Interview | Road 96
15 févr. 2021

Entretien avec Yoan Fanise

Interview par

Road 96 pourrait bien marquer un virage dans l'univers des jeux narratifs tant il se montre innovant. Avec son palmarès et ses récompenses impressionnantes pour un studio indépendant, DigixArt n'est plus à présenter et laisse présager un jeu qualitatif qui a su piquer notre curiosité. Afin d'en savoir plus, son Directeur Créatif, Yoan Fanise, nous donne un aperçu du développement de cet intriguant Road 96.

« Road 96 est l'aboutissement de cette expérience accumulée sur nos précédentes créations »

Tout d'abord, pourriez-vous présenter DigixArt et votre prochain jeu Road 96 pour celles et ceux qui n'auraient pas encore eu l'occasion d'en entendre parler ?

Yoan FaniseNous sommes un petit studio né à Montpellier il y a six ans. Road 96 est notre troisième jeu et auparavant j'étais surtout connu pour avoir co-créé Soldats Inconnus et Les Lapins Crétins à Ubisoft. Cela fait deux ans que nous travaillons sur Road 96 qui est l'aboutissement de cette expérience accumulée sur nos précédentes créations. Le jeu a été révélé aux Game Awards et le trailer a fait beaucoup de bruit. Nous sommes très heureux de ce démarrage incroyable.

Road 96 est un road game qui se passe en 1996 et dans lequel le joueur va incarner différents adolescents qui tentent de rejoindre la frontière pour fuir Petria, ce pays en crise profonde qui est devenu totalitaire. Au cours du chemin, le joueur va croiser et recroiser des personnages très hauts en couleurs, drôles, flippants, fous, abîmés par le passé ou en proie au doute. Avec évidemment plein de liens cachés entre eux et une intrigue qui se dévoile petit à petit.

« Le joueur n'aura jamais la même expérience »

Yoan Fanise (à droite) et l'ensemble de l'équipe de Road 96.

Nous avons pu lire que vous cherchiez à transposer l'expérience des road-movies aux jeux vidéo mais le pays que le protagoniste est amené à parcourir semble à la fois sombre, contemplatif, poétique et parfois violent. D'où vous est venue cette inspiration ?

Yoan FaniseC'est l'idée initiale du projet, en effet : retranscrire les émotions profondes de ces voyages longs que sont les road movies. Ressentir la solitude face à l'immensité, la peur de l'inconnu, l'excitation des rencontres hasardeuses. Il y a aussi de nombreux livres qui nous ont inspirés, Into the wild, On the Road, mais surtout les films de Tarantino ou des frères Coen. Des histoires où des personnages ordinaires se retrouvent dans des situations extraordinaires. Et comme nous voulions être totalement libres créativement, nous avons préféré inventer notre propre pays dystopien, Petria. Une sorte de mélange entre des États-Unis vintages et l'URSS.


Vous décrivez Road 96 comme étant une aventure narrative procédurale, un genre somme toute inédit sur ce dernier aspect puisque le jeu s'adapte aux différents choix que sera amené à faire le joueur. Cela relève d'une prouesse technique, le trailer laissant présager des milliers de choix différents. Comment avez-vous réussi à relever ce défi ?

Yoan FaniseC'était le plus gros défi du projet. Nous avons passé un temps considérable à prototyper des structures narratives pour trouver un système dans lequel le joueur n'aura jamais la même expérience. Ce sera son voyage à lui/elle. On s'est donc éloigné du branching classique pour un système de bulles et d'éléments qui peuvent jaillir à n'importe quel moment suivant un nombre de critères faramineux. Chaque playtest est un plaisir car c'est une découverte pour nous également.

« On aime raconter des histoires, émouvoir, faire réfléchir, sortir des sentiers battus »

Tout bon jeu narratif qui se respecte se doit de proposer une immersion à la hauteur.

Road 96 promet une expérience personnelle et différente pour chaque individu, le départ étant lui-même généré procéduralement à la suite à une série de questions posées au joueur au début du jeu. Cela augure donc d'une expérience unique, mais paradoxalement une expérience à partager puisque vous avez implémenté une fonctionnalité pour les streamers, leur permettant de laisser leur communauté décider à leur place. Road 96 pourrait alors se voir comme un film interactif, écrit par ses spectateurs et qui pourrait être vu et revu sans jamais avoir la même fin. Pensez-vous que l'avenir des jeux vidéo réside dans l'interactivité ?

Yoan FaniseOui, cette feature appelée Crowd Choice permet à un streamer/euse de décider pour n'importe quelle action de demander à sa communauté de faire le choix pour lui ou elle. C'est un aspect important aujourd'hui d'aller au-delà de l'expérience solitaire car le jeu vidéo est avant tout quelque chose qui se partage. Même les jeux narratifs solo ont cette composante et suscitent des débats sur les réseaux. Il faut que nous mettions en place les outils pour que cela soit possible et facilité.


DigixArt a été remarqué avec 11-11 : Memories Retold, avec sa nomination aux Game Awards de 2018 dans la catégorie « Games for Impact » mais également aux Ping Awards dans la catégorie « Meilleur jeu PC », « Meilleure bande-son » et « Meilleur scénario ». C'est un palmarès impressionnant pour un studio indépendant relativement jeune comme le vôtre. Pensez-vous qu'à l'instar de Road 96, le genre narratif a désormais sa place sur le devant de la scène ou pensez-vous plutôt qu'il relève d'une certaine niche s'adressant à un public particulier ?

Yoan FaniseEffectivement, nous avons la chance d'avoir été nommés à de nombreux prix prestigieux et c'est surtout car l'équipe a fait un travail remarquable. La survie en tant qu'indépendant et encore plus dans un genre pour l'instant assez niche comme le jeu narratif force à cette exigence. On a pu voir que des studios comme TellTale n'ont pas survécu malgré un très grand savoir-faire. Je pense que le genre narratif n'a pas encore trouvé sa forme la plus accessible et donc élargi son audience. Mais cela est en train d'arriver, les productions de Dontnod ou Quantic Dream en sont la preuve. Il y a d'ailleurs un savoir-faire français assez remarquable, on aime raconter des histoires, émouvoir, faire réfléchir, sortir des sentiers battus.

« Nous voulions que le joueur soit au cœur de l'action »

Même si les scènes d'action ne seront jamais difficiles, il sera possible de briller par son skill à plusieurs reprises.

Le trailer de Road 96 nous montre des scènes d'action. Les joueurs pourront-ils interagir directement avec leur environnement à la manière d'un jeu classique ou les scènes seront-elles simplement déroulées en fonction des choix opérés ?

Yoan FaniseC'est vrai, nous ne voulions pas faire un walking simulator, nous voulions que le joueur soit au cœur de l'action et qu'il soit sans arrêt surpris par de nouvelles activités. Ce n'est jamais difficile mais on peut aussi briller par son skill à différentes reprises.


Pourriez-vous nous éclairer sur les fonctionnalités qui seront apportées au jeu grâce à votre collaboration avec OMEN ? Le projet aurait-il pu être aussi ambitieux sans ce partenariat ?

Yoan FaniseNotre partenaire OMEN est fabuleux et nous permet de réaliser ce rêve et de le porter au plus grand nombre. Nous allons proposer des concours et des features spéciales à ceux qui utilisent le OMEN Hub, il n'y a d'ailleurs pas besoin de posséder du hardware OMEN. Nous allons partager de nombreux cadeaux à travers ce hub qui est disponible dans tous les pays du monde. Très concrètement, nous avons aussi reçu une palette de Z Workstations qui nous changent la vie au studio, les outils sont de plus en plus gourmands en RAM, CPU, GPU, cela à un impact direct sur notre capacité à réaliser nos rêves les plus fous.

« Nous essayons d'aligner nos ambitions avec notre capacité réelle »

De nombreux évènements viendront troubler le déroulement de l'aventure.

Au regard de l'actualité vidéoludique, il est certain que les attentes du public sont aujourd'hui très fortes dans le domaine et que l'erreur semble désormais rarement excusable. Cela impacte-t-il votre façon de voir les choses dans le cadre du développement du jeu mais aussi lors des campagnes de communication autour de ce dernier ?

Yoan FaniseOui, la phase de debug et d'optimisation du jeu sera conséquente, nous l'avions déjà anticipé, nous ne voulons pas faire une "Cyberpunk", à notre échelle ce serait fatal. Nous essayons d'aligner nos ambitions avec notre capacité réelle, ce n'est pas facile car cela limite nos rêves de foules immenses fonçant vers la frontière pour faire tomber le mur gigantesque qui s'y dresse.


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