Dossier | L'Île Noyée selon Benoit Sokal
03 oct. 2007

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Après avoir goûté à une preview aussi alléchante, difficile de résister à l'envie d'interroger l'auteur de L'Île Noyée. Surtout lorsqu'il s'agit d'un certain Benoit Sokal, bien connu des fans de jeux d'aventure et de bandes dessinées. Pour fêter la sortie – aujourd'hui même – de sa dernière création, il met en lumière certains aspects du développement de cette enquête policière hors du commun. Il revient également sur sa précédente aventure, Paradise, et glisse quelques indices sur ses futurs projets.

Première partie

Pourriez-vous d'abord nous rappeler votre parcours en quelques mots ?
    En 1977, après 4 ans d'une école de bande dessinée à Bruxelles, j'ai eu la chance de rejoindre l'équipe du mensuel de bande dessinée "A Suivre", journal dans lequel j'ai créé entre autre la série Canardo. C'était une époque où émergeait une véritable bande dessinée d'auteur qui abordait en général des sujets plus adultes. Au milieu des années 90, j'ai progressivement migré vers le jeu vidéo.

Comment êtes-vous passé de la bande dessinée au jeu vidéo ? Que vous apporte ce support que ne vous apporte pas l'autre ? Et vice et versa ?
    Au départ, je me suis intéressé aux possibilités qu'offrait l'informatique en matière graphique. J'ai très tôt utilisé l'ordinateur pour mettre mes planches de BD en couleur par exemple. Puis j'ai découvert la 3D, j'ai eu un véritable coup de foudre pour l'image de synthèse et plus prosaïquement, il m'a semblé que je devais suivre l'image là où elle allait. C'était une époque où les éditeurs de livres s'intéressaient beaucoup au CD-rom et aux différentes possibilités d'y mettre un contenu jusqu'alors traditionnellement réservé au livre. J'ai profité de cet état d'esprit de Casterman, mon éditeur, pour lui proposer de tenter l'expérience du jeu vidéo.

Dans l'ïle Noyée, vous incarnez l'inspecteur Jack Norm.

Vos bandes dessinées apparaissent plus légères dans leurs ambiances et leurs dialogues avec notamment une bonne dose d'humour (voire carrément de cynisme chez l'inspecteur Canardo) alors que vos jeux vidéo eux sont plus sérieux. Comment expliquez-vous ça ?
    Je ne l'explique pas... Pour moi, de l'uniformité nait l'ennui. J'aime varier les genres et les supports.

Tout comme dans la bande dessinée, votre nom est devenu une véritable signature associée à des jeux d'aventure artistiquement très travaillés. Comment gérez-vous votre mise en avant systématique sachant que le développement d'un jeu vidéo est évidemment un travail d'équipe ?
    Je me défini comme un auteur et metteur en scène. C'est donc celui qui signe... Comme au cinéma. De plus, je participe à toutes les étapes du développement du jeu et j'en assure la direction artistique.

Baïna, l 'un des personnages les plus intriguants de cette histoire.

Parlons bien sûr de votre nouveau jeu : L'Île Noyée. Comment souhaitez-vous présenter cette enquête policière à nos lecteurs ?
    La genèse de ce jeu, c'est l'envie de revisiter le cadre "classique" de l'intrigue policière, grâce aux multiples possibilités graphiques et scénaristiques offertes par le jeu vidéo.

Avec son unité de lieu particulière (une île tropicale) et son intrigue basée sur un meurtre et une dizaine de suspects potentiels, ce jeu n'est pas sans rappeler le roman d'Agatha Christie "Les 10 Petits Nègres". Justement, où avez-vous puisé votre inspiration pour mettre en place cette histoire ?
    Bien sûr Agatha Christie, mais aussi beaucoup d'histoires policières "à l'ancienne" avec des meurtres mystérieux. Cela dit, mon personnage est résolument moderne et loin de Rouletabille ou d'Hercule Poirot. Le polar fait vraiment partie de ma culture d'auteur.

L'Île Noyée est basé sur une enquête de l'Inspecteur Canardo dont vous avez repris les grandes lignes. Dans le jeu, le joueur incarne donc un inspecteur. Il apparaît bien moins à la marge que Canardo. Pourquoi n'avez-vous pas conservé cet aspect marginal ? Est-ce un désir propre ou une nécessité de rendre le personnage abordable à tous les publics ?
    En réalité, j'ai toujours 3 à 5 histoires en développement parallèle, et elles "mûrissent" chacune à son propre rythme. Pour L'Île Noyée, je ne pensais pas en faire initialement une aventure de Canardo. Je devais avoir en tête déjà un jeu ou un film... Donc, lorsque j'ai repris cette trame, elle m'a semblé assez naturellement adaptée au sujet d'un jeu. D'ailleurs l'histoire de la BD et celle du jeu n'ont plus grand-chose en commun, à part ce principe d'île qui "coule"...

Deuxième partie

Voici la page d'accueil du Personnal Police Assistant.

Pour mener à bien son enquête le joueur dispose d'un outil original : le Personnal Police Assistant. Que pouvez-vous nous dire à son sujet ?
    C'est une sorte de laboratoire portatif. J'ai imaginé un assistant personnel capable de recueillir mais aussi d'analyser les données collectées sur le terrain. A l'origine, il s'agissait d'un simple élément d'interface, et au fil des réunions et de la réflexion, il a évolué jusqu'à être quasiment un jeu dans le jeu. Nous sommes en train de travailler à la suite de L'Île Noyée (NDLR : Murder on Scene), et nous conservons le PPA comme interface "active".

Ce jeu d'aventure point'n'click propose enfin des séquences de dialogues plus dynamiques et moins rébarbatives avec l'utilisation de plans rapprochés, de contres plans, bref des techniques largement utilisées au cinéma. A votre avis, pourquoi ces techniques mettent-elles si longtemps à être déclinées dans un jeu d'aventure ?
    Parce que chaque média a son propre système narratif, né de l'expérience certes mais qui trimballe du coup son propre conservatisme. Moi, je crois beaucoup au crossover entre les disciplines : cinéma, jeu vidéo, bande dessinée...

Les nombreux dialogues du jeu sont astucieusement mis en scène.

Les dialogues sont évidemment l'occasion d'apprécier le travail de doublage des personnages. Comment se passe cette partie du développement ? Avez-vous la main à ce niveau là ou est-ce plutôt du ressort de l'éditeur ?
    Le "producer" de l'éditeur a son mot à dire, mais il s'agit d'abord et avant tout d'une responsabilité qui m'incombe. C'est une chose que j'aime faire en plus. De la direction d'acteurs, en fait.

L'Île Noyée a d'abord été annoncé sous son titre en anglais "Sinking Island", sans doute pour offrir une ampleur internationale à son annonce. En tant que créateur, quelle marge de manoeuvre disposez-vous pour décider d'un titre et surtout de sa traduction ou pas ?
    Là c'est vraiment l'éditeur qui décide au final. Pour ma part, je pense qu'un titre international aurait fonctionné, mais peut être que la localisation du titre permet d'élargir le public.

Pourquoi un jeu développé en France, en tous cas ailleurs que dans un pays anglophone, doit-il nécessairement être adapté pour le marché international au risque de perdre une partie de son identité ? Plus généralement, quel regard portez-vous sur ce "nivellement international" ?
    C'est un non-choix. Il n'y a pas d'autre manière d'amortir un développement de l'ambition de jeux tels que Paradise ou L'Île Noyée sur la France seule. Donc, l'international est nécessaire. Pour moi, c'est une bonne chose. Ce qui compte c'est de garder sa liberté narrative, et j'ai toujours eu le sentiment de l'avoir.

L'un des dessins préparatoires du jeu : la tour où se déroule une bonne partie de l'intrigue.

L'Île Noyée est également prévu sur Nintendo DS, une plateforme qui accueille de plus en plus de jeux d'aventure issus de l'univers PC. Selon vous, en quoi cette console est-elle un nouveau support de choix pour ce type de jeu ?
    Une partie des joueurs sur la DS sont des adultes qui cherchent d'autres expériences vidéo-ludiques que celles offertes par les jeux de course ou de plates-formes. L'écran tactile offre aussi des possibilités d'interfaces simples et intuitives, qui permettent du coup de se concentrer sur l'histoire.

Pour continuer sur votre travail sur DS, White Birds développe actuellement le jeu Martine à la ferme, un titre à fort potentiel commercial. Vous qui proposez habituellement des œuvres artistiquement très ambitieuses, peut-on cette fois parler vulgairement d'un projet purement "alimentaire" ?
    D'abord, je dois "changer de casquette" pour répondre à votre question. Enlever celle d'auteur et mettre celle d'actionnaire co-créateur de société. Je n'interviens pas personnellement sur les titres "Martine", mais ils me semblent cohérents avec l'univers initial qui est tout de même une des plus belles réussites de l'édition jeunesse. Plutôt que "alimentaire", je dirais "opportuniste". L'objectif est de faire un titre de qualité, qui respecte les joueurs et la licence.

Troisième partie

Paradise, un titre artistiquement irréprochable.

Revenons rapidement sur Paradise, votre précédente production. Quel bilan faites-vous de son accueil critique et évidemment commercial ?
    Mitigé... Je pense qu'une partie de la communauté "aventure" a été surprise par cet univers assez sombre. Ils attendaient peut être davantage un Syberia III. Je ne nie pas non plus les problèmes techniques que le titre a rencontré, même si je pense qu'ils sont secondaires dans le semi-succès de Paradise.

Avec le recul, si vous en aviez maintenant la possibilité, qu'aimeriez-vous modifier sur ce jeu, notamment au niveau du gameplay ?
    Sur le gameplay, les séquences 3D apportent peu, et je les supprimerai tout simplement. Je ne changerai rien à l'histoire... et consacrerai plus de temps au réglage final.

Pour finir, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre prochaine adaptation de Nikopol, la bande dessinée culte d'Enki Bilal ? Qui est à l'origine de ce désir d'associer votre expertise en matière de jeux d'aventure à cet univers si particulier ?
    Sur le fond, je ferai le même commentaire que pour "Martine", même si les univers n'ont rien à voir. Je n'interviens pas sur ce jeu. Et je pense qu'il s'agit d'une adaptation intéressante et respectueuse de la création originale.



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