Interview | Tron Evolution
10 janv. 2011

Entretien avec David Patch et John Vignocchi

Interview par

C'est au lendemain de la projection presse du film Tron Legacy et de deux conférences en compagnie des équipes du film et du jeu que nous avons pu rencontrer David Patch et John Vignocchi, respectivement directeur artistique et chef de projet sur le jeu vidéo Tron Evolution. L'occasion d'en savoir un peu plus sur cette adaptation qui n'en est pas vraiment une...

"Tout cela fait partie de la vision artistique"

Pouvez-vous vous présenter et nous dire sur quels projets vous avez travaillé avant de vous retrouver sur Tron Evolution ?
John Vignocchi : Bien sûr ! Je suis chef de projet chez Disney Interactive Studios. Avant d'être chez Disney, j'ai travaillé sur de nombreux titres pour Midway Games, beaucoup de jeux de sport : NFL Blitz, MLB SlugFest, la série des NBA Ballers... Et plus tôt, j'ai fait un court passage chez Vogster Enterntainment où nous avons fait Robocalypse sur Nintendo DS et iPhone, Unbound Saga et quelques autres titres qui n'ont en réalité jamais vu le jour. Chez Disney Interactive Studios, j'ai travaillé sur Pirates des Caraïbes : l'Armade des Damnés et maintenant sur Tron Evolution.

David Patch : Je suis directeur artistique pour Propaganda Games. Avant cela, j'ai bûché sur un MMO pendant quelques années et j'ai aussi travaillé pour Maxis et EA : SimCity, SimCity 4, Unlimited, Sims 2 et de nombreuses extensions. Et encore plutôt, j'ai participé à l'élaboration de Lego Island.

Il y a un fossé entre la direction artistique de SimCity et celle de Tron Evolution, donc la prochaine question est plutôt destinée à David. Le monde de Tron a une identité forte et même si d'un côté on peut penser qu'il est plus facile de travailler sur une œuvre avec une telle personnalité, on peut aussi penser que vos choix sont bridés. Je ne sais pas si vous voyez où je veux en venir... Vous êtes peut-être moins "libres" que sur d'autres projets. Pouvez vous nous donner votre point de vue en tant que directeur artistique ?
D.P. : Alors... Tron dispose d'un style unique et reconnaissable. Il a des frontières, des définitions de ce qu'il y a et de ce qu'il n'y a pas ; et ces frontières deviennent notre design principal. Nous devons innover avec elles. Ok, vous devez créer une rue d'une ville : vous marchez dans une rue et prenez des photos. Il y a des briques, des trottoirs... mais dans Tron tout doit être créé avec votre tête, tout doit être réalisé avec votre talent artistique, dans le but de développer un style qui existe déjà. Donc premièrement, c'était une chose très excitante. Et deuxièmement, nous avons dû nous approprier tout cela et être capable d'étendre ces idées. Ce n'était pas seulement prendre le travail fait sur Legacy. Nous travaillions sur Tron City et il y avait des Light Cycles par exemple. Il y avait des idées de design qui faisaient office de noyau, donc nous devions prendre ces idées et nous en servir pour développer notre propre histoire. Nous devions montrer des parties différentes de l'univers. Nous avons dû créer notre propre ville, nos propres personnages, nos propres costumes, tout cela pour les intégrer dans l'univers de Tron, dans le roman graphique, dans l'épisode Wii, dans celui sur DS, etc. C'était vraiment une expérience intéressante, notamment du point de vue créatif parce que nous avions vraiment un impact sur le monde de Tron.
Compte tenu de ce que vous venez de dire, avez-vous une préférence ? Préférez-vous travailler sue des véhicules, des personnages, des environnements... ?
D.P. : (rires) C'est comme demander quelle partie du gâteau est la meilleure ! Vous savez, vous ne pouvez pas faire un gâteau sans œuf, sans farine et même sans moule ! La vision artistique est un tout. Vous devez donc avoir un monde avec une identité forte, des animations incroyables, des jeux de lumière saisissants et des personnages géniaux, tout cela pour créer l'ambiance au sens large. Parce que si une de ces choses n'est pas comme il faut, le joueur le voit et s'en rend compte. Elles sont donc toutes mes favorites. Je n'en considère pas une meilleure que l'autre. Elles sont toutes un ingrédient de la recette.

"Je pense que les fans du film original peuvent plonger dans Evolution."

Une question au sujet du scénario maintenant, peut-être pour John cette fois-ci. Lors de la conférence, vous sembliez insister sur le lien entre Tron Legacy et Tron Evolution. Je pense notamment à la présence de personnages tels que Chorra. Mais peut-on aussi voir en Tron Evolution une suite au premier Tron et pas seulement une préquelle à Tron Legacy ? Parce que même si vous dites que l'histoire se situe entre les deux films, vous semblez plus considérer Tron Evolution comme une préquelle que comme un vrai épisode central. Est-ce que quelqu'un qui n'a pas vu le second film et qui a aimé le premier peut apprécier Tron Evolution ?
J.V. : Absolument. Je pense que les fans du film original peuvent plonger dans Evolution et tout de suite s'identifier à des personnages tels que Kevin Flynn ou Tron. Ces personnages sont là pour aider les fans à tout de suite se situer dans les événements de Tron Evolution. Le jeu fait office de préquelle à ce qui se passe dans Legacy mais, plus important, il fait le pont entre les événements de 1982 et 2010. Et ce n'est pas seulement une question d'avoir ces personnages. Je pense que c'est important mais je crois aussi qu'avoir dans Evolution des éléments comme Tron City, les Light Cycles et les Recognizers, ou d'autres choses appartenant au film original et qui sont des éléments symboliques de la franchise, aident les fans du film original à s'adapter à Evolution. C'est une question difficile, une bonne question.

La version Wii semble assez différente du jeu sur supports HD.

Merci. Et ne pensez-vous pas qu'il y a une sorte de paradoxe : d'un côté vous dites avec fierté que Tron Evolution a son propre scénario et qu'il n'appartient pas à la catégorie des adaptations de films souvent connues pour être mauvaise, mais d'un autre côté, le fait qu'il y ait des version DS et Wii qui semblent toutes deux être beaucoup plus casual correspond au plan marketing habituel d'un jeu à licence. Le joueur peut très bien ne pas voir beaucoup de différence là-dedans et voir Tron Evolution non pas comme une adaptation de film mais simplement comme un jeu à licence qui essaye de tirer du profit à tous les niveaux.
J.V. : Oui. Je pense que là où vous avez tord, c'est lorsque vous dîtes que vous êtes informés que les versions Wii et DS sont plus casual. Elles ont été conçues pour leurs systèmes spécifiques. La chose qui rend la Wii singulière, c'est son système de contrôles et le type de personnes qui aiment jouer sur cette plate-forme. Nous avons conçu le jeu spécialement pour cette plate-forme en prenant en compte cela. Donc je ne dirais pas qu'il y a moins de choses ou que la qualité n'est pas la même sur Wii. Ce que je dirais, c'est que nos avons spécialement conçu le jeu pour ces consoles et leur public.

Oui mais je parlais du point de vue du public. Parce que j'ai joué à Tron Evolution et je le trouve plutôt bon, et peut-être que des gens qui ne l'ont pas essayé vont simplement se dire que c'est un jeu à licence comme les autres, parce qu'il y a Tron Evolution sur Xbox 360 et PlayStation 3 qui semble bon et celui sur Wii et DS qui n'est pas un jeu d'action et qui, comme souvent dans ces cas là, n'est pas destiné au même public.
J.V. : Oui, je vois. Nous avons essayé de distinguer la version Wii et DS en l'appelant Tron Evolution : Battle Grids. Nous voulions garder Tron Evolution comme une série de jeux vidéo qui comble le fossé entre 1982 et 2010. Du point de vue marketing, c'est pour cela que nous l'avons appelé Tron Evolution ; mais comme les versions Wii et DS se déroulent pendant la période utopique et qu'elles sont centrées sur La Grille et ses épreuves, nous l'avons appelé Battle Grids. C'est pour cela que nous avons essayé de faire une distinction, mais ce ne sont pas des versions au rabais de l'épisode "next gen". En fait, c'est une expérience de gameplay totalement différente, une histoire différente et des mécaniques et contrôles complètement différents aussi. C'est pourquoi nous avons fait cela. Tout depuis le titre jusqu'à l'histoire, en passant par les modes de jeu et le gameplay est différent sur Wii et a été conçu spécifiquement pour le public visé. Ai-je répondu à votre question ?

"Je suis flatté quand les gens disent que le jeu ressemble à Prince Of Persia"

Selon David Patch, la plus importante source d'inspiration était le matériel de base, c'est à dire le film.

Oui. Peut-être une question pour David pour changer. Elle ne concerne pas la direction artistique mais je pense que vous pouvez y répondre. En ce qui concerne le gameplay, l'influence la plus frappante semble être Prince of Persia. Mais pouvez-vous nous donner d'autres sources d'inspiration qui vous ont aidé à créer Tron Evolution?
D.P. : Nous étions en relation avec le film et nos animateurs sont allés voir... J'ai oublié le nom de celui qui joue...

J.V. : Garrett Hedlund !

D.P. : Non, pas Garrett Hedlund. Il y avait une scène superbe lors de laquelle on voyait ce gars sauter d'une plate-forme et jeter son disque lumineux. Il décollait, tournait et lançait ! Décollait, tournait et lançait ! "Il nous faut ça : c'est parfait pour notre jeu !" Ce qui nous a surtout influencé dans nos combats, plus que d'autres jeux vidéo je pense, c'est de voir ce gars faire des acrobaties et combattre dans le film. Et donc nous avons basé nos combats là-dessus avant d'intégrer des idées liées au free-running. C'était une influence beaucoup plus forte. Mais beaucoup d'entre nous sont des joueurs, donc nous avons joué à Prince of Persia, Assassin's Creed et à Uncharted. Tous ces jeux, oui, nous y avons joué et nous savons qu'ils sont incroyables, et il se peut qu'ils nous aient influencé, consciemment ou non.

J.V. : Et je pense aussi que même si ces jeux nous ont sûrement inspiré, ce qu'il faut retenir c'est que l'idée était de faire un jeu accessible. Il y a beaucoup de personnes qui sont fans de ces jeux, j'en fais partie personnellement, et quand j'ai vu ces mécaniques de jeu naître, je ne me suis pas dit que c'était nécessairement une mauvaise chose. Je pensais que nous étions avec des mécanismes de jeu que les gens reconnaîtraient et comprendraient. Le challenge de l'équipe de développement était de créer quelque chose d'innovant et de frais avec tout cela. Je pense que c'est une bonne chose que le jeu partage certaines mécaniques avec d'autres car ça le rend accessible aux personnes qui sont fans de titres tels que Prince of Persia ou Assassin's Creed. Cela correspond à, comme le disait David, ce qu'ils faisaient dans Legacy, le free-running et toute la perspective. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose. En fait, je suis flatté quand les gens disent que le jeu ressemble à Prince of Persia car ces jeux sont vraiment géniaux.
L'accessibilité du gameplay est l'un des points les plus important de Prince of Persia. C'est pour ça que je disais ça.
J.V. : Oui ! L'autre chose intéressante au sujet de Tron, et vous vous en rendez compte dès le début du jeu, c'est qu'on ne vous attrape jamais la main (pas comme Elika dans... – rires) : quand vous tombez d'une plate-forme vous mourez ; mais l'un des tours de force du jeu était de donner au joueur la possibilité de traverser l'environnement dans tous les sens, ce qui est plutôt rare dans les jeux. Il y a certains environnements, combats et puzzles qui, grâce à cette possibilité d'aller n'importe où, peuvent être esquivés. Vous pouvez échapper à un combat avec plein d'ennemis juste en les ignorants et en poursuivant votre route. Ce n'est pas linéaire et ça respecte le choix du joueur. Je pense que c'est ce mix entre liberté et mécanique de jeu qui rend le jeu singulier.

(L'attaché de presse me précise que la question suivante sera la dernière pour cause de temps)

L'un de mes trucs favoris c'était notre capacité à étendre l'univers de Tron."

Et pour finir, une question pour chacun de vous : qu'est-ce que vous préférez dans l'univers de Tron ? Cela peut-être un endroit, un moment, un personnage, un véhicule, etc.
D.P. : En fait, l'un de mes aspects favoris, c'était notre capacité à étendre l'univers de Tron. Toutes ces choses que nous avons ajouté. C'est probablement là où se situent mes choses favorites.

J.V. : Je vous aime bien ! (regardant David Patch et me montrant) C'est mon truc préféré ! (à l'attaché de presse) A-t-on le temps pour une autre question ?

(L'attaché de presse accepte)
Ok, merci ! Vous avez parlé des capacités et j'ai vu en jouant au jeu qu'il y avait un système d'amélioration et d'expérience, un peu à la manière des RPG. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point qui semble important mais que nous n'avons pas eu l'occasion de réellement découvrir ?
J.V. : Le joueur commence le jeu en tant qu'un programme de sécurité de niveau 1. En battant des ennemis, ces derniers donnent de l'expérience qui peut être transformée en mémoire. Cette mémoire peut être utilisée pour installer des améliorations dans votre système, des améliorations qui vous rendent plus fort, plus rapide, meilleur. Ces améliorations peuvent être exportées dans le mode multijoueur et vice et versa. Dans la plupart des jeux habituels, vous avez une expérience solo avec une histoire d'un côté et une expérience multijoueur de l'autre. Et tout ce que vous faites dans le mode story n'a aucune incidence dans le multijoueur. Ce n'est pas comme ça dans Tron. Si vous allez dans le multijoueur et que vous avez un personnage de niveau 15 ou 20 dans le mode solo, vous pouvez le prendre. Mais vous pouvez aussi jouer dans le multijoueur et prendre ce personnage pour jouer avec dans le solo. En plus de cela, il y a une tonne d'améliorations. Il y a une soixantaine d'améliorations à installer sur son personnage. Vous pouvez faire un personnage plutôt défensif, améliorer votre disque, faire des dégâts en fonction du temps avec un disc de corruption... il y a beaucoup de façons de modifier son personnage. Tu veux rajouter quelque chose ?

D.P. : Oui ! Et vous savez, au sujet de ces disques lumineux que vous pouvez améliorer. Il y a trois light cycles que vous conduisez au fil du mode histoire et chacun d'entre eux a des caractéristiques distinctes : l'une est plus rapide, l'une peut subir plus de dégâts... Mais plus que tout cela, vous pouvez utiliser les améliorations de votre disque pour enclencher des boucliers dessus ou utiliser un boost. En fait, c'est mon petit chouchou parce qu'une fois dans le mode multijoueur, vous pouvez vous retrouvez côte à côte avec un autre Lyght Cycle et là vous utilisez votre boost, vous changez de trajectoire et vous coupez l'adversaire ! D'un autre côté, vous pouvez utiliser le Disque Bombe avec lequel vous pouvez lancer des grenades si vous êtes au sol. C'est beaucoup plus compliqué sur un Light Cycle. La progression du joueur est au centre de ce que nous avons fait, que ça soit dans le multijoueur ou dans le solo. Vous devez progresser, vous devez avoir tous ces disques et avoir plus de santé et de force.

J.V. : Il y a une limite de niveau soit dit en passant, de 50 pour l'instant. On songe à l'étendre via du contenu additionnel. Et je pense que c'est tout... C'est intéressant vous savez : des jeux à la troisième personnes comme celui-ci vous ont déjà offert la possibilité d'améliorer votre personnage, mais ça a tellement plus de raison d'être dans Tron. De part le fait qu'il y a un ordinateur, que vous gagnez de la mémoire en battant d'autres programmes et que vous pouvez utiliser cette mémoire pour installer d'autres programmes. Ça colle bien avec l'ensemble de l'univers fictif et c'est une chose que le joueur appréciera. Il y a pas mal de petites choses de ce genre.
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