Test | Another Code : Recollection
22 févr. 2024

Un souvenir périssable

Testé par sur
Another Code : Recollection
  • Éditeur Nintendo
  • Développeur Cing
  • Sortie initiale 19 janv. 2024
  • Genre Aventure

Plus qu'une collection, Another Code : Recollection est le remaniement complet de deux titres sortis sur Nintendo DS puis sur Wii, revus et corrigés pour ne faire au final qu'un jeu unifié. Ce qui faisait l'épice des titres initiaux par l'exploitation de leurs supports d'origine dans des énigmes malines a totalement disparu au profit d'un novel game bavard et ultra linéaire, abandonnant au fil du jeu toute tentative de surprise. Mince, est-ce que les souvenirs d'Another Code premières moutures trompent notre cerveau ?

L'origine

Même si la trame générale reste inchangée, l'articulation de l'histoire, les personnages, les situations : tout a été réécrit. À la manière d'un George Lucas incapable de figer son œuvre, le studio japonais Cing revisite son passé et propose une version mise à jour de son petit succès de l'époque. Si vous ne connaissez pas le titre, sachez que les deux titres s'articulent autour d'Ashley, jeune ado de 13-14 ans, et d'un autre enfant. Dans le premier volet, elle fouille son passé ainsi que celui d'un jeune fantôme ayant oublié la raison de son décès. Dans le second, elle continue d'investiguer l'histoire familiale mais aide aussi un jeune garçon à lever le voile sur la disparition de son père. Cette double narration permet d'entre-mêler les histoires des deux protagonistes, parfois les croiser, créant ainsi des zones de rencontres intéressantes et vous forçant à ranger les informations dans les bonnes cases. Le genre originel de point & click est ici largement gommé, le but étant que vous arriviez au bout de l'aventure sans trop galérer. Le jeu se veut donc extrêmement bienveillant et propose notamment des arbres généalogiques et de nombreuses notes destinés à libérer votre cerveau de toute réflexion...
Créer deux souvenirs pour un même jeu

L'histoire

Quel heureux hasard, votre tablette peut analyser de l'eau ! À quand la mise à jour machine à café ?

Tout démarre à la veille de vos 13 ans avec une tentative de retrouvailles. Votre père vous a abandonnée à l'âge de 3 ans alors que votre mère venait de se faire assassiner sous vos yeux d'enfant. Votre tante vous a élevée jusque là, mais il est temps de remettre votre géniteur sur les rails de la responsabilité parentale. Vous le rejoignez sur une île abandonnée, jonchée d'un ancien manoir inhabité où vous ferez la rencontre de D, un jeune garçon de votre âge ayant pour particularité de traverser les murs. Oui c'est un fantôme, qu'évidemment seule vous peut voir. Ensemble, vous allez fouiller le manoir à la recherche de vos passés respectifs. Comment D est-il devenu un fantôme ? Pourquoi votre père semble si distant et quelles sont ces mystérieuses recherches sur la mémoire dans lesquelles il est impliqué ?

Un an après vos émouvantes retrouvailles, votre père vous invite à passer quelques jours dans un étrange camp de vacances. Ici aussi, le binôme Ashley / un jeune garçon se met en place mais tout s'enchaîne et se chamboule à la fois : des caprices d'ados bien pénibles, un labo secret caché sous un lac, une sombre histoire de pollution, un drame que tout le monde a vécu mais dont personne ne parle... Malheureusement, chaque fil de ce méli-mélo d'histoires est grossièrement tissé et la somme des non-dits nécessaires pour garder un peu de mystère au démarrage du jeu entraînent un interminable dénouement où les révélations s'enchaînent jusqu'à plus-soif.
Souviens-toi l'été dernier comme c'était mieux avant

Le principe

Que choisir comme réponse ? Sacré dilemme !

Vous serez frappé par l'exécution du titre, semblant puiser dans une époque révolue. Avec ses murs invisibles, ses chargements intempestifs, ses scènes jonchées de points d'interaction qu'il faut scanner avec votre curseur (réglez la vitesse au maximum dans les réglages pour ne pas mourir de vieillesse avant de finir le jeu), Another Code : Recollection ne semble pas être un jeu de 2024, mais plutôt vingt ans plus tôt.

Le premier volet situé dans le manoir propose une mécanique articulée autour d'énigmes destinées à vous faire progresser dans l'histoire : une clé à trouver pour ouvrir une porte dérobée, un message à décoder pour activer un mécanisme... des énigmes finalement assez classiques, qui sont loin d'être dignes d'un Professeur Layton mais vous font tout de même connecter deux ou trois neurones. Généralement, les indices sont sous vos yeux et aucun aller-retour n'est requis pour progresser : c'est tant mieux. Par contre, le jeu a totalement abandonné les mécanismes inhérents aux supports d'origine : le tactile pour le premier volet, et la reconnaissance de mouvement pour le second (excepté une activité de précision). De plus, quand le titre propose enfin une mécanique originale (superposer deux photos, élaborer une théorie en choisissant parmi des termes gravitant à l'écran), cela n'a lieu qu'une seule et unique fois dans tout le jeu. C'est extrêmement dommage, surtout quand le reste des énigmes est plutôt plan-plan.

Le deuxième volet abandonne toute idée de vous faire réfléchir. L'ado agaçante que notre héroïne est devenue n'a rien perdu de sa naïveté, entraînant quelques dialogues abusivement lourds. Elle ne manque aucune occasion de commenter l'évidence qui s'étale devant ses yeux incrédules. Une porte qui lui résiste, une trappe menant au sous-sol, un mécanisme qui s'active... la voilà qui commente avidement le tout sans rien apporter à la situation. Le résultat est d'une lourdeur accablante, vous assommant de dialogues pour beaucoup inutiles au point où vous anticipez mentalement les répliques des personnages. Si cela ne suffisait pas, les rares alternatives proposées dans les répliques n'ont aucune incidence sur les échanges, de même que le choix des questions que vous poserez aux personnages. L'histoire ne dévie pas d'un poil et reste invariablement vissée sur ses rails. Another Code : Recollection est devenu un novel game sans fluctuations, ponctué de quelques scènes d'interaction avec des objets, que vous réalisez mollement sans enjeu particulier.
Les dialogues sans choix ni loi

Le portage Switch

Sans aucune ironie, voici l'énigme la plus stimulante de tout le jeu.

Vous l'aurez saisi, Another Code : Recollection propose une expérience paradoxale. Le choix a été fait de totalement abandonner le système de jeu proposé par le premier titre, qui s'apparentait à un point & clic original et surtout tactile. Le deuxième volet, sur Wii, a donné naissance au style visuel 3D/cartoon de ce portage Switch rehaussé, mais a perdu au passage ses crochetage de serrure à la Wiimote. En somme, le jeu a été lissé, harmonisé, et a perdu beaucoup d'aspérité. L'autre changement majeur est le fait qu'il ne s'agit pas d'une compilation mais en réalité d'un tout nouveau jeu. Impossible de démarrer par le deuxième volet, il vous faudra impérativement suivre l'aventure depuis le début, ce qui est dommage si vous avez encore l'épisode DS en tête.

Si les dialogues audio restent en anglais, tous les textes et sous-titres sont en français. Et comme Another Code : Recollection est un jeu bavard, vous allez lire des tonnes de dialogues. Preuve ultime que le titre a totalement vrillé novel game, il est possible de remonter dans l'historique des dialogues, comme tout bon titre du genre qui se respecte. Sauf que concrètement cela ne servira jamais, car vous n'aurez jamais à confronter des informations. Une option appréciable cependant : la possibilité de faire défiler automatiquement les dialogues au rythme de la discussion des personnages. C'est plus lent, mais vous pouvez poser votre Switch et profiter (ahem) des échanges. Au point où votre Switch va passer en veille toute seule tellement tout est lent (oui oui, véridique).
Le concept du nivellement vers le bas

Pour qui ?

Merci Sherlock.

Pour quelle raison se plonger dans Another Code : Recollection ? Vous avez adoré l'épisode DS et souhaitez revivrez l'expérience sous un angle différent ? Vous avez raté l'épisode Wii et avez la flemme de la sortir du carton ? Ou bien vous voulez expérimenter ce qu'est un jeu façon années 2000 où un buisson de 10 cm bloque votre course ? Ou alors vous êtes fan de novel games tortueux, blindés d'adolescents agaçants qui tapent du pied au sol s'ils n'ont pas eu leur goûter ? Ça peut vous brancher. Mais sincèrement, qui a envie d'incarner une râleuse, naïve, doublée d'un syndrome du Captain Obvious ? Ashley n'est pas une héroïne attachante. La pauvre, elle n'a pas connu ses parents, elle est malmenée par des personnes qui abusent de sa naïveté pour servir leurs fins, elle porte un t-shirt de punkette de rock garage à deux doigts de virer anti-sociale, mais malgré tout impossible de s'y attacher. Ashley traîne une lourdeur dans tout ce qu'elle entreprend, ses réflexions, son manque de jugeote, ses réactions exagérée en décalage total avec la situation. Ashley, read the room ! Vous avez envie de la secouer, de prendre sa vie en main, de lui dire de se concentrer sur l'essentiel. Pauvre Ashley.
Qui a envie d'incarner une râleuse ?

L'anecdote

Un concept intéressant mais n'arrive qu'une fois dans le jeu, à la fin.

J'ai un souvenir heureux de Another Code sur DS, vous pouvez même relire mon test de l'époque. 19 ans séparent ces deux jeux. Un gouffre en temps jeux vidéo. Et pourtant, l'impression est forte de ne constater aucune progression. Le jeu semble avoir fait un retour en arrière. Même la représentation visuelle d'Ashley, en 3D dans son environnement, est moins originale que l'idée de base sur DS, où l'écran du haut représentait une vue subjective d'Ashley sous forme de tableaux statiques et l'écran du bas un plan de la pièce visitée ou des énigmes un peu plus excitantes.

Mais c'est surtout le deuxième volet qui m'a achevé. Il n'y a rien de pire dans un jeu que d'attendre une fin qui n'arrive pas. Vous avez juste envie que toutes les branches du récit se terminent, que l'histoire principale vous impose son énième rebondissement tiré par les cheveux (votre téléphone qui devient subitement un outil d'analyse de la qualité de l'eau, ce personnage qui n'est évidemment pas qui il prétend être, redite totale du premier épisode...) et on se quitte bons amis. Mais non, Another Code : Recollection en fait des tonnes, rajoute couche d'absurde sur couche d'invraisemblance, à tel point qu'il devient difficile d'adhérer à l'esprit du jeu. Non, vraiment, à comparer, j'aurais aimé que mon souvenir d'Another Code reste positif.
Réveillez-moi quand ils ont fini de parler
Les Plus
  • Le premier volet tient la route
  • Propose une révision unifiée de son titre
  • Quelques rares énigmes amusantes
Les Moins
  • Le second volet abuse des rebondissements
  • Des énigmes tirées vers le bas
  • Bavard, trop bavaaaaard
  • Difficile d'apprécier Ashley
  • Des mécaniques subtiles mais inexploitées
Résultat

Le bilan est lourd pour Another Code : Recollection. Des idées sont bonnes mais n'apparaissent qu'une seule fois. D'autres sont plates et inondent le jeu. Le titre est entaché par des dialogues souvent creux, abusivement tirés en longueur, ainsi qu'une narration bourrée de clichés et de rebondissements invraisemblables. Résultat, difficile d'accrocher réellement et de sentir impliqué, surtout dans le glissement du deuxième volet vers la romance estivale d'une bande d'ados. Techniquement, le titre semble être resté bloqué dans les années 2000 et même si tout le moteur a été revu, même si des améliorations ont été portées, on peine à croire que ce jeu est sorti en 2024.

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