Interview | Just Cause 4
28 oct. 2018

Entretien avec Francesco Antolini

Interview par

Suite à cette rencontre avec le sémillant Francesco Antolini, Game Director de Just Cause 4, une question nous est venue à l'esprit : et si le meilleur moyen de défendre un jeu, ce n'était pas tout simplement de savoir parler du jeu vidéo en général ? À un mois de la sortie de Just Cause 4 et en pleine promotion, un entretien sans langue de bois – et en français dans le texte – qui sort des sentiers battus.

"On avait finalement assez de puissance pour réaliser une destruction fun."

Just Cause 3 incorporait beaucoup de possibilités, notamment en matière de gameplay. Que pouvez-vous nous dire sur les nouveautés que proposera Just Cause 4 ?

Francesco AntoliniJe dirais que tout ce que tu as aimé dans Just Cause 3, tu vas le retrouver mais amélioré, et avec des nouvelles choses en plus. La wingsuit et le parachute sont toujours là, par exemple, rien de neuf. Mais en tenant compte du fait que, pendant trois ans, notre équipe a bien peaufiné les mécaniques, avec beaucoup d'amour... En jouant à Just Cause 4, tu vas te rendre compte de tout ce que tu as fait depuis Just Cause 3.

Pour ce qui est du grappin, je ne sais pas si tu as vu des vidéos, mais maintenant il y a tout une collection d'attaches. C'est la première fois que l'on peut customiser la tête du grappin, avec des "attractors", des "boosters" et des "lifters"... Et il y a toute une série de modifications qui permettent de changer la façon dont ces ajouts fonctionnent.

Les armes sont aussi complètement différentes. Il y a une nouvelle philosophie : chaque arme possède un tir primaire et un tir secondaire. Pour ce dernier, c'est plus pour le plaisir de la découverte que pour la puissance de feu. Parfois c'est simple, comme un fusil qui tire une grenade, d'autres fois c'est plus funky comme par exemple un gun qui a un drone comme tir secondaire et qui t'aide dans les combats, ou encore une mitrailleuse qui propose un bouclier. Il y a vraiment beaucoup à découvrir.

Concernant le moteur, on avait finalement assez de puissance pour réaliser une destruction fun et qui prend désormais pleinement part au côté bac à sable. Dans Just Cause 3 un objet explosait après trois secondes : tu ne pouvais pas faire grand chose à part le détruire. Dans Just Cause 4, il faut beaucoup de dégât pour qu'un objet explose, et ça veut dire que tu peux t'en servir en mettant des propulseurs ou ce que tu veux.

Enfin, il y a une classe de véhicules qui est complètement nouvelle – on appelle ça les véhicules industriels – avec beaucoup de parties mobiles que tu peux contrôler. Par exemple, il y a une grue et j'aime utiliser le bras télescopique de celle-ci pour "puncher" des hélicoptères.

"On voulait que le joueur ait envie de découvrir les possibilités de façon naturelle."

C'est amusant car Just Cause est une série ludique, basée sur le fun. On voit beaucoup de gens partager des vidéos dans lesquelles ils font tout et n'importe quoi avec le moteur du jeu et les possibilités offertes. Mais de nos jours, la mode est au réalisme, qu'il s'agisse du réalisme visuel ou de celui lié aux mécaniques de jeu (se nourrir, survivre, etc.). Ce n'est pas vraiment le credo de Just Cause... Comment essayez-vous de raccrocher ce wagon ? Est-ce que le ton de l'histoire sera plus sérieux, moins parodique ? J'ai notamment vu que vous aviez intégré une nouvelle méchante.

Francesco AntoliniOui, oui, définitivement oui. Avec Just Cause 4, on essaye de changer de ton et de dépasser les clichés des épisodes précédents. Effectivement, tu as vu que nous avons créé Gabriela, la chef de la Main Noire, mais il y a aussi le gouverneur de l'île qui a une façon de gouverner complètement différente de celles des méchants de Just Cause 3, Just Cause 2 et même Just Cause 1.

Et tu parlais de réalité, de réalisme... C'est vrai que ce n'est pas important pour nous, à première vue. Ce qui est important c'est la plausibilité et la cohérence. Ce sont ces choses qui rendent les bacs à sable comme Just Cause si accessibles. Comme tout repose sur la physique, en tant qu'être humain tu as une compréhension intuitive de cela. On voulait que le joueur ait envie de découvrir les possibilités de façon naturelle, et qu'il soit créatif. "Je suis dans tel endroit, qu'est-ce que je peux faire ?"


C'est intéressant car si on replace les jeux dans leur contexte, Just Cause 1 et 2 (et même le troisième volet) étaient des suiveurs, des jeux ancrés dans une mode. Désormais, Just Cause semble – à la manière de ce qu'il raconte – devenir un résistant. Just Cause c'est Rico et des histoires de résistants, et le jeu fait lui-même de la résistance...

Francesco Antolini(rires) C'est vrai, c'est bien trouvé ! Je vois la référence...

"Pour moi, il y a deux jeux (...) qui ont marqué une évolution presque nette dans le monde ouvert."

Vous avez aussi travaillé sur Assassin's Creed. Comment percevez-vous l'évolution du monde ouvert en général, et la place qu'il prend dans le jeu vidéo aujourd'hui ? Est-ce que sur le plan personnel, l'attrait qu'ont les mondes ouverts actuels pour le réalisme vous plaît ?

Francesco AntoliniAlors ça, c'est une belle question ! Je pense que le réalisme est un choix créatif. Je ne pense pas que ce soit le réalisme ou le fait qu'un monde soit fantastique qui font la différence en matière de mécaniques. (il prend une pause) Je vais aller dans le concret maintenant... À mon avis, et plus spécialement depuis trois/quatre années, c'est un genre qui a vraiment explosé. C'est une bonne chose : plus il y aura de mondes ouverts de faits, plus les gens apprendront de leurs erreurs... Et de plus en plus d'idées seront testées. Le game design et la façon de faire des mondes ouverts évoluent rapidement. C'est très important pour un game director de suivre cette évolution. On ne veut pas juste faire des jeux "me too" (NDR : référence au fait d'être un suiveur), on veut être de ceux qui font évoluer les choses. À chaque jeu, on redéfinit cela. Tu sais, mon seul regret d'être ici, c'est que je veux aller jouer à Red Dead Redemption 2 et me dire : "Qu'est-ce que je peux apprendre de ce jeu ?".

Et pour moi, il y a deux jeux en particulier qui ont marqué une évolution presque nette dans le monde ouvert. Ces jeux sont Metal Gear Solid V et Zelda : Breath of the Wild. Bon, je pourrais en parler trente minutes de ça... (rires) Dans Zelda, tu vas avoir plein de choses à faire et t'en rendre compte naturellement. Tu ne penses plus en terme de "recherche d'objets" mais en terme de mission. Il te laisse libre. Même dans sa façon de récompenser le joueur, le jeu ne l'oblige jamais à faire quelque chose pour progresser. Ce qui se passe, c'est que si tu fais quelque chose, c'est parce que tu en as envie et que c'est fun. Cette idée de ne pas forcer le joueur à faire quelque chose sous prétexte que nous (les game designers) trouvons cela fun, c'est nouveau. Tu dois être confiant dans ton travail, tu fais du bon travail et si c'est le cas, le joueur s'amusera naturellement.

Je pense que c'est terrible de jouer à un jeu dans l'unique but de débloquer quelque chose pour pouvoir progresser. Il y avait un open world auquel j'ai joué... C'était juste avant Metal Gear Solid V... Bref, un jeu d'un grand studio ; à un moment j'étais sur un pont et j'essayais de le traverser, mais je ne pouvais pas car il y avait une inscription sur l'écran me disant que je devais finir la mission 1, 2, 3... avant de pouvoir traverser. J'ai pris le jeu et je l'ai jeté (rires). Tu vois, ça, si tu veux, c'est vraiment une philosophie des années 80. Donc c'est déjà une première évolution très marquée. La deuxième... il y a beaucoup de choses à dire... Il faut m'arrêter si c'est trop long ?!

"On n'est pas Ubisoft, on est un studio de cent personnes et il faut faire des choix."

Ah non (rires) ! On continue tant que c'est intéressant !

Francesco AntoliniTrès bien ! C'est une chose que tu vas noter dans Just Cause 4 : dans les précédents épisodes il y avait des îles, des petites îles et beaucoup d'eau... Ici, c'est plus une "masse unitaire" et ça fait justement partie de l'évolution. Encore une fois, pense à Zelda qui a la même philosophie, pense à Horizon Zero Dawn avec son monde vaste, pense à l'évolution entre Far Cry 3 et Far Cry 4 ! Far Cry 3, îles, Far Cry 4, grande zone. Je pense que le jeu vidéo est allé dans cette direction car cette masse unitaire te donne un feeling "positively overwhelming" (NDR : positivement écrasant). Dans ce type d'environnement, on peut faire une progression plus agréable, apercevoir des changements plus graduels dans les différentes régions du monde que l'on explore. Je peux continuer ?


Oui oui, bien sûr !

Francesco AntoliniPlus tôt, je t'ai mentionné Metal Gear Solid V que j'ai vraiment adoré. Ce que j'ai vraiment aimé, c'est que l'on a plus besoin de bouton pour commencer une mission : tu vas à un endroit et tu commences une mission. Tu apprends tes objectifs au moment où tu arrives dans un endroit, sans avoir besoin d'appuyer sur un bouton. Tu participes aux activités si tu veux, sans que tu sois mis "dehors", sans écran de chargement, sans être puni, sans que l'on t'oblige à faire dix choses pour pouvoir commencer ta mission.

On essaye donc d'être contemporain dans notre façon de faire. Tu sais, on n'est pas Ubisoft, on est un studio de cent personnes et il faut faire des choix. Dans Just Cause 4, il y a des moments où il y a des boutons sur lesquels il faut encore appuyer, mais tu verras quand même une grosse différence dans notre approche.


Le jeu a été annoncé à l'E3 et, dans la foulée, des streams de youtubeurs sont apparus sur internet. Des streams qui duraient parfois deux heures ! Vous avez dit que le titre était en développement depuis trois ans... Le gros du jeu est donc déjà fini, non ? C'était le cas ?

Francesco AntoliniOui... Tout cela fait partie d'une stratégie de communication. J'ai aimé, mais ce qui est dur quand on est développeur, c'est que pendant trois ans tu ne peux rien dire concernant ton projet. C'était un gros secret en plus car il était développé à New York, il y a eu le succès de Just Cause 3 avant... tout ça. Mais oui, tu as raison.

"On peut considérer Gabriela comme un miroir de Rico."

Revenons-en à la nouvelle méchante : Gabriela Morales. Qu'avez-vous imaginé pour la singulariser et faire ce que vous disiez, c'est-à-dire apporter un côté plus mature au ton.

Francesco AntoliniSi on va vraiment dans le raisonnement narratif, on peut considérer Gabriela comme un miroir de Rico. Je ne veux pas spoiler l'histoire, mais dans le jeu elle va évoluer et son rapport à Rico change au cours de l'aventure.


Dernière question : quel est le dernier jeu qui vous a vraiment séduit ?

Francesco AntoliniJe dois me répéter mais si un jeu m'a pris le cœur récemment, c'est Zelda : Breath of the Wild. J'ai vraiment, vraiment aimé. Si je pouvais, je dirais que c'est le "pinacle" en matière de design pour un monde ouvert. Il est vraiment incroyable.
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