Interview | Cairn
05 déc. 2025

Entretien avec Emeric Thoa

Interview par

Cairn fait partie de ces jeux qui vous happent immédiatement : son concept ambitieux, son système d'escalade inédit et son atmosphère brute nous ont littéralement emballés comme nous l'indiquions dans notre preview. Pour comprendre comment The Game Bakers a donné vie à cette ascension vertigineuse, nous avons posé nos questions à Emeric Thoa, directeur créatif du studio. Et ses réponses laissent entrevoir un jeu aussi audacieux que prometteur.

"Avec Cairn, il s'agit d'inventer une nouvelle façon de grimper, plus riche et plus complète."

Commençons par un petit défi : vous avez 15 secondes pour décrire Cairn à quelqu'un qui n'en a jamais entendu parler.

Emeric ThoaDans Cairn, on incarne une alpiniste qui tente l'ascension d'une montagne que personne n'est jamais parvenu à gravir. C'est principalement un jeu d'escalade avec un système de grimpe très novateur, mais aussi un jeu de survie, avec une histoire qui interroge ses motivations à tenter cette ascension.


Après Furi et Haven, vous vous attaquez à la haute montagne avec Cairn. Qu'est-ce qui vous a donné envie de quitter l'espace et les combats nerveux pour explorer l'escalade et la nature sauvage ?

Emeric ThoaFuri et Haven étaient déjà très différents, mais avec Cairn, on est allé chercher quelque chose d'encore nouveau. Je pense qu'on a toujours envie de changer radicalement de gameplay après avoir passé trois ou quatre ans sur un jeu. L'alpinisme était un sujet fascinant, aussi bien dans la vie réelle – pourquoi ces gens sacrifient-ils autant et prennent-ils autant de risques pour gravir des montagnes ? – qu'en game design, où il s'agissait d'inventer une nouvelle façon de grimper, plus riche et plus complète.

"Pour renforcer le réalisme, nous sommes allés à Chamonix parler avec des guides."

L'escalade dans Cairn est très réaliste, presque tactile. Quelles recherches ou expériences personnelles (alpinisme, randonnées, témoignages...) ont nourri ce gameplay ?

Emeric ThoaJe pense que l'origine de ce gameplay vient avant tout d'une approche game design. On veut créer de la richesse dans le contrôle, de la profondeur, transmettre des émotions et l'impression qu'on peut s'améliorer. Mais effectivement, pour renforcer le réalisme, nous sommes allés à Chamonix parler avec des guides, nous avons eu des conseillers professionnels, et une bonne moitié de l'équipe s'est mise à l'escalade ! Pour autant, c'est un jeu qui peut s'apprécier même si l'on n'a jamais fait d'escalade ou qu'on n'aime pas spécialement ça. C'est mon cas : ça me fatigue, je préfère grimper dans un jeu que dans la vraie vie.

"Ce jeu crée de la tension, du stress, de la frustration, mais toujours beaucoup de satisfaction."

Vous avez parlé d'un « jeu de survie intérieure » dans vos communications. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette dimension psychologique et comment elle s'incarne concrètement dans le gameplay ?

Emeric ThoaJe ne sais plus vraiment dans quel contexte on a utilisé cette expression, mais Cairn est un jeu qui crée de la tension, une forme de stress, parfois de la frustration, et toujours beaucoup de satisfaction quand on parvient à surmonter un défi. Quand on grimpe un mur, qu'on n'a plus aucun piton, qu'on fatigue, et qu'il faut optimiser chaque mouvement pour ne pas tomber et atteindre le plateau suivant, on ressent un peu la même chose que lorsqu'il ne nous reste qu'un point de vie face à un boss. Psychologiquement, il faut se retenir de greed, de vouloir en finir trop vite, sinon le risque de chute augmente.


Cairn est développé en France, mais la montagne est universelle. Y a-t-il des lieux ou des cultures spécifiques qui ont inspiré vos environnements et votre direction artistique ?

Emeric ThoaIl y a beaucoup d'inspirations : l'Himalaya, le Vercors, les Alpes... Mais Cairn ne se déroule ni en France ni sur la planète Terre. C'est un autre monde, qui ressemble beaucoup au nôtre mais avec ses différences. Kami, par exemple, est une montagne que personne n'a jamais réussi à gravir.

"Nous avons voulu créer une ambiance sonore très forte grâce au sound design."

Dans vos précédents jeux, la musique occupait une place forte. Quelle est l'identité sonore de Cairn ? À quoi doit-on s'attendre côté bande-son et ambiance ?

Emeric ThoaComme Cairn se déroule dans la nature, en montagne, nous avons voulu créer une ambiance sonore très forte grâce au sound design. Selon ce qu'on fait ou regarde, la montagne elle-même peut sembler menaçante ou bienveillante. Le vent et la pluie jouent aussi un rôle essentiel. Nous avons fait appel à Martin Stig Andersen, le sound designer de Limbo, Inside et Control, pour nous aider sur cet aspect. La musique est également importante à certains moments clés, mais nous ne voulions pas surcharger, afin de préserver la sérénité des environnements naturels.

"Tout est fait à la main : chaque rocher de cette montagne est placé et agencé manuellement."

La verticalité est bien sûr au cœur de Cairn. Quelles ont été les plus grosses difficultés techniques ou créatives pour rendre l'escalade fluide, crédible et fun ?

Emeric ThoaConstruire ce système d'escalade innovant n'a pas été une mince affaire : cela nous a pris plus de trois ans de prototypage. Et ce que nous n'avions pas anticipé, c'est qu'il ne suffisait pas d'inventer un système d'escalade ; il fallait également imaginer une manière de construire une montagne adaptée à ce système. Notre processus de level design est lui aussi unique et a demandé beaucoup de R&D. Tout est fait à la main : chaque rocher de cette immense montagne est placé et agencé manuellement pour paraître naturel et créer un environnement de jeu unique.


Vous avez un vrai talent pour créer des univers originaux et des systèmes de jeu audacieux. Quel est l'élément de Cairn dont vous êtes le plus fier et que vous avez hâte de voir les joueurs découvrir ou même streamer ?

Emeric ThoaCe qui m'excite le plus, et qui découle de notre système de grimpe original, c'est la liberté et la créativité qu'il offre aux joueurs et aux joueuses. On peut grimper absolument partout, et même nous, les concepteurs, ne pouvons pas prédire les chemins que les joueurs emprunteront. Sur la démo, certains choix de trajectoires nous ont vraiment surpris ! Cette liberté totale, le fait de choisir soi-même son challenge, de se demander constamment « par où je vais ? » ou « est-ce que ça passe par là ? », crée des expériences et des histoires uniques.

"On veut surprendre, offrir de nouvelles expériences, quitte à ne pas plaire à tout le monde."

Le marché du jeu vidéo a beaucoup évolué depuis vos débuts. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur l'écosystème indé et la place de projets singuliers comme le vôtre ?

Emeric ThoaVaste question. C'est sûr que tout a énormément changé en quinze ans. Tout est plus saturé : il y a plus de développeurs, plus de jeux qui sortent, plus de divertissements en général (plateformes de streaming, réseaux sociaux...), mais pas plus de temps. C'est l'une des raisons qui nous pousse à innover. On veut surprendre, offrir de nouvelles expériences, quitte à ne pas plaire à tout le monde. Mais quand on est un petit studio indé, l'industrie ressemble de plus en plus à un combat de David contre Goliath. On ne gagnera pas en chargeant avec un glaive et un bouclier. Alors on invente des frondes : on innove, on surprend.

"Le sport a toujours été une grande source d'inspiration pour nos jeux."

Enfin, pour souffler entre deux sprints de développement : à quoi jouez-vous, ou quelles activités font office de « base camp » pour vous ressourcer ?

Emeric ThoaEn ce qui me concerne, je fais pas mal de sport. Le sport a toujours été une grande source d'inspiration pour nos jeux : Squids (le billard), Furi (les arts martiaux et le tennis), Haven (le ski, le roller et même le volley). Cairn... bon, vous devinez. Et côté jeu vidéo, je suis très éclectique : je peux jouer à des AAA comme à des jeux indés obscurs. Dernièrement, j'ai beaucoup aimé Ninja Gaiden : Ragebound, Promise Mascot Agency, Prince of Persia : The Lost Crown, COCOON, The Operator, Unicorn Overlord, Silent Hill 2 Remake... Et j'ai hâte d'essayer la prochaine bizarrerie de Capcom, Pragmata !
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