Interview | Assassin's Creed Revelations
05 janv. 2012

Rencontre avec Damien Kieken

Interview par

Au fil des années, la saga Assassin's Creed a su gagner ses lettres de noblesses. D'abord en développant un univers riche et fouillé, ensuite en mettant dans nos mains un mode multijoueur inédit, loin des courses aux frags habituelles. L'art et la manière prédominent et malheur aux jeunes fougueux, téméraires mais trop habitués à courir partout. Avec la sortie récente de Revelations, nous avons souhaité revenir sur ce qui constitue ce mode multi si particulier, comprendre comment il a été conçu et ce que les joueurs ont pu apporter, par leur expérience et leurs retours après la beta de l'été dernier. Damien Kieken, Game Director Multijoueur, a accepté de répondre à nos questions.

"Assassin's Creed était pour nous comme un diamant brut"

Pouvez-vous d'abord nous présenter votre profil en quelques mots ? Comment devient-on Game Director ?
Damien Kieken  : J'ai rejoint Ubisoft il y a quelques années, d'abord sur divers projets online, puis en mission sur Assassin's Creed : Brotherhood. Ensuite, je suis devenu Game Director sur le multijoueur de Revelations. Il n'y a pas vraiment de cursus pour devenir Game Director. J'ai fait une école de gestion de projet multimédia. Je suis passé par Nevrax, puis chez F4 où j'ai travaillé sur des MMO. Et me voilà à Annecy, dans un superbe cadre de vie !

Comparé aux multijoueurs classiques, celui initié sur Brotherhood apparaît plutôt original. D'où est née cette idée ?
D.K. : Nous souhaitions créer un killer game depuis longtemps. L'arrivée d'Assassin's Creed a été l'occasion de s'y atteler : le concept du mode Traque existait déjà dans le jeu, les bases étaient posées, mais il y avait encore beaucoup d'éléments à travailler. Nous avons fonctionné par étapes en réalisant beaucoup de playtests avec des joueurs en Amérique du nord, à Paris, à Annecy ou en interne. C'est un peu comme quand vous mettez la main sur un diamant et que vous le taillez, vous sentez qu'il y a du potentiel mais il faut beaucoup de travail pour affiner tout cela. Pendant les playtests, nous observons surtout comment les individus jouent. Ce n'est pas tant leur façon de jouer qui nous intéresse mais plutôt le fait qu'il aient compris ou non ce que nous avons prévu, surtout dans ce multijoueur où, en tant que joueur, vous devez un peu tout réapprendre.

Justement, cela n'a pas été un trop grand défi de prendre la mode des jeux multi à contre-pied ?
D.K. : Au début du projet Brotherhood, il y a eu un gros moment d'apprentissage avec les testeurs. Par exemple, nous n'avions pas pensé à intégrer la vibration de la manette quand une chasse se déclenche. Ce n'était pas assez explicite, les joueurs ne comprenaient pas ce qu'ils avaient fait de mal. Au fur et à mesure, nous avons apporté de nombreux éléments visuels et graphiques pour donner des indices de compréhension du jeu. Et puis, pour la sortie du jeu, nous avons beaucoup réfléchi aux infos de didacticiel à donner, chose que nous avons totalement revue pour Revelations afin d'être encore plus clairs.

"Distribuer une beta devrait être obligatoire pour tout jeu multi"

Un artwork préparatoire de la ville de Constantinople.

Quels ont été les retours par rapport aux classiques Battlefield et compagnie qui font rage actuellement ?
D.K. : La toute première démo publique du mode multi de Brotherhood a été faite à l'E3 2010. Le public a tout de suite accroché, nous étions plutôt contents ! Il est certain que nous avons pris un risque en proposant un multijoueur à l'encontre de ce qui se fait actuellement. Quand des joueurs débarquent dans un jeu multi de shoot classique, c'est le kill qui compte. Ici, c'est d'abord l'approche. Ça peut dérouter, surtout que le jeu est asymétrique (un chasseur ne peut être chassé par sa cible). De plus, contrairement à l'aventure solo, nous avons totalement mis de côté les combats car, au delà de deux joueurs, ils étaient très difficiles à gérer. Nous nous sommes donc focalisés sur l'approche de l'assassinat. C'est ce grand mélange qui a donné naissance au multijoueur de Brotherhood.

Quelques semaines avant la sortie officielle du jeu, vous avez distribué une beta : quelle en est l'utilité si tard dans le projet et quelles remontées vous ont servi ?
D.K. : Selon nous, tout jeu multijoueur devrait avoir une beta avant de sortir, ne serait-ce que pour éprouver le système. Avec celle de Revelations, nous voulions principalement tester le matchmaking qui a été complètement revu. Il a d'ailleurs beaucoup évolué pendant la beta !

Une beta est très utile pour avoir les retours des joueurs, notamment des hardcore gamers qui maîtrisent déjà Brotherhood et ont ainsi pu très vite noter les différences et relever les points gênants. De notre côté, nous observons les statistiques et les forums. Nous ne pouvons pas changer grand chose dans le jeu mais apporter au moins les bonnes modifications pour peaufiner l'expérience. Nous avons par exemple changé la jauge d'approche entre les deux jeux pour l'éprouver dans la beta. Elle a été reçue de manière contrastée, et les beta-testeurs ont notamment noté qu'elle favorisait énormément les joueurs sur les toits. Du coup, c'était un peu trop facile d'avoir des points en restant en l'air. Les réglages ont donc été changés pour qu'elle monte plus vite au sol que sur les toits, ce qui est devenu plus équitable. Globalement, les retours de la beta nous ont permis de remonter deux types d'éléments : d'abord de nombreuses statistiques sur les kills, les capacités choisies, etc. Et ensuite, les retours des hardcore gamers : c'est assez génial la façon dont ils comprennent vite et bien le jeu. Au-delà des améliorations, nous notons aussi des idées pour les futurs volets quand nous ne pouvons pas changer les choses immédiatement.

"Nous observons beaucoup les joueurs avant de proposer un nouveau contenu"

Le nouveau mode deathmatch : plus petites cartes, parties plus intenses.

Quel a été le processus pour créer le multijoueur de Revelations ?
D.K. : Certains éléments ont été refaits à zéro comme le matchmaking notamment. D'autres ont été repris de Brotherhood pour les améliorer. Brotherhood était notre première copie. Pour Revelations, nous y somme allé à fond en ajoutant beaucoup de choses. Il y a par exemple certains éléments que nous n'avions pas eu le temps de mettre dans le précédent volet, ou encore beaucoup d'ajouts suite aux statistiques de jeux. Et puis, bien sûr, des envies de l'équipe. Nous essayons de faire de plus en plus de liens entre le solo et le multi, pour que ce soit fluide dans la narration lorsqu'un joueur passe d'un mode à l'autre, mais également pour récompenser ceux qui s'aventurent sur les deux aspects du jeu.

Comment se passe la collaboration avec l'équipe "solo", tant au niveau design que cohérence des contrôles ?
D.K. : Nous travaillons étroitement avec eux : ils nous donnent le cadre historique. Et de notre côté, nous rebondissons dessus, leur soumettons des contenus qu'ils peuvent à leur tour reprendre dans l'aventure solo... C'est par exemple le cas avec certains personnages que nous avions créé, qui ont ainsi pris une plus grande part dans le solo.

Au sujet des contrôles, nous essayons de coller au maximum à ceux de l'expérience solo mais nous devons parfois diverger. Par exemple, nos capacités sont sur les deux gâchettes, ce qui n'est pas le cas dans le solo. C'est pour cette raison que certains joueurs estiment que lancer une bombe est plus direct dans le multi ! En fait, les joueurs doivent être beaucoup plus réactifs dans le multi que dans le solo, plus mobiles, plus efficaces.

Pour Brotherhood vous aviez diffusé de nombreux DLC gratuits. Est-ce que cela va continuer ainsi ?
D.K. : Tout d'abord pour répondre aux interrogations, tous les DLC sont faits après la sortie du jeu. Cela nous a d'ailleurs joué des tours sur Brotherhood car ça n'était pas simple pour nous de faire en sorte qu'ils fonctionnent bien ensemble. Du coup, les joueurs étaient scindés en fonction des DLC qu'ils utilisaient. Nous avons beaucoup amélioré ce point et ce sera plus simple sur Revelations. Dans notre équipe, nous pensons tous qu'un jeu multijoueur s'entretient une fois sorti. Nous continuerons donc à proposer des DLC, peut-être moins nombreux mais toujours fournis.

"Le nombre de joueurs en ligne a augmenté sur Assassin's Creed"

Votre maman ne vous a jamais dit de ne pas courir sur les toits ?

En moyenne, savez-vous combien de joueurs se retrouvent simultanément sur le multijoueur de Revelations ?
D.K. : (rires) Désolé, je peux pas répondre ! Ce que je peux vous dire c'est qu'il y a actuellement plus de joueurs actifs qu'il y a un an, à la sortie de Brotherhood. Pour revenir sur la découverte du mode multi par un joueur néophyte du genre, le gros défi était de garder les joueurs après les premières parties. Pour Revelations, nous avons beaucoup retravaillé sur l'arrivée dans le multijoueur et je pense que nous captons d'avantage de joueurs, ce qui est un bon point.

Que pensez-vous des jeux multi cross-plateformes ? Quel dommage de ne pas pouvoir jouer contre un ami équipé d'un support différent !
D.K. : Nous regardons, nous observons... Bien sûr, nous souhaiterions que tout le monde puisse jouer contre tout le monde. Il y a par exemple de bonnes idées côté PC/Xbox ou PC/PS3. Quant à jouer sur PS3 contre Xbox, la limitation est bien sûr due à la politique des constructeurs.

Vous craignez un concurrent direct ?
D.K. : A côté de Revelations, nous essayons de jouer à un maximum de jeux. Nous observons les modes multijoueur qui sortent, mais nous restons finalement assez à part. Parmi les jeux actuels, le plus proche aujourd'hui pourrait être celui d'Uncharted : ils ont des actions et animations un peu dans notre style et surtout sont assez similaires dans le timing et le nombre de versions de jeu. Du coté des indépendants, il y a The Ship. On nous a d'ailleurs beaucoup comparé à ce jeu, même si finalement nous n'avons que le concept de "killer" en commun.

"Un tournoi Ubisoft vs joueurs ? Je ne demande que ça !"

Mémorisez ce visage, c'est peut-être votre prochaine cible.

Vous continuez à jouer ? A quand les matchs organisés contre l'équipe d'Ubisoft Annecy ?
D.K. : Depuis que le jeu est sorti, je joue surtout au solo que je connais moins bien puisque j'ai passé pas mal de temps sur le multijoueur. Dans l'équipe aussi, nous continuons à jouer. Notez que sur la beta de Brotherhood, j'étais tout de même classé deuxième dans le leaderboard. L'honneur est sauf !

Quant aux tournois, je ne demande que ça, tout comme mes collègues ! Sur Revelations vous pouvez d'ailleurs voir qui fait partie de l'équipe du jeu. C'est très simple : il suffit de repérer les avatars avec un emblème Ubisoft.

Le système Ubipass a été beaucoup décrié : quel est votre avis à ce sujet ?
D.K. : C'est une décision business qui n'est pas de notre ressort. Nous ne sommes pas décisionnaires, notre rôle est de créer des jeux. D'un point de vue tout à fait personnel, mon envie serait de l'améliorer. Cela dit, il ne faut pas oublier que Ubisoft reste le seul éditeur à proposer une découverte de trois jours du mode de jeu en ligne.

Pour terminer, à quoi occupez-vous vos journées actuellement ?
D.K. : Nous travaillons sur les DLC à venir. Récemment, nous avons sorti un DLC dédié à des nouveaux personnages donc je vous laisse deviner quel pourrait être le type de contenu du prochain DLC qui sera révélé très bientôt. En parallèle, nous continuons à observer les joueurs de très près pour vérifier que les capacités sont bien calibrées et corriger les quelques failles restantes. Et puis, nous gardons des idées pour d'éventuels futurs projets...
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Tribune libre