Test | Bully : Scholarship Edition, les chiens courent toujours après les chats
17 mai 2008

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Bully : Scholarship Edition

Adulé par la presse, boudé par le public, l'anciennement nommé Canis Canem Edit a été un échec douloureux pour Rockstar. Une entreprise ambitieuse qui s'était donnée tous les moyens pour parvenir au degré d'aboutissement dont il peut se prévaloir aujourd'hui. Canis Canem Edit est la consécration des mécaniques de jeu à la Rockstar, parfaite synthèse des expériences antérieures (The Warriors, Manhunt), additionnée à une éclatante cohérence urbaine, minutieuse et restrictive, loin du fatras d'un GTA. Profitant sans doute de l'engouement autour de la Wii, Rockstar décide d'offrir une nouvelle chance au mal-aimé Jimmy Hopkins. Avec Bully : Scholarship Edition, ses objectifs sont doubles : être enfin rentable et se réconcilier avec les joueurs.

Cicatrice sur le bitume

Une limousine traverse une petite ville de la Nouvelle-Angleterre. Coincé à l'intérieur de celle-ci, Jimmy Hopkins tente en vain de convaincre sa mère. Fraîchement remariée pour la septième fois, sa principale préoccupation reste sa lune de miel, bien résolue à laisser son fils à l'Académie de Bullworth, un pensionnat difficile aux valeurs éducatives strictes, maintenu par des surveillants rigides et des professeurs instables. Qu'importe l'avenir de son fils, ne reste du souvenir maternel qu'une trace de pneu, laissée par la limousine et inscrite sur la route à l'entrée de l'Académie. Plusieurs groupes s'opposent au sein du pensionnat : Fayots, Bourges, Sportifs et Blousons Noirs. La principale qualité de Jimmy est de ne s'inscrire dans aucune de ces castes, d'aller de l'une à l'autre au gré des chapitres afin d'apaiser les tensions et d'apporter un peu de tranquillité. Finalité moins canaille que le personnage sous ses airs bourrus ne le laisse présager, même si le jeu se réserve de véritables moments d'anthologie revancharde et des dialogues d'une grande raillerie.

Les confrontations ne mènent à rien

Une mise en scène de l'autre radicale, qui cherche toujours à souligner le conflit.

Dès le départ, il faut se rendre à l'évidence, Bully est maladroit dans son déroulement : s'il impose des personnages forts et charismatiques, il ne sait quoi en faire et ne convoque jamais de véritable récit. Bully avance dans la confrontation des uns par-rapport aux autres. Chaque chapitre est l'occasion d'une opposition puis d'un rapprochement qui aboutit à une nouvelle opposition, jouée au chapitre suivant. Narration balourde qui condamne l'aventure à une linéarité assommante et les personnages à des interventions mécaniques, incapables de déteindre sur l'univers. Rockstar fait ici preuve de peu d'ambition, il choisit des figures au symbolisme puissant qu'il n'ébranle jamais, retranché derrière un chapitrage où chacun intervient au bon moment. Il ne peut y avoir de prise de conscience des rôles puisque toute idée de confrontation est absente ou reléguée exclusivement au champ de bataille occasionnel. La grandeur des comédies pour adolescent est de mélanger les archétypes le temps de l'aventure et de faire naître de cette cohabitation la reconnaissance de l'autre.

Un pensionnat pas si terrible que ça

Toutes les activités scolaires sont obligatoires ... mêmes quand elles sont peu ragoûtantes.

Les carences jusqu'au-boutistes du scénario bafouent non seulement les personnages mais aussi la ville. La réflexion neuve qu'on est en droit d'attendre de Rockstar sur la ville mais aussi sur le rapport (inédit) intérieur-extérieur suggéré par la présence du pensionnat, n'arrive pas. La ville est pourtant sublime, la minutie des détails et l'économie des tracés ne surchargent jamais le joueur qui s'installe confortablement dans le rythme paisible de la petite communauté rurale. L'immersion sans aucun doute réussie finit tout de même par décevoir. Bully ne questionne jamais son terrain de jeu : les enjeux d'opposition attendus entre la ville (lieu de liberté) et le pensionnat (lieu d'oppression) sont simplement esquivés par Rockstar. La ville subordonnée aux lois du pensionnat (contraintes des heures de cours ou de couvre-feu) légitime ce dernier et elle n'est le lieu d'aucun fantasme libertaire. Le pensionnat est alors un véritable moulin duquel vous pouvez sortir et entrer à votre guise et où vous êtes finalement aussi bien dedans que dehors.

L’inventaire prodige de l’adolescent moderne

La force tranquille.

Si les défauts sont considérables, il n'enlèvent pourtant pas grand chose au plaisir procuré par le jeu où s'accumulent les propositions ludiques stupéfiantes de cohérence. Les missions peu originales calquent leur schéma sur les mécaniques instaurées par le grand frère GTA. Ce qui les sauvent d'une certaine neurasthénie ce sont les mini-jeux dont le jeu regorge et vous permettent de gagner un peu d'argent de poche : des tontes de pelouse aux livraisons de journaux en passant par les courses de vélo et de kart disséminés dans la ville. Plus importantes encore les "fournitures scolaires" mises à votre disposition : pétard, lance-pierre, boule puante, poil à gratter ou encore le célèbre canon à patates. Elles transforment vos missions en grands moments hilares. Totalement jouissives, les propositions sont à ce point neuves dans un jeu vidéo qu'elles créent des gestes et des situations insolites, proches des grands classiques. "Le doigt tendu du mauvais élève en direction de ses pairs les plus exigeants : les grands savants du jeu d'action / aventure à la japonaise – Nintendo et le modèle Ocarina of Time en tête, sa structure comme sa maniabilité " (Cyril Lener). Bully : Scholarship Edition touche d'ailleurs au génie lorsqu'il offre un regard nouveau sur un Paperboy moderne.
Les Plus
  • Les dialogues incisifs
  • De belles sensations sur les vélos et les skateboards
  • Toucher les fesses des filles et partir en courant
Les Moins
  • Des personnages secondaires en retrait
  • Une histoire bâclé
  • Une ville insignifiante
Résultat

Bully : Scholarship Edition est un jeu finalement trop sage, révérencieux où les cours séchés durant l'année scolaire sont rattrapés pendant les vacances d'été. Jimmy Hopkins confortablement installé dans son pensionnat y revient toujours pour dormir. Après tout, comment en vouloir à Rockstar ? Lorsque l'amour des gestes vidéoludiques, aussi simples, libres, insolents ou amoureux qu'ils soient, sont vus comme des autorités qui poussent aux désordres sociaux ou moraux, il ne nous reste plus qu'à surjouer. Dernier acte résistant.

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