Test | Return to Monkey Island
26 oct. 2022

Pointe et clique, boomer edition

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Return to Monkey Island

Monkey Island : ce titre évoque pour beaucoup de quarantenaires le souvenir ému d'une aventure rocambolesque, bourrée d'humour et de casse-têtes, faisant autant le bonheur des joueurs que les choux gras de LucasArts. Trois décennies plus tard, Return to Monkey Island revient sur vos écrans avec la promesse de vous transporter, à nouveau, dans la magie de cet univers fantastique de piraterie et combats d'insultes. Mais sans en changer la formule, voire même en l'allégeant de quelques ingrédients indispensables à une expérience réussie. Est-ce que ressortir les vieux pots suffira à nous faire tremper le doigt dans cette confiture caribéenne ? Affûtez vos répliques, aiguisez votre curseur, ça va pointer et cliquer sec.

L'histoire

Deux jeunes enfants légèrement turbulents jouent aux pirates dans un paisible parc. Leurs noms ne vous évoquera peut-être rien, mais ils sonnent étonnement proches de deux antagonistes d'un vieux jeu des années 1990. L'un d'eux n'est autre que le fils du célèbre Guybrush Threepwood, le héros de la saga Monkey Island. Va-t-il vivre à son tour de formidables aventures ? Que nenni, après une phase de tutoriel poussive aux objectifs sans véritable intérêt, le pauvre gosse plein de vie va se retrouver coincé sur les genoux de son père, un Guybrush fatigué par la vie, qui va lui raconter comment il a enfin trouvé le secret de l'Île aux Singes. Vous voilà donc aux commandes du grabataire légendaire héros Guybrush, de retour sur l'Île de Mêlée, à la recherche d'un équipage pour rejoindre Monkey Island. Sans un sou et désœuvré, vous n'aurez d'autre choix que d'embarquer, déguisé, sur le seul bateau en partance pour l'île : celui de votre pire ennemi, le pirate-zombie LeChuck.

La saga des Monkey Island est réputée pour être bavarde et pleine d'humour : Return to Monkey Island n'y déroge pas et propose même un mode encore plus bavard. Si la trame narrative, signature de la série, permet d'avoir des conversations relativement fouillées avec les personnages, c'est aussi l'occasion d'y voir se glisser de très nombreuses références à la saga. Et quand bien même le jeu prend le temps de recontextualiser les bases avec un album souvenir décorrélé du jeu — dans un menu, quoi — bon nombre de blagues tombent complètement à côté si vous n'avez pas la réf. Il n'est pas rare pour un joueur novice de s'interroger sur la relation entre Guybrush et un personnage, qui semblent partager un historique sous-entendu. Vous suivez donc l'histoire avec plus ou moins de fun, selon votre assiduité de la saga.
Le retour de la vengeance de la suite du rebondissement

Le principe

L'humour de répétition : la base des aventures de Guybrush Threepwood.

Halte-là. Vous débarquez et ne savez pas ce qu'est un point & click ? Dans les années 1990, il s'agissait d'une mécanique de jeu à son paroxysme de popularité. Prenez votre souris, parcourez l'écran, cliquez sur certains items ou personnages et agissez dessus. Votre héros se déplace au gré de votre curseur, interagit sous vos ordres et réplique la phrase que vous aurez choisie parmi une sélection proposée. Chez LucasArts, Ron Gilbert — co-auteur de Monkey Island avec Dave Grossman — a même développé un éditeur de point & click : SCUMM. Voilà pourquoi le bar dans Return to Monkey Island s'appelle le Scumm Bar, en plus de la blague avec Scum bag. Et, malheureusement, Return to Monkey Island semble être resté enfermé dans cette ode glorieuse du passé, enorgueilli de son célèbre patronyme et muni d'ornières l'empêchant d'apprécier les excellents jeux améliorant depuis 30 ans après lui le principe du point & click.

Ajoutez à cela la mécanique de progression de base : résoudre des énigmes. Vous souhaitez crocheter une serrure ? Il vous faudra pour cela déchiffrer son numéro de série ; mais pour cela, trouver un (ou plusieurs) verre grossissant ; mais pour cela, explorer une boutique de cartes et discuter avec le cartographe ; mais pour cela, avoir pour objectif de fabriquer une serpillière ; mais pour cela... Et d'ailleurs, pourquoi vous deviez crocheter cette serrure, déjà ? C'est ça qui est marrant et si bon nombre des énigmes peuvent sembler sans queue ni tête, tout finit par s'emboîter miraculeusement, apportant un sentiment de satisfaction incomparable.

En cela, Return to Monkey Island n'a rien à envier à ses aïeux : votre quête principale se trouve segmentée en une multitude de sous-quêtes, générant des allers-retours un peu partout sur la carte, interrogeant les personnages, combinant des objets, jusqu'à enfin résoudre cette énigme qui vous aura occupé quelques heures. C'était ainsi dans les années 1990 : avec des pantalons trop larges et sans Internet, il était possible de tourner en rond jusqu'à l'épuisement de combinaisons d'objets possibles, ou demandant aux copains pendant la récré s'ils ont trouvé la solution. Fort heureusement, Return to Monkey Island bénéficie maintenant d'une sorte d'almanach, qui guidera les joueurs les plus pressés. Donnant quelques indices si on le sollicite jusqu'à vous placer directement sur les rails d'une réponse, ce guide révèle parfois l'absurdité de certaines énigmes, vouées à vous faire tourner en bourrique. Notamment celles où il faut effectuer deux fois la même action : du sadisme, tout simplement.
Il faut être retraité pour avoir autant de temps à consacrer aujourd'hui à ce type de jeu

La version Switch

L'exemple parfait de lisibilité de ce portage ne prenant pas en compte le public non-anglophone.

Le parent pauvre. Disons-le, l'effort de portage du titre sur Switch est plus que mou. L'intention de proposer une interface totalement tactile est bonne, mais concrétisée avec de nombreuses faiblesses. Impossible de reproduire fidèlement l'expérience d'un curseur de souris se baladant sur l'écran ; le doigt se promène, certes, mais les zones d'interaction disparaissent sous le doigt, justement, entraînant au choix un oubli de zone devenue un instant invisible, ou un clic involontaire si votre doigt traînasse un peu : rageant. Vous privilégiez alors à l'usage la gestion à la manette ; toutes les zones interactives sont en surbrillance et un coup de stick permet de passer de l'une à l'autre : méthodiquement chiant.

Autre souci, et de taille : la lisibilité générale du jeu. Malgré des icônes et textes grossis au maximum dans les options du jeu, l'interface n'est clairement pas au niveau de la plupart des point & click contemporains. Malgré tous les efforts que vous portez, vos doigts choisissent malheureusement trop souvent la ligne du dialogue d'à côté, ce qui est, sincèrement, pénible. Il y avait pourtant la place à l'écran pour proposer des lignes de dialogue plus grandes. Quant aux répliques des personnages, les concepteurs du jeu ont eu l'idée abscons de centrer le texte dans les bulles. Pourquoi tant de haine ? À l'usage, c'est lourd. Ajoutons à cela le nom du personnage écrit sans distinction dans la bulle avant son texte, ainsi que des césures mal placées, et vous obtenez les textes les plus pénibles à lire de l'histoire du jeu vidéo. Dommage, pour un jeu qui repose sur la narration et dont l'audio n'est disponible qu'en anglais.
L'interface ? Aussi naturelle que de courir un 100 m en scaphandre

Pour qui ?

S'adapter à qui ?? Quelque chose m'échappe dans cette bulle de texte centré.

Comme le titre l'indique, vous retournez à Monkey Island pour tenter 34 ans plus tard de lever enfin le voile sur son mystère... Pour celles et ceux qui ont découvert les aventures de Guybrush en 1990 ou environ, Return to Monkey Island est une manière de replonger dans la nostalgie propre à cet univers sans tomber dans la facilité de la réédition. Pour les autres, le titre s'apparente davantage à un étrange revival de boomer, à la manière des concerts des increvables Rolling Stones où règne l'aigre parfum du "c'était mieux avant", sans vouloir réellement tourner la page du passé. Les références sont nombreuses, les blagues réservées aux connaisseurs également, laissant sur le carreau les pauvres joueurs désireux d'entrer dans cet univers qui aurait pu montrer un peu plus d'ouverture. Et non, ça n'est pas un album souvenirs caché dans un menu qui comblera ce manque. Le fils de Guybrush aurait fait un super héros, s'appropriant l'univers de son père, faisant écho à un public plus jeune aujourd'hui. Dommage de traîner à la place les guêtres de papy Guybrush...

Mais s'il est possible de passer outre les trous dans la raquette culturelle, l'irrespect involontaire dont le titre fait preuve auprès des joueurs est difficilement évitable. Le style point & click a pourtant bien évolué depuis les premiers Monkey Island et le titre en a largement abandonné les ressorts classiques avec des actions simplifiées pour se rapprocher du novel game, évolution naturelle du genre. Pour n'en citer que quelques-uns, vous passerez un excellent moment sur Switch avec Lacuna, Genesis Noir, Chicken Police ou encore 2064: Read Only Memories : d'excellent jeux qui ont su s'appuyer sur les ressorts classiques du point & click de leurs ancêtres et les dépasser, les améliorer, pour proposer une expérience totale, où l'interface tactile et le système d'enquête font partie intégrante du jeu sans aucune lourdeur. Ce que malheureusement, par vanité de lauriers historiquement acquis, Return to Monkey Island n'a pas pensé un instant utile d'envisager, avec son interface paradoxalement lourde et inadaptée à la console Nintendo.
Vous savez comment est mort le Capitaine Crochet ?

L'anecdote

Pourquoi ces deux jeunes gens fringants ne sont pas les héros de cette aventure ?

La première fois que j'ai été en contact avec Guybrush, ça a été en 1995, chez mon correspondant allemand à Stuttgart. Je m'ennuyais comme un rat mort, j'alignais à peine trois mots de la langue et entre deux visites des usines Porsche à proximité, mon correspondant a fini par se débarrasser de moi en m'abandonnant devant son ordinateur. Seule icône qui ressemblait à un jeu : Monkey Island, ou plutôt 𝔇𝔞𝔰 𝔊𝔢𝔥𝔢𝔦𝔪𝔫𝔦𝔰 𝔡𝔢𝔯 𝔄𝔣𝔣𝔢𝔫𝔦𝔫𝔰𝔢𝔩. Et me voilà, sourire aux lèvres, à diriger Guybrush au petit bonheur la chance, cliquer un peu partout, assembler au hasard des objets, dialoguer à l'aveugle dans une langue qui m'était inconnue. Imaginez un instant la galère que ça a été. Mais c'était moins pire que d'essayer de converser avec mon correspondant, alors je me suis accroché à la souris tant que j'ai pu, sautant même mes repas de saucisse-patates. En cinq jours, je n'ai progressé que de 1 % dans le jeu, avec la dramatique impression d'être une personne aveugle perdue dans un labyrinthe géant. Pendant longtemps, Monkey Island a pour moi été le phare germanique d'un grand moment de solitude. Et ça n'est que bien des années plus tard, étant moins naïf, que je me suis rendu compte que Monkey Island n'était pas du tout un jeu allemand et que je pouvais même y jouer, chez moi, en français.
En se grattant les 🍒
Les Plus
  • Un jeu malgré tout riche, complet, à l'écriture "comme à l'époque"
  • La stupidité de Guybrush sans aucun égal
  • La satisfaction de se creuser la tête
  • Ajoutez un point à la note finale si vous jouez à la souris sur PC, ou en anglais sans sous-titres
Les Moins
  • Une mise en route un peu poussive, faux-départ avec deux jeunes héros prometteurs mais abandonnés
  • Les énigmes où faire deux fois la même action est requise : ce fléau
  • Une grande impression d'entre-soi, réservée aux initiés de la série, malgré l'album souvenirs
  • L'interface totalement ratée et illisible, à la limite du jouable sur Switch
  • Pas d'audio en français, difficile d'accès pour les plus jeunes joueurs
Résultat

"Meh". C'est l'impression générale que laissera ce titre. Certes, bourré d'humour et riche en situations, lieux et personnages. Une aventure généreuse comme on les aime, pleine d'énigmes plus ou moins tordues et bien souvent satisfaisantes. Mais avec la désagréable impression que Terrible Toybox nous sert du fan-service sur le fond en oubliant en partie les non-initiés. Et surtout, en se moquant des joueurs sur la forme pour ce portage Switch. L'interface est à la limite de l'acceptable, comme si tout ce qui avait été créé en point & click sur ce support n'existait pas. Return to Monkey Island et son univers stupide effleurent du doigt le statut du titre idéal pour amuser le plus grand nombre et redéfinir les bases d'un style que la série a contribué à bâtir, proposant même l'idée d'une aventure vécue par Guybrush Junior, abandonné trop rapidement. Mais à la manière du chapitre d'intro où Papy Guybrush prend son fiston sur les genoux pour lui raconter comme c'était mieux la vie d'avant, le jeu impose la même vision à ses joueurs. Déso Papy Guybrush, on t'a pas attendu pour évoluer sans toi.

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