Test | Sakura Wars
27 mai 2020

L'odeur de l'oreiller

Testé par sur
Sakura Wars
  • Éditeur SEGA
  • Développeur SEGA
  • Sortie initiale 28 avr. 2020
  • Genre Rôle

Sakura Wars est une de ces vieilles gloires du jeu vidéo et, au même titre que les consoles qui l'ont porté à ses débuts, la série est devenue culte. Sega prenait finalement peu de risques en ressuscitant la licence sur son territoire où le jeu était attendu et fut un succès sans surprise. Là où l'éditeur joue gros c'est en le localisant, auréolé d'une belle traduction et d'une campagne publicitaire à toute épreuve, alors même que le jeu est un ogre de contradictions et de contrastes à l'encontre de nos habitudes de jeu occidentales. Alors sortie inconsidérée ou soigneusement préparée ?

L'histoire

Vous êtes Kamiyama, anciennement capitaine dans la marine. Vous arrivez à Tokyo avec vos démons et la ferme intention de vous refaire une réputation. Passer autant de temps en mer vous a fait perdre vos repères, et c'est dans une capitale aux abois, déshonorée puisque défendue par l'armée chinoise que vous prenez vos fonctions au sein de la Brigade des Fleurs. Une unité militaire féminine autrefois puissante, aujourd'hui désargentée et planquée dans un théâtre impérial délabré qui joue des pièces de kabuki désastreuses et mal-aimées.

Nous sommes en plein dans les années 20 et le monde est en proie à une guerre contre les démons. Les principales capitales mondiales se sont constitué des armées puissantes de pilotes de mecha qui n'hésitent pas à se livrer une bataille d'ego en même temps qu'elles sont chargées de défendre l'humanité. C'est donc dans un contexte complexe entre confrontations politiques, affrontements guerriers, jeux du cirque robotisés que vous vous retrouvez à diriger une armée et à jouer le coach mental d'une troupe de jeunes femmes.

Bien plus complexe qu'il n'y paraît, le scénario fait preuve d'un sacré mérite puisqu'il se compose de plusieurs strates. Une narration politique en toile de fond ample et passionnante à suivre, qui soutient le destin sympathique de cette troupe de théâtre, et une multitude d'histoires intimes, personnelles, alternant entre le sensible et le grotesque, qui sont la marque de ce genre vidéoludique japonais qui nous désespère autant qu'il nous passionne. Les personnages sont des archétypes intéressants, attachants, plutôt bien construits, qu'on aurait envie de voir évoluer mais qui sont constamment ramenés à leur rôle versatile et cliché. Les hommes sont à la fois des pervers qui dominent, et les femmes fragiles et triomphantes.
Le scénario fait preuve d'un sacré mérite

Le principe

Des graphismes somptueux.

Si à l'origine Sakura Wars avait la noblesse d'un Tactical-RPG, il est aujourd'hui entrecoupé de lieux d'action rustres. Ce qui n'a pas changé, par contre, c'est sa dimension de visuel novel sentimental où les interactions entre les personnages se réduisent à des dialogues (à choix multiples) affectifs, où vous êtes censé découvrir l'histoire, la personnalité des jeunes femmes et les encourager à développer la confiance qu'elles ont en elles. Comme si cela ne suffisait pas à l'accuser de tous les torts patriarcaux, voilà que ces conversations débouchent toujours à un moment ou à un autre sur des scènes de flirt et de gaudriole.

Ce genre de jeux reste d'habitude confidentiel et n'a pas le budget à l'exécution et à l'exportation d'un Sakura Wars. Si la Switch a démocratisé le genre en occident, ce style de jeu est encore confidentiel chez nous et a rarement le privilège d'un test. Évidemment le genre est masculin, son trentième degré fera rire ou pas, un peu comme Nicky Larson avant un coup de massue ou la série des Benny Hill, mais sa sortie est à saluer.

Le tort de Sega est pour un jeu de cette ampleur de ne pas avoir laissé au joueur le choix du sexe du personnage principal et de ne pas proposer des protagonistes mixtes. Le jeu se cantonne, comme dans n'importe quelle production pauvre du genre, à proposer une aventure strictement érotico-masculine grotesque qui tranche avec ses moyens techniques fantastiques, qui donnent l'impression qu'il est un jeu pour tous. En s'ouvrant à d'autres sensibilités, le jeu aurait gagné en finesse et aurait été plus en phase avec ses prétentions de réactualisation de la licence.
En s'ouvrant à d'autres sensibilités...

Le visual novel

Une ergonomie parfaite.

Sakura Wars est divisé en chapitres très courts, une à deux heures chacun. Le début de chapitre pose à chaque fois, par une superbe cinématique, la progression du scénario en toile de fond et les problématiques personnelles autour desquelles tourneront les conversations et les actions de nos protagonistes. Manière passionnante et très astucieuse de laisser le champ libre à ce qu'est le cœur du jeu : une simulation de vie amoureuse.

À l'intérieur du théâtre et de temps en temps en ville, vous allez parler à chaque héroïne pour développer vos relations professionnelles, amicales et sentimentales. Quelques fois la routine sera brisée grâce à quelques missions qu'on vous demandera de remplir : interrogatoires, quêtes Fedex, « cherche et trouve », missions d'observation et de rapidité...

Ce que l'on pourrait reprocher à Sakura Wars c'est qu'avec les moyens qu'il a, il n'essaie jamais de faire exister la moindre cohérence dans les relations qu'il entretient avec les protagonistes. D'un chapitre à un autre, d'un dialogue à un autre, rien de ce qui a été dit ou fait n'imprime les personnages. Les situations attendent qu'on les traverse, sans qu'il ne soit demandé au joueur autre chose que de bien répondre à une question ou de résister à la mise en place d'une scène improbable et coquine ; sans aucune préoccupation pour les relations que le joueur aurait/voudrait, ou pas, créer entre le héros et les héroïnes.

Une relation entretenue avec une fille ne gênera pas le moins du monde une autre : une situation déplacée choquera terriblement une fille et, l'instant d'après, elle vous accueillera à bras ouverts pleine de confidences. Ainsi le joueur peu habitué n'aura que peu de chance de se sentir concerné par les enjeux relationnels et répondra au mieux n'importe quoi pour se marrer un coup, et au pire appuiera mécaniquement sur le bouton X pour passer tous ces bavardages. Et comme ces enjeux représentent 90 % de l'intérêt du jeu, autant être certain que Sakura Wars avec ses graphismes de folie et ses cinématiques agressives ne vous trompera pas.

Par contre, ce qui est très bien fait, c'est que les enjeux posés en début de chapitre se répercutent sur l'univers du jeu et que tout le monde semble concerné par les mêmes préoccupations que vous. Du simple journal qui commente la situation actuelle, aux PNJ qui ont leur point de vue ou vous aident dans vos missions secondaires, tout cela donne une vie et une consistance à un univers superbement réalisé qu'on prend beaucoup de plaisir à traverser.
Les enjeux sentimentaux représentent 90 % de l'intérêt du jeu

Les combats

Des scènes pleines d'humour.

Les combats existent dans Sakura Wars, mais autant vous prévenir d'emblée, les combats dans ce jeu sont des vignettes, des parenthèses qui s'ouvrent arbitrairement dans le scénario pour vous permettre de faire avancer l'intrigue. Ils ne sont qu'un prétexte qu'on peut à peine qualifier de jeu puisque vous êtes lancé dans des tunnels disgracieux quelques minutes, le temps de tuer un boss. Deux touches d'action que vous appuyez frénétiquement, et une troisième qui vous permet de lancer un pouvoir dévastateur. Nulle gestion de votre mecha, de votre armure, d'arme ou d'expérience ; simplement des moments esthétiques pleins de panache qui changent le rythme du jeu de base.

Pris comme tels, ils s'intègrent parfaitement au déroulement de l'aventure, venant donner sa cohérence, son élan et sa magnificence à votre troupe de héros : les ennemis en nombre remplissent l'espace et les boss impressionnants et coriaces assurent le spectacle.

À noter tout de même que les arènes du tournoi international donnent quand même un peu de sens au jeu d'action qu'il n'est pas, et les confrontations entre les protagonistes qui se jouent sur ces terrains sont passionnantes et constituent des moments éclatants au dénouement du scénario. Il est dommage que Sega n'ait pas poussé l'idée plus loin pour en faire un véritable mode online à part.

En tout cas, ceux qui s'attendaient à ce que Sega nous offre une simulation à l'Armored Core, ou simplement un beat them all, peuvent faire demi-tour car il n'est même pas à la hauteur du plus mauvais des Musô. Comme dit précédemment, là n'est pas sa cause, Sakura Wars est avant tout un Visuel Novel et non un jeu d'action.
Même pas à la hauteur du plus mauvais de Musô

Les graphismes

Ce jeu, vous allez y passer du temps...

Le jeu est d'une grande beauté, la première fois que le héros apparaît dans sa gare est un moment qu'on croit rêvé, tellement c'est sublime. Il n'y aura plus jamais de moment de ce niveau mais tout le reste est d'une grande tenue : le souci du détail sur les architectures, les intérieurs, les habits, les lumières incroyables sur la ville de Tokyo... Le jeu en jette et respire la grande classe. Le héros est magnifique, les héroïnes parfaitement caractérisées ; la touche est nette, obéit au cahier des charges mais sans vulgarité. Face à une telle sobriété, on regrette que Sega ne fasse pas preuve de la même élégance pour offrir à son jeu plus de retenue au lieu de se complaire dans les habitudes de jeux fauchés du genre.
D'une grande beauté

Pour qui ?

Une loupe mal située...

Les fans savent a priori où ils mettent les pieds, et seront ravis de retrouver un jeu qui fait la part belle aux relations intimes plutôt qu'à des phases de combat dont ils ne savent plus que faire. Le jeu a été créé pour eux.

Pour ceux qui veulent découvrir le genre du visual novel sentimental, Sakura Wars en est la parfaite porte d'entrée, dont l'apparence extraordinaire aidera à faire passer la pilule de contextes et de situations rigolotes mais datées. Pour les autres, à moins d'être friands de pantsu shōto et de shōnen, fuyez, il n'y a rien pour vous.
Pour les fans et les aventuriers

L'anecdote

Des personnages charismatiques.

Mon autre passion, ce sont les jeux de société. Je dois remercier Sega d'avoir inclus dans Sakura Wars un jeu de Hanafuda. Un jeu de cartes difficile à maîtriser mais, une fois compris, réservant des parties passionnantes où les possibilités de combos sont fantastiques. Les illustrations des cartes sont sublimes et les héroïnes en guise de fond d'écran font merveille.
Le Hanafuda c'est génial
Les Plus
  • Super beau, magistralement dessiné
  • Des personnages attachants
  • Superbe toile de fond
  • Qu'il est agréable de flâner
Les Moins
  • Un genre à ne pas mettre entre toutes les mains
  • Des combats anecdotiques
Résultat

Ce qu'on pourrait reprocher à Sakura Wars c'est de ne pas être à la hauteur de son emballage : alors qu'on s'attend à une suite cinq étoiles, on se retrouve dans un Love Hotel parfaitement thématisé. Donc pour peu qu'on n'y soit pas venu par hasard et qu'on accepte légèrement ce qu'il a à offrir, Sakura Wars sait irriter autant qu'il charme. Avec ses jolies filles, son contexte politique passionnant, sa vision d'un Japon classieux et intensément spectaculaire, cinématographique et débile, Sakura Wars vous fera passer un agréable moment. Tant pis pour les mécaniques vieillottes, Sakura Wars reste quand même le phénix du genre. Vivement la suite.

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