Test | Indika
28 sept. 2025

Mise en scène exemplaire

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Indika

Odd Meter est un studio assez singulier qui, après avoir fait ses armes avec le jeu de tir en réalité virtuelle SACRALITH : The Archer`s Tale, s'attaque au jeu d'aventure narratif en troisième personne. Un grand écart qui fait ses preuves, les multiples nominations et prix – BAFTA, The Game Awards, Games for Change, etc. – ne le démentent pas. Indika rend curieux et intrigue à travers ses images. Le voyage est bref, mais ne manque vraisemblablement pas d'impact. Sachez que la meilleure façon de le découvrir est de ne lire cet article qu'après y avoir joué.

L'histoire

Indika est une nonne qui n'a pas trop sa place dans le monastère dans lequel elle vit. Ses consœurs ne l'apprécient guère, et les matriarches la conspuent. Difficile de trouver ses marques quand on est habitée par le démon. Assez distraite par la voix dans sa tête et ses diverses visions, ce n'est qu'après une séquence de jeu d'une demi-heure aux contrôles de la nonne qu'il lui est attribué une véritable tâche. Jusqu'à maintenant, même les quêtes les plus fastidieuses de MMORPG ne rivalisent pas avec la redondance de remplir un tonneau d'eau du puits de manière tout bonnement peu optimisée. Rassurez-vous, cette séquence a son importance puisqu'elle s'intègre parfaitement dans le propos de l'œuvre. Nouvelle tâche transmise, vous devez dorénavant rapporter une lettre dans un autre monastère, une première pour Indika qui n'a jamais pu sortir depuis qu'elle a intégré les ordres.


Le titre d'Odd Meter tranche avec son esthétique unique. Au premier regard, les visuels réalistes mornes aux teintes grisâtres ne semblent pas marquer plus que de raison. Cependant, c'est au fil de l'aventure que la mise en scène d'Indika montre tout son potentiel. La photographie des cinématiques, aux angles de caméra très larges et déformés, démontre toute la psyché habitée de la protagoniste. C'est sans compter les diverses visions absurdes d'humains minuscules sortant des bouches grandes ouvertes de ses camarades ecclésiastes sur fond de musiques électroniques désarticulées. L'intégralité de l'aventure est aussi accompagnée d'une discrète bande-son au décalage dramatique certain. À aucun moment elle ne correspond à l'action en cours, mais appuie sur la pointe de malaise qu'Indika ressent à chaque instant.


Indika, c'est aussi l'utilisation de l'imagerie rétro 16 bits avec une palette colorée pour retranscrire ses flashbacks. S'il n'a jamais été remis en question d'utiliser divers effets pellicule pour certains flashbacks de cinéma, l'artifice est ici original et tout à fait de mise. C'est assez peu commun, mais Odd Meter utilise judicieusement les codes du jeu vidéo pour transmettre son propos. Pour une fois, le choix de l'esthétique réaliste est approprié, existant grâce à sa symbiose avec les séquences rétro. Avec ses différents artifices de mise en scène, le jeu va peu à peu déconstruire la foi d'Indika.
Odd Meter utilise judicieusement les codes du jeu vidéo

Le principe

Les niveaux d'Indika misent beaucoup sur la verticalité.

Sur le papier, Indika ne s'affranchit pas des codes du jeu d'aventure à la troisième personne. Assez classiquement, vous contrôlez la protagoniste et devez parcourir les différents niveaux en courant, grimpant et en résolvant des énigmes. Plutôt bien orchestré dans l'ensemble, le jeu se déroule sans trop d'encombres, si ce n'est les quelques énigmes environnementales parfois plus complexes qu'il n'y paraît. Grossièrement, l'objectif du voyage est à chaque fois clair, et le décor est conçu pour la jouabilité, tant dans sa verticalité que dans ses paysages. Intégrés dès le départ dans le titre, des éléments rétrogaming font partie de l'aventure. Notamment les phases de flashbacks, souvent sous forme de jeux de plateformes en 2D. Encore une fois, la difficulté n'est pas la motivation, mais la variété de gameplay est plutôt intéressante, même si elle n'est que ponctuellement présente. Comme tout ce que le jeu vous montre, ces séquences sont encore une fois une question de mise en scène.


Là où l'équipe d'Odd Meter fait fort, c'est dans l'utilisation de la grammaire du jeu vidéo dans sa proposition de mise en scène. Rien qu'au commencement de votre expérience de jeu, vous voilà puni pour avoir réalisé avec succès une première tâche longue et redondante. Jouant ironiquement avec ce qu'Indika vit et ce que vous pouvez vivre au travers du jeu vidéo. Mais là où le jeu est encore plus efficace, c'est dans son traitement de la piété. Indika transcrit la foi – orthodoxe dans ce cas-ci – sous forme vidéoludique. Assez étonnamment aux premiers instants, vous allez découvrir un arbre de compétences qui évolue au fil des niveaux d'Indika, qui eux-mêmes évoluent grâce à un système de points. Vous allez obtenir ces points à chaque action pieuse, trouver une relique, allumer un cierge pour rendre hommage aux défunts. Là où l'intention est opportune, c'est que ces nouvelles compétences ne vous permettent que d'obtenir des points plus vite, montrant le cycle vain des bonnes actions au sein de ce monastère. Évidemment, les péchés mènent instantanément à une punition. Une narration ludique autour de la récompense, du jeu et de la foi maligne.
La narration est particulièrement maligne

Pour qui ?

De sacrés gros poissons à éviter si vous ne voulez pas finir au fond du trou !

Indika ne se le cache pas, il est une critique de la religion, ou du moins de la façon dont elle peut se pratiquer. Les actions pieuses donnent des points qui ne servent à rien, les péchés sont tout de suite punis. Si le propos ne vous intéresse pas, vous pouvez passer votre chemin, mais essayez tout de même l'œuvre qui propose un traitement ludique assez peu vu dans son art. Par ailleurs, il ne vous faut que quatre heures environ – parfaitement équilibrées – pour venir à bout de l'histoire qui vous est proposée. Le jeu est assez linéaire, mais la rejouabilité se trouve ailleurs. Il existe quand même quelques succès à obtenir, mais la conclusion du titre vous fera même douter de l'intérêt de les acquérir. Indika est assurément un excellent jeu qui mérite votre intérêt.
Un excellent jeu qui mérite tout votre intérêt

L'anecdote

L'aventure n'est peut-être pas très longue, mais elle vous fait voyager.

Indika a été un plaisir à parcourir. Au départ, ce n'était que motivé par la curiosité amenée par les diverses images et bande-annonces. Pour ma part, chaque seconde de mon expérience s'est accompagnée d'une réflexion sur ce qu'Odd Meter a cherché à me faire vivre. Et c'est selon moi une excellente façon de découvrir Indika. Le titre n'est pas long, tout juste quatre heures, une durée parfaite pour s'impliquer un peu plus cérébralement que d'habitude. Tout le plaisir de jeu que m'a procuré Indika provient d'ailleurs des réflexions sur la mise en scène et sur ces instants de réalisation, lorsque je me suis mis à comprendre ce sur quoi je suppose que les développeurs voulaient m'emmener.
Une mise en scène exemplaire
Les Plus
  • Odd Meter utilise la grammaire vidéoludique jusqu'à la moelle
  • L'esthétique singulière et malaisante
  • Le traitement de la piété
  • Une fin magistrale
  • La mise en scène, et encore la mise en scène !
Les Moins
  • Pas très difficile, mais est-ce vraiment un défaut ?
Résultat

Ce qui est certain, c'est qu'Indika est un jeu très cinéphile, avec ses plans et mouvements très composés et sa façon d'utiliser la grammaire vidéoludique dans sa mise en scène. Le monde est gris et morne, les péchés sont rouges, les flashbacks sont en pixel art coloré, la musique qui accompagne l'aventure est malicieuse. Jusqu'au bout, Odd Meter utilise les outils ludiques qu'il a à sa disposition pour déconstruire les croyances et la foi d'Indika avec justesse. Indika n'est pas mis en scène avec des pincettes, "Dieu merci", pour offrir une expérience de jeu incontournable.

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