Dossier | Interview Game Design Studio
12 août 2004

Rédigé par

Pascal Luban. Ce nom ne vous dit sans doute pas grand chose. Pourtant cet "anonyme" a largement participé à la conception du multi de Splinter Cell : Pandora Tomorrow et bûche actuellement sur celui du prochain Splinter Cell : Chaos Theory. Il n'en fallait pas plus pour que l'on souhaite l'interroger sur son métier, sa petite entreprise nommée Game Design Studio et sur l'industrie dans laquelle il évolue depuis une dizaine d'années.

Introduction

Pascal Luban. Ce nom ne vous dit sans doute pas grand chose. Pourtant cet "anonyme" a largement participé à la conception du multi de Splinter Cell : Pandora Tomorrow et bûche actuellement sur celui du prochain Splinter Cell : Chaos Theory. Il n'en fallait pas plus pour que l'on souhaite l'interroger sur son métier, sa petite entreprise nommée Game Design Studio et sur l'industrie dans laquelle il évolue depuis une dizaine d'années.

Première partie

The New Nightmare

Peux-tu d'abord nous présenter ton parcours ?

Comme beaucoup de personnes, je suis venu au jeu vidéo par passion et je n'ai pas été formé pour ce métier. A l'origine, j'ai un diplôme commercial, un MBA, et une licence en économie. J'ai commencé par faire huit ans de marketing chez Panasonic France. J'y ai eu la chance de préparer le lancement de la console 3DO, lancement qui, comme chacun sait, n'a pas eu lieu. Mais cette expérience m'a permis de goûter à l'industrie du jeu. Déçu par l'annulation du lancement de cette console, j'ai décidé de me jeter à l'eau et de tenter ma chance comme "auteur de jeu vidéo" (le terme de game designer commençait à peine à émerger à ce moment là). Mon souhait était de concevoir des jeux, sachant que je n'étais ni programmeur, ni infographiste. C'était possible à l'époque – il y a neuf ans – car on était en plein "âge d'or" avec l'apparition du CD-Rom et des premières machines puissantes. Les capitaux commençaient à affluer. On assistait à la transformation d'une industrie mineure en une industrie de masse. Cela signifie que les investisseurs s'intéressaient au marché, que beaucoup d'argent arrivait. Donc, dès que quelqu'un avait une idée, avec un minimum la tête sur les épaules, il pouvait avoir une opportunité d'entrer sur ce marché. J'ai donc préparé un projet de jeu que j'ai commencé à proposer à droite et à gauche. Cela m'a permis de décrocher mon premier contrat chez Virtual Studio chez qui j'ai travaillé sur le jeu Angel Quest en tant que game designer.

Splinter Cell 2

Sur quels jeux as-tu eu l'occasion de travailler ?

J'ai travaillé sur beaucoup de titres mais dont seulement quatre ont été édités. Le premier, c'était Alone in The Dark – The New Nightmare développé par Darkworks et édité par Infogrames (maintenant Atari) . J'ai travaillé pour le compte de Coktel sur le level design d'Adibou et le secret de Paziral, un jeu de plateformes pour les enfants. Je suis également l'auteur de Venise (Cryo), un jeu d'aventure massivement multijoueurs dont j'ai imaginé l'idée de base. Enfin, le dernier gros morceau, c'est bien sûr le mode multi de Splinter Cell : Pandora Tomorrow.

Que peux-tu nous dire de ton travail sur ce jeu justement ?

J'ai d'abord commencé par coordonner tous les playtests (NDLR : phase où l'on commence à tester le gameplay) et j'ai ensuite supervisé le level design.

Concernant ton parcours de joueur, y a-t-il eu des jeux devant lesquels tu t'es dit : "Je veux faire ça !" As-tu des modèles, des maîtres à penser dans le domaine du jeu vidéo ?

Il existe peu de game designers connus. C'est donc difficile de se dire : "Je veux plutôt être comme celui là". Il faut aussi savoir que ce métier est en genèse permanente. C'est un des gros défis auxquels il est confronté.

Deuxième partie

Venise

Parlons maintenant du Game Design Studio. Peux-tu nous présenter l'équipe qui y travaille ?

Le Game Design Studio est une S.A.R.L. dont la structure est extrêmement légère. Il n'y a donc qu'une seule personne qui y travaille à plein temps : moi-même. Par contre, je me suis entouré d'autres freelance, que j'ai sélectionné pour leurs talents bien sûr mais pour leur autonomie. On ne s'improvise pas freelance. Je leur confie des missions que je supervise et il faut absolument que j'aie une confiance totale sur leurs capacités à fournir en délai et en qualité un travail "à distance".

Il y a d'abord le scénariste Joël Meziane. J'ai souhaité m'associer avec quelqu'un qui connaisse très bien les mécanismes des scénarios grand public. Il écrit régulièrement pour la télévision ou le cinéma. Il connaît les ficelles du métier qui vont permettre d'écrire un dialogue percutant, de construire une situation dramatique ou tout simplement de donner vie à un personnage attachant. J'ai souvent ai eu l'occasion de travailler avec lui et c'est un vrai bonheur.

Ensuite, il y a Marcos Testamark, un directeur artistique freelance capable de faire à peu près n'importe quoi avec un crayon ou une palette graphique : personnages réalistes à l'extrême ou d'apparence "cartoon", décors, véhicules, etc. En tant que directeur artistique, il peut aussi jouer le rôle de conseiller auprès d'équipes débutantes, parce qu'avoir des idées c'est une chose, mais les introduire dans une charte graphique, c'en est une autre. Marcos sait aussi concevoir des interfaces, une chose qui n'est pas aussi évident qu'il y paraît.

Autre pilier du Game Design Studio : Phay Yarath, un jeune artiste plein de talent en matière de design.

Le site de GDS

Comment s'est passée la création du Game Design Studio ? Quelles en ont été les étapes ?

J'ai d'abord travaillé comme indépendant pendant cinq ans puis je me suis rendu compte que le marché changeait. Les studios se sont montés avec leurs propres équipes de design. Les besoins en game designer indépendants ont faibli. Par contre, je me suis aperçu que les équipes débutantes ou déjà formées avaient besoin, à un moment donné, soit d'un surplus de main-d'œuvre en game design, soit d'un regard externe. L'idée de faire de la prestation de service de manière très ponctuelle, est partie de ce constat. Il ne s'agit pas pour nous de travailler sur un projet de A à Z mais d'intervenir à un instant précis du développement. J'ai donc axé mon offre vers des prestations très ciblées pour des studios ou des éditeurs. Ces services très pointus sont détaillés sur notre site.

Le Game Design Studio offre des prestations pointues en matière de game design mais se distingue aussi par sa spécialisation dans les genres "aventure" et "action-aventure". Pourquoi ce choix particulier ?

C'est un type de jeu qui m'intéresse beaucoup et j'ai aussi beaucoup appris en la matière au cours de ma participation au développement d'Alone In The Dark – The New Nightmare. J'ai développé mon savoir-faire dans ce domaine, savoir-faire que je propose à mes clients. J'ai d'ailleurs publié des articles sur Gamasutra sur ce thème.

Adibou et le secret de Paziral

Les jeux d'aventure et d'action-aventure sont donc ton domaine de prédilection ?

Le fait d'avoir récemment travaillé sur le level design de la version multijoueur de Splinter Cell : Pandora Tomorrow m'a aussi permis d'en apprendre beaucoup sur les jeux d'infiltration.

Le Game Design studio collabore avec plusieurs partenaires tels que l'AFJV et Lyon Game. Que peux-tu nous dire à ce sujet ?

Le Game Design Studio a plusieurs partenaires dans le domaine de la communication, comme ceux que tu viens de citer, mais aussi dans le domaine du développement : Virtools, Nex Gen Studio (un studio implanté à Singapour) et MZone Studio, une équipe bretonne performante spécialisée en infographie.

Ces partenariats se sont crées avant tout par sympathie. On a eu l'occasion de se rencontrer et de nous rendre compte que nous étions de jeunes entreprises pionnières dans nos domaines respectifs. Nous avons donc décidé de nous aider mutuellement en nous faisant mutuellement connaître. Notre partenariat est vraiment très informel. Il n'y a aucun lien contractuel. Il se base uniquement sur l'amitié et le respect mutuel. Je trouve ce principe plutôt sympathique. Et donc, on s'envoie des clients ou des informations de temps en temps et ça fonctionne très bien.

Troisième partie

Level design Tuning Tool

Nous allons maintenant essayer de définir ce qu'est le game design. Quelle en serait ta définition personnelle ?

L'objet du game design est de définir les règles du jeu. Schématiquement il s'agit de répondre aux questions suivantes : que doit faire le joueur pour gagner, quel est son environnement et de quels moyens dispose t-il pour atteindre son but.

Peut-être pourrions-nous détailler les différentes étapes d'un développement afin d'y replacer le game design dans son contexte ?

Tout a fait. Le game design intervient surtout au début du processus en définissant le concept. A la lecture de ces lignes, on doit pouvoir imaginer le thème, le type de décors et le type d'actions que le joueur va être amené à accomplir. Ce n'est pas si simple qu'il n'y parait. Si le concept est trop classique il n'a aucun intérêt et s'il est trop novateur il a peu de chance d'intéresser un éditeur. Il y a donc un gros travail de recherche à faire pour obtenir un concept à la fois original, clair et fort.

Ensuite, on passe en pré-production. L'objectif de l'équipe est de décrire l'intégralité du jeu, de tester tout ce qui est novateur afin d'évaluer les risques et de pouvoir établir un budget et un cahier des charges précis.

La troisième étape, c'est le développement. A ce stade, le game design s'efface petit à petit au profit du level design. Il doit cependant être présent pour adapter le game design en fonction des résultats des playtests. Il faut savoir être très ouvert. Certains game designer tombent amoureux de leur concept et refusent de le faire évoluer. Ils s'enferment dans des certitudes qui ne sont pas forcement compatibles avec l'attente principale d'un joueur : s'amuser.
Dans l'une de tes dernières publications sur le site de l'Agence Française du Jeu Vidéo, tu décris un parallèle entre le game design et le level design. Peux-tu-nous en parler ?

Dans cette série de chroniques je m'attache à défendre le rôle-clé du level design ainsi que l'indispensable intégration entre le game design, le level design et l'infographie. Autrement dit, lorsque le game design est terminé, son auteur ne doit pas se contenter de le passer aux levels designers qui transmettent ensuite leur propre travail aux infographistes. Ce découpage des tâches très taylorien marche mal car ces trois corps de métiers doivent pouvoir s'inspirer les uns des autres en travaillant conjointement. Evidemment, ce mode de fonctionnement remet en cause beaucoup d'egos personnels.

Dans ces articles, tu qualifies le game design de véritable travail d'auteur.

Le level design est très important mais on a toujours besoin d'une base solide en amont, d'un projet, d'une vision. Un bon jeu, c'est avant tout une vision, celle d'une personne qui a en tête un type de jeu, un thème, une ambiance générale. C'est le rôle du game designer. Derrière chaque grande œuvre, il y a toujours une personne d'envergure. Je pense que ça se vérifie dans n'importe quel domaine, que ce soit le cinéma, le théâtre, l'opéra, etc. Même s'il y a toujours une équipe très compétente derrière, à l'origine il a tout de même quelqu'un qui a une vision. C'est pour ça que pour moi, on peut parler d'œuvre d'auteur. La pire des choses, c'est un studio dans lequel tout le monde fait du game design et que les décisions sont prises "à main levée" pour caricaturer.
Tu ne crois donc pas à la polyvalence ?

Non. Il est très difficile d'exceller dans plusieurs domaines. Il faut être à la fois très spécialisé et très ouvert aux autres. Et c'est vraiment là qu'est le défi !

Pour finir sur le game design, aurais-tu des conseils à donner à celui qui souhaiterait se lancer dans l'aventure ? Quel serait le parcourir type pour devenir un game designer ?

Le parcours traditionnel, qui fonctionne toujours bien, c'est de partir en bas de l'échelle : commencer comme testeurs (NDLR : personne qui repère les bugs). Puis, de temps en temps, essayer d'amener des idées, des concepts à la direction du studio. Même si ces projets ne sont jamais développés, on commencera peut-être à se dire "Tiens, celui là, il a des idées intéressantes !". La tactique est de produire un document élaboré et clair pour présenter ses idées et mettre en avant son esprit de synthèse. Ce qui est extraordinaire, c'est que ça peut aller très vite : on peut rapidement grimper dans la hiérarchie.

Autre atout important à mettre en avant : le savoir être. Il s'agit de choses très simples, non pas liés à l'apprentissage d'un savoir-faire mais simplement à l'éducation : être sérieux (arriver à l'heure), faire les choses vite et bien sans avoir besoin de quelqu'un derrière soi, être courtois avec tout le monde, savoir mettre son ego de côté, etc. En général, les gens préfèrent travailler avec des personnes qui sont peut-être un peu moins brillantes mais qui sont capables de bien s'intégrer dans une équipe.

Enfin, il ne faut pas croire que parce qu'on a plein d'idées on sera forcément un bon game designer. On a tous plein d'idées. Et dans un jeu, l'idée de base ne représente peut-être que 5% de l'ensemble. Ce qui fait qu'un jeu est bon c'est un ensemble de choses : la qualité du développement, les réglages, les finitions et le fait que pendant 18 mois on ne s'est pas tapé dessus avec ses copains !

Quatrième partie

Nous allons maintenant étendre la discussion sur le marché actuel du jeu vidéo. On assiste à une uniformisation des plates-formes avec un monde PC moins rentable et des consoles qui disposent maintenant de caractéristiques très proches de celles du PC (disque dur intégré, modem, etc). Penses-tu que cette évolution peut, à terme, remettre en cause l'existence du jeu vidéo sur cette plateforme ?

Non, je ne pense pas. Si le marché PC génère effectivement des volumes moindres, je ne suis pas certain qu'il soit pour autant moins rentable. Les volumes sont plus faibles mais les marges sont probablement plus importantes et, surtout, les coûts de développement sont moins élevés. Il y a des jeux PC qui continuent à générer beaucoup d'argent, les jeux de gestion ou les RTS car ils tirent profit de l'interface PC. Donc, je ne suis pas pessimiste concernant le marché PC. Il faut simplement être conscient qu'il est plus petit et spécifique.

La suprématie des FPS et des jeux d'action en général est de plus en plus importante, au détriment d'autres genres comme le jeu d'aventure (derniers exemples en date : l'annulation du développement de Sam & Max 2). Qu'en penses-tu ?

Effectivement, le jeu d'aventure pur et dur est moins présent dans le coeur des joueurs aujourd'hui. Et pourtant je suis persuadé qu'ils seraient nombreux à y revenir si on leur proposait des produits novateurs. Nous sommes nombreux à chercher le dépaysement et le jeu d'aventure s'y prête bien.

Splinter Cell 3

As-tu une explication à nous apporter ou penses-tu que ce soit une évolution naturelle ?

Si le jeu d'aventure "point and click" est devenu marginal on retrouve une forte dimension "aventure" dans des jeux d'action: Cela va d'un Alone In The Dark – The New Nightmare à Call of Duty. Le jeu d'aventure a mué. C'est peut être pour cela qu'on pense qu'il est en voie de disparition. L'avenir réside peut être dans un environnement "aventure" supportant un concept "action". N'est-ce pas la voie suivie dans Doom 3 ?

Par rapport aux difficultés qui sont actuellement rencontrées par les studios indépendants, notamment en France, que peux-tu nous dire à ce sujet ? Quels sont, selon toi les raisons de cette situation et quelles pourraient être les solutions pour en sortir ?

Il n'y a pas qu'en France que des studios disparaissent. Le phénomène est global, donc la cause n'est pas spécifique à la France. Le problème peut se résumer en quelques mots: il y a trop de studios et les éditeurs financent moins de jeux que par le passé. On dispose pourtant de talents extraordinaires en France dans de nombreux domaines. Le problème vient du fait qu'ils sont sans doute disséminés à droite à gauche. Ce que j'espère, c'est que les meilleurs vont se réunir pour monter des équipes de qualité internationale, à l'image de ce qui se passe ici à Annecy au studio d'Ubisoft responsable du mode multijoueurs de Splinter Cell : Pandora Tomorrow.

Splinter Cell 3

N'y a-t-il pas une fuite vers l'étranger au niveau de ces talents justement ?

Bien sûr. De nombreuses personnes sont parties aux Etats-Unis, au Canada. Mais ce n'est pas nouveau, malheureusement.

Avant de conclure, aurais-tu des sujets que tu souhaiterais développer ?

J'aimerais revenir sur l'idée générale selon laquelle il est de plus en plus difficile d'être créatif dans l'industrie du jeu vidéo. Des nouveautés apparaissent régulièrement tous les deux ou trois ans. Un domaine créatif qui produit de la nouveauté tous les six mois, c'est une illusion. Prenez une période de deux ou trois ans et comparez ce qui se faisait à l'époque et ce que l'on fait actuellement. On s'aperçoit qu'il y a beaucoup de choses qui ont évolué, dans tous les styles de jeu. Même pour les FPS, nous sommes passés de quelque chose de très basique, style Quake, à des jeux nettement plus sophistiqués comme Call of Duty, très scénarisé. Et pourtant, ça reste du FPS. On assiste aussi à une autre digression avec Hidden and Dangerous, très tactique. Autre exemple avec Mafia ou GTA3 où il y a en plus une dimension aventure très importante.
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