Preview | Peter Jackson's King Kong : l'appel de la jungle
09 sept. 2005

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Peter Jackson's King Kong
  • Éditeur Ubisoft
  • Développeur Ubisoft
  • Sortie initiale Nov. 2005
  • Genres Action, Plateformes

Un jeu à licence peut-il être un jeu d'auteur ? En confiant la réalisation de King Kong à Michel Ancel, l'un des rares game designers français connu des joueurs, Ubisoft en prend le pari, appuyé par un Peter Jackson qui l'a repéré grâce à Beyond Good & Evil. En effet, l'éditeur français ne prend pas à la légère la confiance qui lui a été accordée au détriment d'Electronic Arts (qui était aussi sur le coup), et met tout en oeuvre pour proposer un jeu "en soi" plutôt qu'une série de citations entrecoupées d'interactivité. Non, King Kong s'annonce comme un manifeste vidéoludique, du moins pour une certaine façon de concevoir le jeu vidéo : l'aventure immersive.

Premier credo : la cinématique libre

Comment faire vivre une scène au joueur, sans avoir recours à la rupture immersive qu'amène une cinématique ? En adaptant un film s'imposent de fortes contraintes narratives, les joueurs pouvant légitiment attendre une fidélité par rapport à l'œuvre cinématographique. La cinématique est la solution usuelle pour faire avancer la narration : on retire le contrôle au joueur afin de mettre en place une séquence comme dans les médias non interactifs. Or, la première séquence de King Kong à laquelle nous avons pu assister place le joueur en tant que spectateur au centre de l'action, en vue subjective. On est au cœur de la jungle, devant une grande falaise, des ossements et des braseros nous encerclent. On ne peut se déplacer, mais en titillant le stick analogique droit la caméra tourne. Un immense crâne sculpté à même la pierre indique que vous êtes captif dans un village indigène, et vous comprenez alors les cris d'acclamation lorsque la jeune femme s'élève liées à des poteaux, que sur la falaise en face de vous un sacrifice a lieu. Puis le tremblement de terre, régulier. L'ombre surgit de la brume, petite encore, car éloignée, mais elle ne tarde pas à grandir tandis qu'elle se rapproche. Face au singe, la femme est minuscule. Vous êtes impuissant, évidemment, et le ressentez d'autant plus que vous pouvez choisir de regarder ou non le spectacle. Et lorsque King Kong hurle, et qu'il emporte la jeune actrice, vous vous demandez bien comment vous allez pouvoir vous en sortir. Apparaît alors Carl le réalisateur du film de l'Ile du Crâne, votre "sidekick" attitré, qui vous libère, et c'est aussi le moment qu'ont choisi les développeurs pour vous permettre de vous déplacer. Toutefois, même lancé dans la course poursuite contre le monstre, les dialogues continuent, le réalisateur adopte un comportement intelligent puisque scripté, et si vous vous placez devant la caméra lorsqu'il essaie de filmer la créature, il vous rappellera à l'ordre !

Michel Ancel ne peut prétendre à la paternité de ce nouveau type de cinématique interactive, mais la démonstration est ici bluffante : même dans Half-Life² ce procédé ne semble pas aussi justifié. Cela prolonge l'immersion en donnant le sentiment que les évènements autour de nous ont un sens, et même si la liberté de progression en prend un coup, la mise en scène propose un recoupement entre cinéma et jeu vidéo rarement aussi convainquant. Mais ce n'est pas tout..

Deuxième credo : interface minimale

Gorille dans la brume

Dans la course poursuite contre le singe, on s'aperçoit rapidement que les réels ennemis seront plutôt les créatures peuplant l'île, ptérodactyles, chenilles géantes, tyrannosaures et autres espèces non identifiées. Pour les affronter on se saisit de lances parsemées sur le chemin, d'os et de morceaux de bois. Et lorsque l'on brandit l'un de ces objets faces aux ennemis, pas de marqueur de visée. On rate donc les premiers coups, et les bêtes se jettent sur nous, l'écran rougit, la manette vibre, et le héros pousse un cri de douleur. Mais pas de marqueur de vie. Il n'y a pas à chercher, même lorsque l'on trouvera une arme à feu, les munitions ne seront pas indiquées à l'écran. L'écran ne représente donc que le champ de vision de Jack, ni plus ni moins. Ce parti pris fort de supprimer toute interface visuelle évite donc toute médiation avec un ailleurs de l'action présente, comme si l'on cherchait à nous faire oublier que l'on joue à un jeu vidéo. Les nostalgiques du visage grimaçant au fur et à mesure des dommages reçus par le marines de Doom peuvent être rassurés, comme ont cherché à le faire nos interlocuteurs d'Ubisoft, il sera possible d'afficher ces icônes traditionnelles. Pourtant tout a été pensé pour que les joueurs puissent s'en passer : la visée se fait avec la pointe de la lance, le héros énonce oralement l'état de ses munitions ("il faut que je recharge", "j'ai désormais plein de munitions"...) et l'état de santé est représenté visuellement par la couleur écarlate brouillant la vision, et le héros se déplace plus lentement lorsqu'il est blessé. Ce que Suda51 voulait pour Killer7, mais que Capcom n'a pas osé, Ubisoft l'a fait. Reste à voir si cela ne génèrera pas de frustration pour les joueurs. Quoiqu'il en soit, c'est une proposition admirable qui vise à pousser plus loin le sentiment d'être là, dans l'action, et que rien d'autre ne vienne interférer avec l'expérience.

Troisième credo : le jeu vidéo est une question de point de vue

La faune de Skull Island forme un véritable écosytème

Bien que la preview à laquelle nous avons pu assister présente six scènes dont cinq nous mettent dans la peau de Jack, nous croyons qu'il ne s'agit que d'un vaste détour pour nous permettre de vivre à fond l'expérience d'être King Kong. Comme annoncé depuis longtemps, le jeu propose alternativement une représentation à la première personne lorsque l'on joue Jack, et un mode à la troisième personne quand on endosse le costume du roi des gorilles. Et pour représenter pleinement la force, l'agilité et la furie du singe, il fallait placer le joueur dans une position d'infériorité, lui faire ressentir toute la détresse d'une misérable vie humaine cherchant à survivre dans un milieu on ne peut plus hostile. En vue subjective, on ne sait jamais ce qui peut surgir dans notre dos, la forêt est cadrée en contre-plongée, et les créatures sont immenses. Une scène nous place dans une situation d'incapacité à sauver la jeune fille : saisie par des créature ailées, on désespère de la sauver tandis qu'ils l'emmènent au loin. Surgit alors King Kong, répondant à notre frustration en nous invitant à prendre sa place et à se jeter de branche en branche à sa rescousse. Les tyrannosaures alors invincibles représentent des adversaires permettant de mesurer la force du singe. On comprend alors que l'objectif du jeu est de mettre en place un cadre pour ressentir le monde à travers les yeux de la créature. Enfin presque, puisque les séquences avec King Kong sont à la troisième personne : ce mode de vue représente la conscience de soi du gorille, et son adéquation avec son environnement. C'est ainsi que l'on comprend que le point de vue dans le jeu vidéo change complètement la façon de jouer, mais surtout la façon de ressentir son environnement. L'utilisation de deux modes représentatifs au sein d'un même jeu permet d'appuyer le sentiment recherché pour chaque phase de jeu et chacun se définit d'autant qu'ils contrastent l'un par rapport à l'autre.

Immersion totale

Vos compagnons vous accompagnent dans les coups durs

Reste à décrire la réalisation, qui bien qu'inachevée, laisse présager de grands moments. La musique avant tout nous a particulièrement marqué : loin d'une ambiance de fond, les compositions originales accompagnent les événements contingents, ce qui produit un effet particulièrement impressionnant, d'autant que l'on sait qu'habituellement le sound design vient en fin de production. Seuls des soucis de localisation 3D viennent ternir le tableau, qui devraient être corrigés. Le level design semble très linéaire, mais sa force vient du fait qu'on ne se sent pas dans un niveau de jeu, mais bien sur l'île. Et visuellement, c'est très, très fort : on a l'impression que quel que soit le cadrage l'image est composée, équilibrée aussi bien au niveau des lignes que des tons. La brume nimbe le décor lui donnant une unité matérielle et colorée. De plus, les situations de jeu elles-mêmes adoptent une mise en scène cinématographique, comme lorsque l'on est occupé à castagner un T-Rex au second plan tandis qu'au premier un autre tyrannosaure s'approche de la caméra en même temps que de la femme en détresse. Pour ce qui est du gameplay, la partie à la première personne mélange allègrement survival et FPS, tout en proposant une touche de stratégie, en permettant de détourner l'attention de prédateurs en leur offrant des proies plus faciles, soit en abattant des petites créatures, soit en plaçant des appâts sous la forme de chauve-souris et autres têtards géant au bout des piques. De même on peut bloquer certains passages par le feu en enflammant la végétation. Pour la partie avec King Kong, cela s'approche d'un beat them all péchu, ou l'on distribue les coups pour affaiblir les dinosaures et les terminer avec des "finishs" dignes de Mortal Kombat, en arrachant la mâchoire, en cassant des colonnes vertébrales, ou en arrachant la trachée artère des rescapés de l'ère jurassique. Il est comme ça King Kong.

Un jour j’irai à New York avec toi

Bien souvent il faudra détourner la menace de l'actrice

Bref, ce jeu issu de la collaboration de Weta et Ubisoft, et surtout de Jackson et Ancel semble bien parti pour réaliser toutes ses promesses. Le parti pris de mêler les deux points de vue, et ceci avec les mêmes modèles et textures pour l'un comme pour l'autre, peut remplir l'objectif de proposer une immersion efficace malgré la variété de gameplay. On a hâte de voir ce que donnera la partie dans New York, qui a du représenter un défi considérable pour les développeurs, devant passer d'un environnement à son opposé. De même, on a du mal à imaginer comment un tel rythme et une telle intensité de jeu pourront être conservés très longtemps, laissant présager un jeu court. Mais peu importe, King Kong a de fortes chances de prouver qu'il est possible d'utiliser une licence cinématographique tout en faisant un vrai jeu vidéo. Vivement novembre.
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Tribune libre