans ajoutent de la musique à la cité universitaire, permettent aux oiseaux de la volière de vivre entre eux, ou encore protègent le pays d'un Ennemi invisible (et inexistant) grâce à un gigantesque... Mur. On navigue ici en pleine uchronie, Sokal n'ayant visiblement pas hésité à faire ressortir les traits forts de l'Europe de l'Est, pour les affermir encore.

S'occuper d'automates est de votre ressort

De vraiment petits automates

A l'inverse, loin de ces envolées dans l'imaginaire de Benoît Sokal, le joueur est souvent rappelé à un 21° siècle bien réel par le biais des appels téléphoniques que reçoit Kate sur son portable. Et comme tout portable, les appels qu'il relaie sont peu intéressants et se résument le plus souvent à des histoires de familles (même si cela prend de l'importance vers la fin du jeu, ça reste particulièrement contrariant de se faire ennuyer par les sonneries de portables jusque dans un jeu vidéo). Reste que la majeure partie de l'aventure se déroule dans ce qui pourrait être une uchronie, un monde parallèle où, à notre époque, existeraient des automates perfectionnés. Automates qui excitent les convoitises de certains, et dont il faudra vous occuper, comme c'est le cas pour, par exemple, ce fameux train mécanique dans lequel vous voyagez, ainsi que son conducteur.

Le fabuleux destin de Kate Walker

La tête déjà dans les étoiles...

Tout comme la célèbre et tout aussi fictive Amélie Petitcheval, Kate va, pour diverses raisons, avoir à faire plaisir aux gens qu'elle croise. Que ce soit pour dessiner un mammouth, réparer un kiosque à musique fait par Hans, envoyer un rêveur dans les étoiles, ou aller chercher une cantatrice aphone à qui il faut redonner sa voix, Kate n'a pas le choix, le reste de sa carrière d'Ally McBeal en herbe en dépend. Alors, elle aide, et avec elle le joueur. De là découlent la plupart des énigmes du jeu, remonter le train n'étant que rarement une affaire difficile. Les énigmes sont d'ailleurs pratiquement toutes logiques et sans doute un brin trop faciles : on sait ce qu'on a à faire, on sait le plus souvent comment le faire, et résoudre l'énigme n'est alors qu'une question de trouver le bon lieu ou le bon objet. Cela sert l'histoire, puisque l'on ne part pas dans des quêtes totalement absurdes et que l'on ne se retrouve pas avec des énigmes totalement illogiques, comme on avait pu le voir ici ou là dans d'autres jeux d'aventure par le passé. L'on n'a pas non plus (à l'exception de la quasi-toute dernière énigme) de puzzle au fonctionnement tant cryptique que simplement chiant.

Le trajet est court

Aussi rapide que l'aigle, le jeu

A l'inverse, ce n'est pas bon pour la durée de vie du jeu. Entre quinze et vingt heures, à peine, sont nécessaires pour terminer l'aventure et pour voir la fin (ou le vrai début ?) de la quête existentielle de Kate Walker. C'est en effet le chemin que prend petit à petit, au fil de l'aventure, le jeu. Il se transforme doucement en une fable à la morale de plus en plus évidente au fur et à mesure que l'on progresse (et que le téléphone portable poursuit ses négatifs assauts auditifs), le tout jusqu'à une fin qui surprend surtout parce qu'elle arrive très (trop ?) tôt, et de façon un peu trop inexpliquée. Reste que l'on passe cette vingtaine d'heures sous le charme de somptueux décors et de musiques qui ne le sont pas moins.

Des articulations en fort bon état

Ah oui, si, c'est beau. Vraiment.

Les graphismes et l'ambiance sonore sont en effet, avec bien évidemment le scénario du jeu, le gros point fort de Syberia. Tous les écrans de jeux sont très détaillés, et si certains semblent parfois un peu moins travaillés que d'autres, la plupart sont tout simplement superbes. Voire, pour ainsi dire, méchamment et violemment beaux. Et animés avec soin, avec ça : ici, des petits oiseaux qui volent en groupes, là des fontaines, là encore des petites mares dont les reflets s'animent du décor qui les surplombe... Difficile de résister à un tel travail d'orfèvre, d'autant que la douzaine de scènes cinématiques qui parsèment le jeu sont elles aussi réussies. Ces cinématiques ne sortent certes pas de chez Square ou Blizzard, mais sont tout de même de fort belle facture, et elles s'articulent plutôt bien entre elles. Surtout, elles arrivent à transmettre l'émotion nécessaire à la tenue de l'histoire. Quant aux musiques symphoniques qui accompagnent le jeu, elles sont elles aussi très belles, mais l'on ne peut que déplorer leurs similitudes un rien trop grandes, ce qui diminue les contrastes quand l'on passe d'une ville à l'autre.

Un moteur bien remonté

Des doigts fins et graciles pour dessiner un mammouth gras, facile.

D'un point de vue technique, les développeurs ont visiblement fait le bon choix en ne mettant que le minimum d'objets 3D à l'écran, ce qui permet au jeu de tourner même sur des configurations considérées aujourd'hui comme très faibles. En effet, seuls les objets utilisables, les personnages et les parties du décor animées ou derrière lesquelles on peut passer sont en 3D, le reste étant un simple fond d'écran. C'est aussi ce qui permet au jeu d'être aussi impressionnant graphiquement, puisqu'une telle luxuriance graphique n'aurait pas été possible dans un jeu entièrement en 3D. Par contre, il est à déplorer que certaines textures (qui sont pourtant peu nombreuses, donc) soient peu réussies. C'est surtout le cas pour certains personnages que l'on voit d'assez près. Quelques bugs, dans les menus du jeu ou quand on fait un "Alt-Tab", sont également présents, mais ils ne sont que rarement gênants.

So calm

Got eggs?

Plus gênante est l'interface : elle reprend le désormais bien connu système du curseur évolutif, changeant quand une action est possible. Manque de pot, ici, le curseur évolue un peu trop peu, et c'est par exemple le même curseur (une loupe) qui montrera tant un objet à étudier qu'une personne à qui parler. Pire, le système d'inventaire, séparant objets et documents, est peu pratique. Les développeurs sont partis du principe qu'un document pouvait être tant utilisé que regardé, tandis qu'un objet ne pouvait être qu'utilisé. Les documents sont donc rangés dans une sous-partie de l'inventaire (nécessitant un clic de plus, donc), alors que ledit inventaire est pratiquement toujours vide. Il aurait été bien plus simple et plus pratique de tout mettre dans une seule et même catégorie.
Autre point sujet à reproches, le packaging du jeu : le jeu est vendu comme le nouveau jeu de Benoît Sokal, et là-dessus, aucun doute, on retrouve bien son univers décalé et étrange, et des liens avec l'Amerzone et Alexandre Valembois sont même (un peu lourdement) établis lors du passage de Kate Walker à Barrockstadt. Si un court making-of du jeu (starring Benoît Sokal himself) est bien gentiment fourni dans la boite, c'est bien tout ce qu'on aura de plus. On aurait aimé pouvoir disposer sur cd et en plus grande résolution des dessins préparatoires de Sokal, pourtant disponibles pour tout le monde en petit format sur le site officiel du jeu, mais de cela, point.
Les Plus
  • L'histoire
  • Les graphismes hallucinants
  • La musique
  • Les énigmes logiques
  • La diversité des lieux
Les Moins
  • La durée de vie
  • L'interface pas vraiment formidable
  • CD bonus sacrément maigre
Résultat

Tel l'un des mammouths que recherche Hans Voralberg, Syberia est l'un des derniers survivants de cette race en voie d'extinction que sont les jeux d'aventure point & click. Malgré sa trop courte durée de vie, il les représente cependant crânement, utilisant sa belle histoire et ses somptueux atours, tant graphiques que musicaux, pour tenter de sortir du lot. Et, même s'il est définitivement et encore une fois trop court et un peu trop facile, même s'il souffre d'une interface pas forcément réussie, il remplit sa tâche de fort belle manière, le bougre. On pourrait même espérer que cela relance un peu le genre, mais peut-être ne faut-il pas trop rêver. Reste que le goût de Sokal pour les belles histoires ne semble pas près de disparaître, puisqu'en plus d'un probable troisième jeu vidéo, il se murmure qu'il travaillerait à une adaptation cinématographique en images de synthèses de Syberia...

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