Interview | Bioshock Infinite
11 mars 2013

Entretien avec Shawn Robertson

Interview par

C'est à la suite d'une présentation presse orchestrée par 2K Games et Ken Levine que nous avons pu rencontrer Shawn Robertson, directeur de l'animation chez Irrational Games (et plus précisément pour Bioshock Infinite). Le bonhomme a bien voulu revenir sur le dernier bébé du studio américain, déjà en lice pour le titre de "jeu de l'année".

"Rapture et Columbia sont des personnages à part entière."

Pouvez-vous vous présenter et citer les projets sur lesquels vous avez travaillé avant Bioshock Infinite ?
Shawn Robertson : Je suis directeur de l'animation chez Irrational Games. J'ai commencé à travailler chez eux il y a bientôt 13 ans, en juin 2000, et le premier projet sur lequel j'ai fait mes armes était The Lost, un jeu qui a finalement été annulé. Je me suis ensuite retrouvé sur Freedom Forces vs The Third Reich, Swat 4, Bioshock et Bioshock Infinite.

Le terme "directeur de l'animation" est vague. D'ailleurs, certains papiers vous attribuent plutôt le statut de directeur artistique... En quoi consiste votre travail au juste ?
S.R. : Officiellement, j'ai débuté en tant que directeur artiste, puis l'équipe s'est divisée et je suis devenu directeur de l'animation. Mon rôle consiste à vérifier l'intégralité des animations présentes dans le jeu, à m'assurer de leur qualité.

Ça ne vous dérange pas si on aborde l'écriture de Bioshock Infinite ?
S.R. : Pas du tout ! En fait, j'ai aussi été impliqué à ce niveau.

L'homme parfait (rires) ! Quand on regarde l'univers de Bioshock Infinite, on constate que la série ne reposait pas uniquement sur des personnages emblématiques comme les Big Daddies ou les petites sœurs. Comment êtes-vous parvenus à conserver l'esprit de Bioshock en retirant des éléments aussi importants que ces personnages ou la ville de Rapture ?
S.R. : Quand nous avons commencé Infinite, il n'était absolument pas question de conserver Rapture. Nous nous sommes demandés ce qui définissait Bioshock. La première conclusion que nous avons faite, c'est qu'il fallait un environnement vaste, un lieu que le joueur prendrait plaisir à explorer. Le choix de la ville était donc primordial. Qu'il s'agisse de Rapture ou de Columbia, ce sont des personnages à part entière. Et comme pour tout personnage, il a fallu donner à Columbia une certaine dimension, de l'intérêt, du mystère afin que le joueur ait envie de l'explorer et de progresser. La deuxième chose importante concernait le système de jeu. Il fallait que le joueur retrouve des mécaniques présentent dans Bioshock, notamment l'utilisation des pouvoirs et des armes, tout en apportant son lot de nouveautés.

"Nous voulions parler de la recherche du paradis et de (ses) conséquences."

Elizabeth n'est pas la bonne poire qu'il faut d'ordinaire protéger. A en juger par les propos de Shawn Robertson, elle prendra des initiatives.

Avec la ville de Columbia, on retrouve l'idée d'utopie présente dans Bioshock. C'est intéressant d'observer que l'Amérique a pour habitude de parler d'elle même, que ce soit à travers des films, des livres ou des jeux vidéo. Votre souhait était-il de retranscrire une Amérique coincée entre passé et futur ?
S.R. : Ce qui nous a conduit à cette vision de l'Amérique, c'est la technologie et la façon dont elle s'intègre dans notre monde. Quand vous regardez autour de vous, vous voyez des téléphones portables, des voitures, des avions, etc. Nous sommes fascinés par la façon dont ces technologies sont apparues, au début du siècle, et nous avons voulu retranscrire l'optimisme de l'époque car Bioshock Infinite se passe avant la première Guerre Mondiale, en 1912.

Plus généralement, la série Bioshock parle du rêve Américain. Que ce soit dans Bioshock premier du nom ou dans Infinite, les cités sont les symboles de ce rêve. Il suffit de regarder le drapeau de Columbia qui rappelle celui des États-Unis, à la différence qu'il n'arbore qu'une seule étoile, comme pour matérialiser une même unité. Pensez-vous que Bioshock soit inévitablement lié à cette idée de rêve américain ?
S.R. : Nous voulions parler de l'ambition, de la recherche du paradis et des conséquences que cette quête peut avoir. Il y a avant tout une idée de fatalité. Quelle que soit la situation initiale, cela dégénère et crée un conflit que l'on peut utiliser en toile de fond afin de raconter une histoire. Et Bioshock Infinite est d'abord l'histoire de Booker et d'Elizabeth.

Ken Levine a déclaré qu'auparavant le joueur n'était que spectateur de la relation entre les Big Daddies et les petites sœurs, tandis que dans Infinite il est au cœur d'une autre relation. C'est aussi le sentiment que donne le début du jeu : le joueur a l'impression d'être un protecteur et de sauver une jeune fille. La tenue d'Elizabeth, faite de bleue et de blanc, ferait-elle référence au fait qu'elle s'apparente à une petite sœur plus mature ?
S.R. : Il n'y a pas de lien direct entre Elizabeth et les petites sœurs. Selon moi, c'est même plutôt l'inverse : Elizabeth serait la descendante de ce qu'étaient les Big Daddies. C'est vrai que la relation est similaire, mais Elizabeth n'est pas quelqu'un que vous devez protéger, dont vous devez vous occuper. Et parfois elle peut même vous venir en aide ! Je pense que la couleur de ses vêtements n'est qu'une coïncidence.

"Dès le début, nous avons décidé de faire une cité dans les cieux."

La jaquette du jeu, en comparaison d'une image tirée de Blade Runner, le chef d'oeuvre de Ridley Scott.

Quelles ont été vos inspirations pour créer Columbia ?
S.R. : Dès le début, nous avons décidé de faire une cité dans les cieux. Ensuite, nous nous sommes tournés vers l'Art Nouveau pour lequel nous avons beaucoup d'intérêt. Mais ce courant artistique est loin d'être facile à reproduire dans un jeu vidéo : il implique des effets de lumières importants et tout un tas de choses pas forcément simples. En général, le rendu de ce style n'est pas optimal sur les plateformes actuelles. Nous l'avons choisi car nous voulions plonger le joueur au début du 20ème siècle, avec la navigation, la technologie, l'exposition universelle de Chicago, l'expansionnisme américain... Nous étions fascinés par cet aspect et c'est pourquoi nous avons choisi l'Art Nouveau qui correspond à une nouvelle ère et à une certaine image de l'Amérique.

Il y a vraiment quelque chose de fascinant dans cette façon qu'a l'Amérique de parler d'elle-même... Rien à voir, mais quelques critiques ont été émises quand la jaquette du jeu a été dévoilée, affirmant que celle-ci était trop commerciale et ne reflétait pas assez l'univers de Bioshock. Mais n'est-ce pas aussi une référence à Blade Runner ? Booker est un détective, comme Harisson Ford dans le film de Ridley Scott, et la façon dont il tient son arme rappelle une célèbre image du film...
S.R. : Je n'ai pas été impliqué dans le choix de la jaquette, mais je ne pense pas que ce soit un clin d'œil à Blade Runner. Pourtant, c'est vrai que c'est un film fantastique !

Une dernière question : quels jeux vous ont séduit ces derniers mois ?
S.R. : Je viens juste de finir Dishonored et Far Cry 3. Je les ai trouvé très réussis ! Ce sont des jeux très forts et j'ai pris du plaisir à les faire. J'ai vraiment adoré Dishonored.

C'est amusant car l'une des inspiration de Dishonored reste Bioshock !
S.R. : Exact ! Je n'y avais pas pensé. Je crois que j'aime surtout les jeux en vue subjective avec une histoire forte et une narration bien menée.
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Tribune libre