Dossier | Appeal : Interview Exclusive
11 sept. 2001

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Avec son univers envoutant et un héros charismatique, Outcast avait fait souffler un vent nouveau sur le jeu d'action-aventure. L'équipe d'Appeal bûche actuellement sur sa suite, The Lost Paradise, et on ne pouvait pas résister à l'envie de l'interroger. Franck Sauer, le directeur artistique, Yann Robert, le directeur de développement, et Carlo Fabricatore, le chef de projet, communiquent pour la première fois sur les nouvelles aventures de Cutter Slade.

Première partie

Pour commencer, pouvez-vous nous présenter vos parcours respectifs. Comment en êtes-vous venus au jeu vidéo ?

Franck Sauer : Au lycée (ça remonte tout de même à 1986), j'ai rencontré Yves Grolet et, tous deux fans de commodore64, nous avons décidé de créer un jeu d'aventure, No. Etudes obligent, ça nous a pris trois ans. Ca a permis de nous faire remarquer et de démarrer directement une carrière professionnelle chez Ubi Soft en portant Iron Lord du ST sur C64. C'est là que nous avons rencontré Yann et nous avons collaboré à plusieurs projets C64, Amiga et même Amstrad. Ensuite, notre parcours est resté commun jusqu'à Outcast avec d'abord les jeux Amiga, Unreal et Agony, ensuite l'arcade avec Ultimate Tennis, StoneBall, Cheese Chase, Western Shooting, et Spell Singer qui n'est malheureusement jamais sorti. En 95, on a créé Appeal pour développer de grands jeux épiques, d'où Outcast.

Yann Robert : C'est également le C64 qui m'a fait découvrir une véritable passion pour les jeux vidéo. Cela m'a conduit à travailler comme informaticien de gestion dans une société de distribution de jeux vidéo chez Guillemot International Software. L'accès facile à toutes les nouveautés sur toutes les plate-formes a permis de parfaire notre culture sur les jeux. J'ai été très rapidement transféré chez Ubi Soft pour suivre la production de plusieurs projets signés avec la société Epyx. C'est à cette occasion que j'ai rencontré Franck Sauer et Yves Grolet. Franck vous a raconté la suite...

Y a-t-il eu un ou plusieurs jeux en particulier devant lesquels vous vous êtes dit : "Je veux faire ça !". Quels sont vos modèles dans ce domaine ?

FS : J'ai toujours aimé plein de jeux très différent, et ce sur toutes les plates-formes, mais c'est personnellement l'industrie du film qui, plus jeune, m'a le plus marqué. Ca m'a toujours donné envie de créer des univers, notamment fantastiques, dans lesquels on pouvait évoluer.
Franck et Yann, avec le recul, quel bilan faites-vous de l'aventure Art & Magic ?

FS : Du point de vue expérience, extrêmement positif, un peu moins du point de vue pécuniaire. Avoir travaillé très près du hardware nous sert énormément, notamment maintenant que nous migrons sur console (sans pour autant délaisser le PC). Nous avons d'ailleurs actuellement chez Appeal trois personnes qui ont travaillé avec nous sur l'arcade chez A&M.

YR : Ca été pour moi une expérience très enrichissante car il a fallu maîtriser des disciplines très différentes : connaissance du hardware, développement d'outils spécifiques, administration et management de société. Nous profitons pleinement de cette expérience puisque nous développons notre propre technologie qui exploite le hardware de la PS2.

Carlo, que retiens-tu de ton expérience de développement sur GameBoy, une console où le gameplay joue un rôle fondamental ? Comment utilises-tu ce bagage chez Appeal ?

Carlo Fabricatore : Je dois ici me concentrer tout particulièrement sur le gameplay qui se trouve justement être mon héritage issu de la Gameboy. L'importance du gameplay est telle que nous avons construit le monde d'Outcast en fonction de ce que pourront faire les joueurs pendant le jeu. Ainsi, la plupart des choses que vous trouverez dans le jeu, dont le scénario, influeront directement sur le gameplay conformément à ce que nous avons voulu afin de créer un monde à la fois beau ET d'appréhension simple. Simplicité probablement elle aussi héritée de mon expérience de la Gameboy. Bien que certaines parties pourront s'avérer complexes, le joueur sera à même de pouvoir s'en sortir facilement. C'est pourquoi nous avons travaillé sur des relations simples entre les éléments du gameplay, qui permettront au joueur de regarder, réfléchir et agir, en comprenant dans chaque situation de quels moyens il dispose et comment il peut les utiliser.

Deuxième partie

Appeal doit essentiellement sa renommée à un seul jeu, Outcast, et prépare actuellement sa suite. Est-ce qu'à l'avenir vous souhaitez vous diversifier en vous attelant à des projets radicalement différents ?

FS : Nous souhaiterions travailler sur des projets un peu plus modestes qui nous permettraient d'avoir une rotation plus rapide, par exemple autour de 18 mois. Mais ce ne seront pas des projets radicalement différents étant donné l'expertise acquise dans ce genre de jeu.

CF : A cela, j'aimerais ajouter que l'expérience que nous avons acquise tout au long de l'élaboration d'Outcast 2 nous a montré que la taille d'un projet ne va pas forcément de pair avec ce qu'attend le joueur en terme de qualité. Ainsi travailler sur un projet plus "modeste" n'implique pas forcément que ce soit un danger pour la qualité de son gameplay.

YR : Nous souhaiterions nous trouver dans une situation de développement similaire à celle que nous avions lorsque nous développions des jeux d'arcades. C'est à dire posséder les outils de développement et la technologie permettant de créer assez rapidement plusieurs jeux différents (bien qu'utilisant la même technologie). Ca n'a pas pu être le cas entre Outcast 1 et Outcast 2 puisque nous changions de plate-forme et de technologie. Mais maintenant nous travaillons dans cette optique.
Eventuellement, quels types de jeux aimeriez-vous concevoir ?

FS : Tout en restant dans le genre action/aventure, il est possible de toucher à d'autres styles en y incorporant plus d'éléments propre à un autre type de jeu. Par exemple, un jeu plus rapide avec plus de combats, ou un jeu plus lent avec plus de puzzles, ou encore plus de dextérité avec plus de plates-formes, ou d'y incorporer des éléments de jeux de rôle. Je pense personnellement que les jeux à univers forts sont des plates-formes excellentes pour accueillir différents types de gameplay, pas forcement en même temps d'ailleurs. En tout cas, des jeux centrés sur des personnages et des univers forts. Personnellement, j'aimerais un jour travailler sur une licence.

Appeal est implantée en Belgique. Quelle sont les avantages et les inconvénients de cette situation géographique ?

FS : Ah ! Je pense que mon associé ne me contredira pas si je dis que l'inconvénient majeur est la fiscalité belge. Il est également difficile de recruter de bon développeurs étant donne la concurrence notamment anglo-saxonne. D'un autre côté, nous avons toujours été bien place pour recruter des artistes de talent. Je pense que cela inclus deux facteurs. D'une part le croisement des cultures latines et germaniques a toujours engendre des talents artistiques dans cette région, d'autre part, et plus récemment, il s'est développé une certaine culture de l'image de synthèse. Il y a par exemple de très bonnes écoles dans les environs.
YR : Outre la fiscalité et les charges sociales exorbitantes, l'un des inconvénients est le manque de proximité des autres sociétés de jeux vidéo pour échanger nos expériences comme c'est le cas dans les villes comme Lyon, ou en Angleterre où ils organisent des tournois de foot entre les différents studios de développement. Mais le principal inconvénient, comme l'a dit Franck, c'est la difficulté de recrutement de personnes ayant déjà de l'expérience dans le jeu et prêt à s'expatrier. En contrepartie, il y a beaucoup moins de rotation des employés...


A sa sortie, Outcast a souvent été comparé à une véritable production hollywoodienne. Aujourd'hui où les adaptations de jeux vidéo fleurissent au cinéma, seriez-vous tentés par l'expérience ?

FS : Bien sûr ! Mais je pense qu'il faut d'abord atteindre un succès commercial considérable (plusieurs millions) avec le jeu pour intéresser des investisseurs de l'industrie du cinéma. De plus, un univers comme celui d'Outcast coûterait très cher à réaliser pour une adaptation cinématographique.

A propos de ce traitement cinématographique, Outcast bénéficiait justement d'une musique très réussie. Comment s'est passée la conception de cette bande originale ? De quelle manière êtes-vous intervenus à ce niveau ? Allez-vous une nouvelle fois faire appel à Lennie Moore et l'Orchestre Symphonique de Moscou pour Outcast 2 ?

FS : J'ai posté sur des newsgroups de compositeurs une annonce concernant la production d'une musique symphonique pour Outcast. Après avoir reçu des dizaines de proposition, nous avons retenu celle de Lennie parce qu'il avait l'expérience de collaborations avec le MSO. Il est d'abord venu ici pour discuter des musiques à composer, puis, lorsqu'il s'est mis a écrire, il m'envoyait en mp3 des maquettes réalisées au synthé, et ce jusqu'à la validation de tous les morceaux. Puis nous sommes allés une semaine à Moscou pour enregistrer avec 81 musiciens et 24 choristes.
C'est William Stromberg qui a dirigé l'orchestre (grande figure hollywoodienne de la restauration d'anciennes musiques de film), et je dois dire que les productrices Helena et Marina Levine avaient fait un excellent travail de préparation. Véronique, une artiste de chez nous m'a également accompagné pour tourner le making of. C'était vraiment une expérience unique et j'en garderai toujours un excellent souvenir, et puisque le résultat fut excellent, nous allons retravailler avec les mêmes personnes. Il y aura cependant une nouvelle composante musicale, et même certaines surprises puisqu'il faut s'adapter au nouveau scénario d'O2, mais je ne souhaite pas en dire plus...

Si l'on compare Outcast à d'autres jeux à succès du même style, on s'aperçoit que son univers est nettement moins sombre et violent. D'où vient ce parti pris humaniste à l'heure où ce sont les concepts forts en sensations extrêmes qui obtiennent généralement l'affection du public ?

CF : Les concepts forts en sensations ne sont pas forcément l'apanage d'univers sombres et violents. Le joueur est un individu manifestement complexe et il y a de ce fait de multiples moyens de le toucher et de l'émouvoir. De fait, j'aime voir l'univers d'Outcast comme une alternative pour toucher le joueur, peut être moins classique que les autres mais certainement plus riche et peut être plus profonde que beaucoup d'entre elles.

Troisième partie

Dans Outcast, la disparition de Marion Wolfe reste sans doute l'un des moments les plus forts du scénario. Comment décide-t-on de faire mourir un personnage principal, qui plus est féminin, dans une histoire aussi "grand public" ? L'éditeur ne vous a-t-il pas posé des problèmes par rapport à l'incorporation de cet événement ?

FS : C'est Douglas Freese, notre scénariste et game designer de l'époque qui a eu cette très bonne idée. Cela renforce l'aspect humain et sa fragilité, surtout lorsque l'on est habitué à ce que, dans l'univers des jeux, les gentils ne meurent jamais. C'était aussi notre volonté de rendre le scénario plus mature et moins cliché. C'est curieusement le marketing qui ne voulait pas que nous fassions mourir Marion, mais quand ils ont vu le résultat au final, ils ont dû reconnaître que c'était une très bonne idée.

Le multijoueur (avec notamment les Jeux De Rôle Massivement Multijoueur) semble être l'avenir du jeu vidéo. Qu'en pensez-vous ? Actuellement, quelle peut-être la place d'un jeu solo dans un marché qui s'internationalise ?

FS : C'est une voie qu'il nous faudra incontestablement explorer, mais nous ne sommes pas prêts techniquement. Pour l'instant, nous avons mis l'emphase sur l'expérience un seul joueur, on ne peut pas tout faire en même temps.
Quand on voit des JDRMM comme Starwars Galaxies, on imagine que l'univers d'Outcast pourrait aussi être une bonne base à ce style de jeu. Est-ce une idée qui vous séduirait ou bien pensez-vous qu'Outcast ne peut pas se prêter à un tel projet ?

CF : Vous soulevez un point important. Le potentiel engendré par l'univers d'Outcast nous a permis jusqu'à présent d'améliorer le gameplay dans Outcast 2 tout en faisant un jeu d'action/avanture. Néanmoins l'univers d'Outcast serait certainement un bon support pour des jeux d'un autre genre. Cela sera-t-il fait? En tant que concepteur de jeu, mon avis est que ça peut être fait, avec des résultats très intéressants. Néanmoins le potentiel d'une idée n'est pas la seule chose qui fait sa faisabilité, surtout dans ce milieu...

La suite d'Outcast fait partie des jeux les plus attendus du moment. Comment gère-t-on une telle attente, une telle pression ?

FS : En ce qui nous concerne, la pression vient plutôt des délais de développement à respecter.

YR : Comme vous avez pu le constater, nous avions décidé jusqu'à maintenant, de nous isoler un peu afin de nous concentrer sur le développement. Nous savons que dès que nous aurons commencé à communiquer sur le produit, il sera très difficile de gérer la pression venant de l'extérieur et la pression interne.
Qu'est-ce qui est le plus difficile : travailler sur un nouveau projet tout à fait original ou sur une suite très attendue ?

FS : Avec le recul, je pense qu'il aurait été plus facile d'entamer un projet en repartant à zéro. Nous avons perdu beaucoup de temps au début notamment à cause de l'excès de parti-pris de certaines personnes autour du projet, en particulier chez l'éditeur. C'est paradoxal mais quand un projet est intéressant, tout le monde veut se l'approprier. Il arrive alors parfois de tourner en rond. Quand votre projet est moins excitant, on vous fiche la paix...Vous avancez plus vite.

YR : Sur le plan purement technique, je pense que nous aurions développé les même bases technologiques que ce soit pour la suite d'Outcast ou pour un projet original puisque, quoiqu'il en soit, nous aurions fait un projet basé sur des personnages avec des décors complexes

Aviez-vous planifié cette suite dès le départ ou bien est-ce simplement une réponse à l'accueil enthousiaste du public ?

FS : On avait incontestablement laissé des portes ouvertes. Mais l'enthousiasme du public est un facteur essentiel évidemment.

Habituellement, lorsqu'un personnage de jeu vidéo aussi charismatique que Cutter Slade obtient une telle réponse du public, on assiste à une exploitation marketing importante (nombreux produits dérivés, grosse couverture médiatique, etc.). Comment Cutter a-t-il pu échapper à ça ?

FS : Ca, il faut le demander à Infogrames.

Quatrième partie

Pour Outcast 2, envisagez-vous une personnalisation encore plus importante du héros ? A propos, la voix française de Cutter sera-t-elle toujours assurée par le doubleur attitré de Bruce Willis ?

FS : La technique permet d'aller beaucoup plus loin en matière de personnalisation des personnages (motion capture plus détaillée, animation faciale plus réaliste...), mais la voix dépend essentiellement de la disponibilité de l'acteur. Nous ferons notre possible pour conserver la doublure de Bruce Willis.

Le joueur aura-t-il la possibilité d'incarner d'autres personnages que celui de Cutter Slade dans Outcast 2 ?

FS : Non.

Dans le premier volet, l'animation des personnages était gérée en "motion capture". Est-ce toujours le cas dans cette suite ? Quelles contraintes supposent cette technologie (je pense notamment à l'animation des animaux) ?

FS : Nous avons récemment construit un tout nouveau studio de motion capture qui nous permet de capturer tout le corps et les doigts. Nous avons également développé des outils nous permettant de retoucher aisément les animations capturées et de mélanger motion capture et keyframing directement dans Maya. De plus, nous avons acquis un système FaceWorks qui permet à l'aide d'une espèce de table de mixage de contrôler l'expression faciale d'un personnage, et un système VoiceWorks qui automatise le lipsync à partir du fichier wave correspondant à la phrase dite par l'acteur. Ce qui n'est pas humanoïde est animé à la main en keyframing.
L'intelligence artificielle des PNJs dans Outcast était déjà très développée. Comment et à quel niveau comptez-vous la faire évoluer ?

YR : Nous avons conservé les principes de GAIA, le moteur d'intelligence artificiel utilisé dans Outcast 1, tout en simplifiant l'implémentation et sa mise en oeuvre. Dans Outcast 2, nous souhaitons mettre l'accent sur les moyens permettant de rendre un comportement lisible pour le joueur plutôt que de faire de la simulation à tout prix.

Sur les premiers artworks d'Outcast 2, on peut lire le sous-titre "The Lost Paradise". Est-ce le nom officiel du jeu ou simplement le nom du projet ? Sans trop révéler le scénario bien sûr, que sous-entend cette expression "Paradis Perdu" ?

FS : C'est toujours un nom temporaire, mais le jeu pourrait bien s'appeler comme cela au final. Nous avons souhaité qu'Outcast 2 devienne un sous-titre pour ne pas effrayer les personnes souhaitant acheter le jeu sans avoir joué au premier épisode. Au niveau du scénario, cela a également été une priorité dès le départ, surtout qu'il y a une version console, de n'avoir besoin d'aucun pré-requis pour comprendre l'histoire et l'univers d'Outcast 2. Par contre, certaines subtilités et références sont évidemment présentes pour les fans. Quant à l'explication du titre "Paradis Perdu", elle vient de cette planète Adelpha, si belle et harmonieuse avant que ne survienne l'évènement... d'Outcast 2.
Les quelques infos qui ont filtré sur l'environnement présent dans cette suite font référence à une nouvelle civilisation (différente des Talans), à l'apparition de personnages féminins et à une faune plus importante ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces points ?

FS : Certaines de ces informations sont tout à fait exactes. Nous avons été agréablement surpris de voir que certains fans du jeu ont réussi à extrapoler correctement les informations distillées dans Outcast et à élaborer un scénario pour The Lost Paradise très proche de celui que nous avons développé. Ce que l'on peut dire dès à présent, c'est que le jeu se passe dans l'hémisphère sud d'Adelpha, dans des endroits que Cutter n'a encore jamais visités.

CF : Juste pour ajouter que ce que vous allez voir dans Outcast 2 n'est pas "plus de la même chose". Les joueurs vont avoir la chance d'en apprendre plus sur la civilisation Talan, découvrir des choses qui n'étaient même pas suggérées dans Outcast aux côtés d'autres qui auront elles, un lien clair avec les chapitres précédents de la saga. Tout ceci dans une atmosphère radicalement différente de celle qu'a connu Cutter lorsqu'il est arrivé sur Adelpha pour la première fois.

L'une des grosses originalités d'Outcast (que certains ont aussi vu comme un défaut) était l'utilisation d'un moteur voxel très gourmand. A l'époque, qu'est-ce qui vous avait poussé à utiliser cette technologie ?

FS : Quand on a commencé, il n'y avait pas d'accélération 3D, et les polygones en software étaient trop lents pour faire de l'extérieur. Quand la 3D accélérée est arrivée, il était trop tard pour changer la technique. C'est parce que le temps de développement a été de 4 ans que l'on s'est trouvé à cheval sur deux générations de hardware.

Cinquième partie

Outcast 2 dispose maintenant d'un nouveau moteur, de votre cru, à base de polygones appelé "Himalaya". Quel confort vous offre t-il par rapport au voxel ? Permettra-t-il d'obtenir le même rendu si particulier du premier volet, à savoir, cette douceur dans les courbes et une palette graphique très lumineuse ?

FS : C'est très différent. On n'a plus aucune contrainte de topologie, par contre les scènes sont très complexes à mettre en oeuvre. Pour l'éclairage d'une scène (tant extérieure qu'intérieure), nous utilisons un logiciel de radiosité appelé Lightscape. Celui-ci peut prendre plusieurs jours (sur un AMD 1.3 Ghz avec 768Mb de DDR) pour calculer la solution d'éclairage d'une map. Mais le résultat est très prometteur. En tout cas, le look, quoique différent de celui des voxels est très différent des moteurs polygones concurrents.

Quand on met au point un moteur comme celui-ci, les bénéfices engendrés par la vente des jeux qui l'utilisent suffisent-ils à le rentabiliser ou bien est-ce absolument nécessaire d'en trouver des acquéreurs par la suite ?

YR : Le bénéfice engendré par la vente des jeux devrait suffire à rentabiliser la technologie mais il est indéniable que pour tirer pleinement profit de ce lourd investissement, il faut développer plusieurs jeux basés sur cette technologie (en l'améliorant progressivement). C'est ce que nous projetons de faire. Nous ne sommes pas encore structurés pour vendre notre technologie à d'autres studios. Cela impliquerait des ressources supplémentaires pour la maintenance et la documentation mais c'est une hypothèse que nous envisageons également.
Lorsque le développement d'un projet s'étale sur plusieurs années, comment peut-on rester cohérent face à une avancée technologique aussi rapide ?

YR : Je pense qu'il faut se fixer des objectifs ambitieux et voir très loin dès le départ lors de la définition des besoins technologiques. C'est notre rôle à Franck et à moi. C'est souvent à ce moment là que l'équipe techno nous prend pour des fous avant d'adhérer puis de transcender cette vision.


Outcast 2 est prévu sur PC, bien sûr, mais aussi sur PS2. Est-ce un moyen plus sûr de rentabiliser le jeu (le marché du jeu sur PC n'étant sans doute pas celui qui permet les plus grands débouchés en terme de ventes) ou une volonté d'offrir l'expérience Outcast au plus grand nombre ?

FS : Les deux ! Il est clair aujourd'hui qu'Outcast 2 ne serait pas rentable sur PC uniquement. Et si on veut qu'un jour l'univers d'Outcast devienne une franchise incontournable, il faut atteindre un maximum de personnes et donc supporter un maximum de plate-formes. C'est aussi très agréable de développer sur console.

Justement, compte tenu des bénéfices relatifs engendrés par un jeu PC, l'émergence de consoles vidéo de plus en plus évoluées et, finalement, aux caractéristiques assez semblables à celles des PC, peut-elle remettre en question l'existence du jeu vidéo sur cette plate-forme selon vous ?

FS : Certainement pas. Le PC est et restera une plate-forme à part entière, mais toujours pour un public d'avertis. La console sera de plus en plus populaire. Mais le schéma actuel est exactement celui de la sortie de la Playstation qui à l'époque rivalisait en performances graphiques avec le PC. Puis, petit a petit, les PC ont évolués et ont aisément dépassé les performances de la PS. Ce sera pareil dans quelques temps. Ce qui nous plait dans la console, c'est cette stabilité du hardware qui permet de se concentrer sur le contenu du jeu.
Quel regard portez-vous sur cet élargissement du marché actuel avec la PS2 et les sorties prochaines de la X-Box, de la NGC ? Sur laquelle de ces nouvelles consoles aimeriez-vous développer vos futures productions ? Pour quelles raisons ?

FS : Il est très probable qu'O2 sorte un jour sur X-Box, étant donné la relative simplicité du passage PC vers X-Box. Mais nous nous concentrons actuellement sur les versions PS2 et PC. Nous pensons que la PS2 représentera la majorité du marché console à la sortie d'O2, c'est donc pour nous la console prioritaire. Nous sommes extrêmement enthousiastes envers le potentiel de la PS2 et les prévisions de ventes sont très encourageantes.

La sortie de Jedi Knight 2 (qui a d'ailleurs pour sous-titre : Jedi Outcast) semble prévue au même moment que celle d'Outcast 2. Ce genre de concurrence rentre-t-elle en ligne de compte dans le choix de la date de sortie ?

FS : C'est à l'éditeur de gérer ce genre de problème.

Au cours d'un développement, garde-t-on un oeil sur les nouveautés qui sortent ? Est-ce qu'on adapte régulièrement son projet pour être au plus près du marché ou bien reste-t-on toujours fidèle aux objectifs que l'on s'est fixé au départ ?

FS : Nous avons les yeux fixés sur les nouveautés et il arrive qu'il faille s'adapter, mais en général on essaie de tenir nos propres objectifs.

Par rapport à la communication sur un jeu vidéo, comment parvient-on à utiliser correctement la presse spécialisée ? N'est-ce pas la partie de votre travail la plus aléatoire ?

FS : Le plus difficile est la synchronisation avec l'éditeur. En fonction des contrats, on ne sait jamais à qui on doit ou on peut communiquer telle ou telle information. C'est parfois un peut frustrant.
Pensez-vous que cette presse spécialisée fasse toujours son travail d'information ? Quelle grosse différence y'a-t-il entre une interview américaine et française par exemple ?

FS : Les a-priori ! "Hey man, another French game, pfff". "A Belgian game, man..." "Uh !? Belgium, where's that ?"

CF : En fait on peut y voir un peu de tout, pas seulement les choses négatives. Certains magazines spécialisés américains ont même encensés Appeal et Outcast à la sortie du jeu (comme c'est le cas de Computer Gaming World). Pour eux découvrir une équipe de développement belge a été une bonne surprise.

Votre but avec Outcast était d'offrir au joueur une expérience unique basée sur l'émotion. A votre avis, et pour conclure, comment une émotion peut-elle naître d'un jeu vidéo et comment les choix que vous faites sur cette suite (un nouveau moteur notamment) vont-ils vous permettre d'atteindre une nouvelle fois cet objectif ?

FS : L'histoire, l'environnement visuel et sonore, l'ambiance, la personnalité des PNJ sont les véhicules essentiels de l'émotion dans un jeu comme Outcast. Les nouvelles techniques permettent de réduire de plus en plus les barrières de l'artificiel en offrant un réalisme de plus en plus convaincant. Mais c'est principalement en réunissant des gens compétents et motivés que l'on peut atteindre cet objectif.



Merci à Outcastii.net pour leur précieuse collaboration
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