Test | Far Cry, la bombe du mois
01 mai 2004

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Far Cry
  • Éditeur Ubisoft
  • Développeur Crytek
  • Sortie initiale 25 mars 2004
  • Genre First Person Shooter

Des doom-like, il en pleut tous les mois. Des bons doom-like, il en sort quelques uns par an. Des doom-like excellents, on les compte sur les doigts de la main. Far Cry en fait partie parce que Far Cry a tout compris : c'est un jeu qui est avant tout très beau et très rythmé. En plus, il propose un environnement rafraîchissant et un petit côté tactique amusant. Sans oublier une durée de vie en béton armé rien que pour la campagne solo, ce qui est de bon goût en ces temps de jeu beaux, intéressants mais bougrement trop courts. Evidemment, la recette est connue ; mais quand elle est aussi savoureuse, aussi bien mitonnée, il faudrait être fou pour refuser d'y goûter. Car ce sont les jeux les mieux réalisés qui redonnent toute leur saveur à des genres si galvaudés qu'ils en deviennent hélas rébarbatifs.

Heureuse filiation

Dans la grande famille des mauvais doom-like, il existe deux tendances : les bourrins et les subtils. Les bourrins assument généralement leurs mauvaises pulsions et vantent sans détour l'abrutissement de masse sur lequel il basent joyeusement leur gameplay décérébré : c'est Serious Sam et consorts, dont Painkiller est le dernier rejeton en date. C'est pas fin du tout mais c'est comme les bons vieux shoot d'antan, quand on alignait les vilaines soucoupes volantes de l'Empire Bydos avec ses lasers rebondissants : on mitraille le bouton de tir en se déplaçant vaguement, de sorte qu'au bout de trois minutes on est accroc à vie. Et puis, il y a les prétentieux, les doom-like qui se considèrent au-dessus de la masse et qui misent davantage sur l'ambiance et l'intelligence artificielle des ennemis que sur l'effet de masse, bête mais redoutable. Il y avait Half-Life dans le temps. Il y a désormais Far Cry.

C'est finaud pour un doom-like

Ceux qui ont essayé les démos en ont gardé un sale goût aux lèvres : foncer dans le tas permet juste de constater que non, un vulgaire Jungle Falcon ne fait décidément pas le poids face à une mitraillette P90. Ce n'est pas du Tom Clancy's Rainbow Six, la ballistique n'est pas aussi poussée, m'enfin quand même, on apprend vite à ramper dans les hautes herbes comme un gros lâche, à sniper de loin comme un gros fourbe et à fuir comme un gros goret devant les patrouilleurs venus en renfort, eux qui font de si beaux trous de calibre 50 dans les muscles saillants de notre héros. Ce GI Joe d'opérette est d'ailleurs un peu décevant : avec ses méchants bras de brave secouriste hollywoodien, il n'est même pas capable de porter sur lui les douze armes du jeu. Il faut souvent faire des choix cruels et abandonner ici un fusil de sniper, là un lance-roquettes bien pratique contre les hélicos. Il est en plus très lent. Alors on peut le faire sprinter évidemment, mais il s'essouffle très vite et il faut alors attendre que sa petite jauge bleue remonte. On peut donc faire une croix sur les strafe jump et autres acrobaties quakiennes, ici c'est du sérieux, du réaliste, ou en tout cas du vraisemblable.

Trente mètres, une heure

Un autre truc donne l'impression que Jack Carver est particulièrement lent : les environnements sont vastes. Le jeu se déroule sur une multitude de petites îles exotiques qu'il faut traverser à pied, à moins bien sûr d'emprunter gentiment un véhicule, en deux coups de fusil à pompe Jack Hammer par exemple. La conduite des véhicules est bien fichue, le moteur physique est excellent et on se fait des petits frissons en sautant depuis des dunes ensablées sur des trouffions désemparés ou en se servant de son patrouilleur pour faire péter un cabanon dans les marais, immolant au passage deux abrutis comme dans un bon James Bond. Le deltaplane est pas mal aussi même si on se fait systématiquement plomber lorsqu'on l'utilise ; et, histoire de critiquer un peu quand même, il est rare qu'on puisse utiliser un véhicule bien longtemps. En haute mer, des hélicos viennent renvoyer Jack sur la berge, en pièces détachées bien sûr. Et sur terre, il y a toujours un barrage qui traîne, un escalier un peu traître ou un pont trop étroit pour forcer le beau musculeux à descendre de sa monture. Quand on a goûté à la vitesse de lièvre de ces bolides, redevenir tortue est bien frustrant.

Le désir oui, l'amour non

Jack est aussi un peu décevant dans la mesure où il suit docilement la plantureuse journaliste venue faire un safari photo sur l'île du Docteur Moreau. D'ailleurs, elle n'est pas journaliste ; ça tombe bien, Jack n'est pas non plus skipper. Mais au lieu d'en profiter pour fusionner avec la nature et avec la jolie Lara Croft de service, qui n'hésite pas à montrer ses dessous la petite coquine, lui reste stoïquement engoncé dans son machisme ronchon et dans son increvable chemise à fleur. Ca n'empêche pas l'échange de fluides antivirus qui feraient fantasmer nos amis de Libération, mais on sent bien, jusque dans la toute dernière image de la toute dernière cinématique, que les développeurs ne sont pas allés jusqu'au bout de leur belle histoire d'amouuuuuuur, peut-être même pas jusqu'au début d'ailleurs. C'est curieux chez les développeurs ce blocage reptilien, dès qu'il faut faire dire Je t'aime à un gros tas de pixels. Avec Far Cry, on reste clairement au stade pré-pubère, avec de la sensualité raffinée mais à peine assumée (ah ! le Tahiti douche sous la cascade ! ah ! la jolie chemise blanche trempée la nuit, au sortir de l'onde noire sous une belle lune bien juteuse !). La Valérie Cortez, au fond, c'est rien qu'une allumeuse, une fille bien chaude (enfin, un peu froide sur la fin), mais à qui il n'arrive rien. Ouaip, c'est pas un jeu Rockstar. Bon, en même temps, c'est un doom-like à la base, un jeu d'hommes, beau et aguicheur certes, mais indiscutablement mâle par-dessus tout.

Un moteur bien roulé

Et là, côté testostérone, on est gâtés. A condition d'avoir 2 Ghz, 1 Go de Ram et une carte graphique DirectX 9 non castrée (non MX donc), Far Cry est prodigieusement beau. On reste bêtement scotché devant une glace sans tain, devant un verre mal dépoli, devant un néon et un peu de fumée, devant l'eau bleu indigo, devant quantité de trucs en fait qui au fond ne donnent pas tant envie de tuer que ça. Rassurez-vous, il y a aussi d'hideux mutants et des couloirs sombres pour réveiller les vieilles pulsions masculines, c'est un doom-like on vous dit. Mais quand même, c'est souvent plus que beau, c'est même parfois carrément magnifique. Pour une fois qu'un jeu exploite nos cartes graphiques à 400 € pièce, on a quand même le droit de s'extasier béatement. Far Cry a tout compris, il nous donne ce qu'on veut : du bien beau jeu, des reflets somptueux, des textures classes, des effets de lumière réussis, des petits shaders partout, du bump à foison et plein d'autres termes débiles qui servent juste à se convaincre qu'on est bien un nerdz. Techniquement, c'est sûr, c'est du costaud, du velu, du solide.

Le culte de l'apparence

Cela dit, c'est assez creux car ça ne sert que très rarement le gameplay. Prenez le moteur physique, excellent au passage : à part un pauvre type qui tombe d'une balustrade pour s'écraser sur le rivage trente mètres plus bas, un pont suspendu à faire tomber en shootant les câbles ou un bidon qui aplatit un grand distrait en dévalant une pente, son apport est purement cosmétique. Oh, c'est rigolo de garer son Humvee sur le corps d'un type et de remarquer, en descendant, que la roue épouse parfaitement la forme de son thorax. Mais à part la crédibilité de cet environnement ou le soucis du petit détail vrai, c'est quand même gratuit. Pas question de balayer un peloton d'ennemi avec une poutre suspendue, pour ça il faudra attendre Half-Life 2. Et puis, sans vouloir cracher dans la soupe, c'est tellement frappant quand ça arrive, quand on voit le joli bidon posé en équilibre et le mec qui grimpe en contrebas, qu'on se demande bien à quoi ça sert de faire tout ça en dynamique : souvent, ça fait furieusement penser aux scripts d'un Call of Duty. La vraie liberté d'action, il faut plutôt la chercher du côté du level design.

Le choix de l'approche

Celui-ci place judicieusement camps d'entraînement et patrouilles sur la carte, avec des petits véhicules isolés et mal gardés pour récompenser les explorateurs en herbe. Le principe est simple mais efficace : l'effet de couloir propre aux doom-like est relativisé, les extérieurs laissant le choix de l'approche, contrairement aux intérieurs aussi nombreux que linéaires hélas. Passer par l'entrée principale n'est pas bien malin, mais sniper les gardes ne donne pas toujours de bons résultats : le temps de recharger, et un petit malin a donné l'alerte. Un hélico mitraille alors l'apprenti Serbe, quand les forces spéciales ne débarquent pas comme les Marines d'Half-Life, en rappel depuis un avion en vol stationnaire. L'infiltration à la machette ne donne pas non plus de bons résultats et la survie passe donc par un mélange de tactiques ; comme pour de vrai paraît-il, il faut tirer, se planquer, changer de position, balancer des grenades, etc. De quoi remplacer efficacement les formations mal vues dans les camps de combat afghans. Maintenant, la difficulté du jeu s'envole dès qu'on affronte les vilains mutants. Il faut un chargeur par bestiole, leur vélocité est mortelle, les corps-à-corps aussi, et on a tôt fait de clamser pour une stupide histoire de flingue à recharger. Soyez prévenus, c'est dur, vous allez en baver.

Intérieur nuit, trentième

Curieusement, le jeu a opté pour des checkpoints qu'il est de moins en moins facile d'atteindre. Certains passages sont incroyables tant la difficulté est aberrante ; tant pis pour ceux qui n'ont pas gardé une roquette sur le porte-avion échoué, ils auront quatre secondes pour dégommer le mitrailleur d'un hélico avant de se faire descendre. Dommage aussi pour ceux qui auront marché accroupi pendant trois minutes dans un couloir de ventilation pour se faire happer à la sortie par un truc griffu : ah ça, fallait savoir qu'il y en avait un à droite et pas à gauche. Et encore, c'est sans parler des montagnes de muscles équipées en série d'un lance-roquettes, qui n'hésitent pas à tirer à bout portant et dont la moindre baffe tue net. Ou de ces marsupilamis mitrailleurs, qui en plus ont la faculté de devenir invisibles ; va falloir penser aux lunettes thermiques les gars et à régler la sensibilité de la souris sur Maousse. Et pour ceux qui survivraient jusque là, il reste encore les boulets avec leurs gilets pare-balles et leurs casques itou, qui obligent à viser l'oeil droit, ou à la rigueur l'oeil gauche ; ou les mecs avec leur bouclier anti-émeutes, qui obligent à viser ce qui dépasse. Pas évident. Surtout qu'ils sont malins, complémentaires (snipers et lance-roquettes en série lors des gros combats, même en intérieur) et qu'ils savent utiliser leur saleté de grenades. S'ils fuient tous brusquement, ce n'est pas à cause de votre haleine ; c'est juste que le schklong va faire boum. Voilà aussi comment on assure une durée de vie de trente heures facile, ou de quinze heures mini pour les surdoués ou les tricheurs. Dommage, la difficulté gâche parfois le plaisir, honnêtement.

Solo et multi, fromage et dessert

Ceux que ça effraie n'ont plus qu'à se rabattre sur le multi, pas mauvais malgré la lenteur de déplacement, bien pénible en Deathmatch et Team Deathmatch. L'autre mode multi propose différentes classes avec des attaques et des défenses de camps plutôt tactiques, les mécanos construisant tour de gardes et murs protecteurs pendant que les mitrailleurs arrosent tout ce qui bouge, qui roule, qui nage, qui snipe ou qui rampe. Ca ressemble au mode Assaut de Unreal Tournament 2004, en mieux équilibré quand même, avec trois bases à capturer successivement et avec des véhicules bien sûr, qui regroupent généralement deux joueurs : un qui pilote, un qui mitraille. C'est un peu lent, c'est quand même bien fichu, mais il faudra attendre que les gentils étudiants sortent de nouvelles cartes avec l'éditeur fourni ou, soyons fous, des mods. En attendant, Far Cry est le meilleur du genre en solo, malgré le PC de brutasse exigé à l'entrée, malgré sa difficulté et la lenteur de son héros, aussi molasson que celui d'Unreal II. C'est le plus prenant depuis longtemps parce que certains trucs monstrueux font trembler de joie, certains passages donnent sincèrement des frissons, comme cette traversée d'une zone infestée de mutants, en slip et avec un unique chargeur. Astuce de survie : les mutants ne savent pas nager.
Les Plus
  • C'est beau
  • C'est tactique
  • Liberté d'action, les véhicules
Les Moins
  • C'est juste super dur
  • Les checkpoints, pas de sauvegardes rapides
  • Le héros est bien lent
Résultat

En fait, plus que le gameplay ou le level design, c'est l'apologie du biceps, la maturité technique, le doom-like qui entre dans sa phase DirectX 9 : la baffe technique en général et visuelle en particulier contribue largement au plaisir de jeu, au point de nous rappeler à quel point nous sommes encore influencés par le moindre sursaut technique. Les détracteurs de la performance pure qui se prosternent devant l'autel du Gameplay auront un peu plus d'aigreur supplémentaire à ressasser, mais ils passeront à côté d'un très bon titre qui excelle sur tous les plans, sans innover certes, mais avec un niveau de qualité si rarement atteint aujourd'hui qu'il suffit à emporter une adhésion totale, joyeusement grisante. Après tout, c'est avec les meilleurs jeux d'un genre que l'on savoure à nouveau la catégorie toute entière, quand des produits décevants au même goût de conserves périmées avaient presque réussi à nous en dégoûter. C'est le grand atout de Far Cry, qu'on recommande donc vivement à tous les joueurs riches.

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