Test | Returnal
17 mai 2021

Le calvaire de Sisyphe

Testé par sur
Returnal

À 80 € le jeu PlayStation 5, pas le droit à l'erreur. Est-ce qu'un rogue-like élitiste à gros budget peut trouver son public ? Est-ce que Returnal ne risque pas de vous dégoûter du genre ?

L'histoire

Un vaisseau en flammes, une civilisation alien anéantie, une femme forte et des monstres : vous n'êtes pas dans un mauvais film de Ridley Scott mais c'est tout comme. Impossible de ne pas penser à Prometheus en explorant la planète inconnue avec Sélène. Les statues vermoulues monumentales, les machines aliens étranges, la brume et la pluie omniprésentes créent une ambiance oppressante. A côté de ça, la maison de Sélène ou un cosmonaute fantôme interpellent – si la première partie met en place un univers mystérieux qui donne vraiment envie d'en savoir plus, la deuxième vous met une bonne droite dans les gencives.
Les machines aliens étranges créent une ambiance oppressante

Le principe

Les Mycomorphs vous immobilisent dans une toile avant de vous achever.

Returnal est un rogue-like, un jeu qu'il faut finir d'une traite sans mourir. Pas vraiment de sauvegardes, pas de vrais checkpoints, toute mort est définitive. Toutes vos ressources, vos armes, tout ce que vous aviez looté comme un damné est perdu à jamais. Tout ? OK, presque tout. Votre résurrection vous laisse une ressource rare, l'Ether, et quelques objets uniques comme une épée pour le corps-à-corps et autres surprises qu'il ne faut pas vous spoiler. Et c'est là que le bât blesse. Le jeu est psycho-rigide sur ce mécanisme : il faut grinder comme un malade, parfois pour crever dans une salle aléatoire face à un Archonact trop coriace. Ou parce que vous avez eu la mauvaise idée d'ouvrir un coffre nocif qui vous aura octroyé le malus de trop : -50% de dégâts, ou -50% de vie. Ca ne rigole pas dans Returnal. Et les boss ? Particulièrement dangereux, ils demandent chacun de nombreux essais avant de maîtriser leurs patterns et leurs attaques. A moins d'être hyper doué ou à défaut acharné, tout re-grinder depuis zéro deviendra tôt ou tard rédhibitoire.

Vous me direz : OK s'ils y vont un peu fort avec les -50%, c'est la nature même des rogue-like d'apprendre de ses runs ratés. C'est ce qui les rend si stressants : en cas d'échec, on ne reprend pas 3 secondes avant sa mort comme dans tous les jeux mainstreams actuels (coucou Marvel's Spider-Man : Miles Morales). Sauf que. Dans Returnal, vous allez parfois perdre une ou deux heures de progression. A cause d'une pièce aléatoire. De quatre Mycomorphs redoutables dans une salle verrouillée. Ou d'un boss. Sans avoir rien récupéré qui ne puisse servir au run suivant.

Au début, quand vous êtes dans le premier biome, ça va, ce n'est pas très grave. Vous recommencez, vous n'avez pas perdu grand chose. Quand vous en êtes au troisième… C'est terriblement frustrant, même si les scénaristes ont pensé à une surprise qu'il ne faut pas vous spoiler – bon allez, disons qu'à partir d'un certain niveau, vous ne recommencez plus le jeu depuis le tout début. Stressant malgré tout, vu que le jeu vous décourage de faire des pauses. Si vous quittez le jeu pour rejoindre des amis en ligne, sur Rocket League au hasard, votre run en cours est perdu. Il n'existe pas, en tout cas au moment de la sortie du jeu, de fonction « Sauvegarder et Quitter » – fonction pourtant âprement réclamée sur les forums. Ah, et pensez à désactiver les mises à jour automatiques. Si vous mettez votre console en veille mais que le jeu est patché pendant la nuit, vous perdez votre run… Dommage si vous étiez juste avant un boss.
Vous allez très souvent perdre une heure de progression

Le gameplay

Une fois débloquée, l'épée reste disponible dans les prochains runs.

C'est d'autant plus rageant que Returnal est un excellent shooter. Sélène est rapide, nerveuse, agréable à prendre en main. Ses esquives vous donnent quelques frames d'invincibilité au prix d'un cooldown. Un gameplay très agréable manette en main : les sensations sont là. Une fois équipé du grappin et de l'épée, virevolter au milieu des ennemis qui crachent des dizaines de projectiles devient grisant. Il y a du Doom Eternal dans ce jeu, dans cette façon de vous forcer à être toujours en mouvement. Avec l'expérience vous allez apprendre à éviter les ennemis, à louvoyer entre les tirs, voire à jouer avec les portes de chaque salle, portes que la plupart des ennemis ne franchissent pas – soit pour les tuer en toute sécurité, soit pour les semer tout simplement.

Reste un élément frustrant, en tout cas à la sortie du jeu : l'équilibrage. Le ratio entre risque et récompense est très défavorable au joueur. Coffres et bonus contaminés donnant des malus éliminatoires, salles bonus renfermant des pièges, génération procédurale des niveaux créant des salles parfois très déséquilibrées, bonus de santé hors de portée parce que vous n'avez pas encore obtenu le bon objet… Sans oublier les bonus contaminés entraînant un dysfonctionnement de votre combinaison. Résultat : le jeu vous pousse à rusher, à esquiver les ennemis pour revenir plus vite au boss, et à ignorer la plupart de ses mécaniques. Chaque salle non indispensable à votre run risque de vous tuer et de vous faire perdre toute votre progression – sacant que les portes facultatives sont indiquées sur votre carte. Les looters nés qui adorent rincer un dongeon en seront pour leurs frais : à quoi bon explorer la carte quand le manque cruel de bonus de santé vous fait perdre petit à petit tout espoir de vaincre un boss ? A quoi bon prendre un bonus de santé infecté si le malus associé va faire baisser votre vie ?

Vous pouvez vous débarrasser des malus en remplissant certaines conditions mais dans les faits, le temps d'y arriver, vous risquez parfois de perdre votre run (drame vécu). Certaines conditions sont faciles : créer un objet, tuer 6 ennemis au corps-à-corps. D'autres vous obligent à trouver une relique, un objet hyper rare planqué dans le niveau – bonne chance. L'équilibrage changera peut-être au fil du temps, mais Returnal a clairement manqué de beta tests ou d'early access pour équilibrer son gameplay avant sa sortie. Les premiers patchs ne vont d'ailleurs pas vraiment dans la bonne direction. L'un d'entre eux a corrompu les sauvegardes des joueurs, un autre a supprimé la régénération illimitée qui était disponible dans votre vaisseau. Résultat : les forums regorgent de joueurs mécontents – beaucoup ont même réinstallé le jeu sans aucun patch pour profiter de la version "vanilla" du jeu.
Sélène est rapide, nerveuse, agréable à prendre en main

La version PS5

Apprenez à dasher au dernier moment pour éviter les tirs ennemis.

La direction artistique est heureusement somptueuse : les ruines aliens sont oppressantes, les ennemis ont un look original et certains boss « bullet hell » en mettent plein les yeux. Si vous arrivez jusqu'à Nemesis, un des boss, vous allez vivre un grand moment de jeu vidéo. C'est un combat à la fois sublime et désespérant. La difficulté est brutale, les projectiles pleuvent et il faut apprendre à courir en crabe tout en dashant juste avant un impact – plus facile à dire qu'à faire. Les vibrations haptiques de la manette PS5 sont très bien gérées. Les gâchettes résistent pour vous indiquer le passage au tir secondaire.

En matière de sensations, le jeu fait parfois aussi bien qu'Astro's Playroom. La pluie par exemple se ressent manette en main. Revers de la médaille : le jeu vide la batterie de la DualSense à vitesse grand V. Et les temps de chargement ? Ils sont quasiment invisibles. Une nécessité dans un rogue like où on passe son temps à mourrir et à renaître : si vous n'étiez pas catapulté immédiatement dans un nouveau run après votre mort, la tentation serait grande d'éteindre la console. Et peut-être même de revendre le jeu !
Certains boss « bullet hell » en mettent plein les yeux

Pour qui ?

Archonact trop grand pour cette salle au trésor facultative... Adieu : ça vous apprendra à looter.

Si vous n'aimez pas les rogue like, Returnal ne vous fera pas changer d'avis. Si vous n'êtes pas bon aux shoot-them-up, quand il faut esquiver des milliers de projectiles avec un placement au poil, Returnal n'est pas pour vous. Et si vous n'aimez pas la difficulté, passez votre chemin. Sous ses airs de superproduction classique, Returnal est un jeu sans pitié, pas entièrement équilibré encore, doté d'un système de sauvegarde hyper contraignant. A 80€ le rogue like, autant dire que l'expérience risque de s'avérer plus frustrante qu'exaltante pour une majorité de joueurs.
Returnal est un jeu sans pitié, pas entièrement équilibré encore

L’anecdote

La planète raconte l'histoire d'une civilisation alien disparue. Comme dans Prometheus.

Un conseil : ne lisez rien si vous vous lancez dans Returnal. Pas de wiki, de solutions, de vidéos « 10 astuces pour bien démarrer » – rien. Acceptez le challenge, foncez tête baissée, faites des erreurs, tâtonnez. Une des grandes forces du jeu réside dans son univers, dans cette civilisation avancée dont les mécanismes et les objets sont à la fois répugnants et abscons. Le plaisir de l'exploration est réel, et il serait gâché par la lecture de guides de jeu en amont.

Ne les lisez que si vous galérez à comprendre certains mécanismes de gameplay, idéalement après plusieurs runs. Il faut dire que même en parcourant les pages d'aide dans le jeu, certains mécanismes sont vraiment complexes : la gestion de l'adrénaline, la différence entre l'intégrité de la combinaison et la vie, le leveling des armes… Returnal ne vous force pas seulement au fameux « get good » (« devenez meilleur »). Il vous encourage aussi à rejoindre une communauté qui décortique ses mécanismes et ses meilleures stratégies.
Le plaisir de la découverte est réel : ne le gâchez pas avec des guides de jeu
Les Plus
  • L'ambiance
  • L'envie d'en apprendre plus sur la planète et sur Sélène
  • La maniabilité
  • La gestion des vibrations DualSense
Les Moins
  • L'impossibilité de quitter le jeu sans perdre son run
  • Des problèmes d'équilibrage
  • Les premiers patchs qui corrompent les sauvegardes ou renforcent la difficulté en début de jeu...
  • Le prix
Résultat

Returnal donne l'impression de ne pas aller au bout de toutes ses mécaniques. Il est impossible de sauvegarder, de quitter le jeu ou de jouer à un autre jeu sans perdre l'intégralité de son run. Un conteneur nocif lambda demande presque autant d'Ether qu'un Reconstructor qui donne une vie supplémentaire. Certaines salles bonus renferment un ennemi puissant qui peut vous tuer. Une machine alien qui vous redonne de la vie fait apparaître des ennemis dès que vous l'utilisez – et tant pis si la salle est trop petite pour un combat ou pour la caméra.

La liste continue, avec morts arbitraires et perte tragique d'une voire de plusieurs heures de grinding fatiguant. Bref, ce n'est pas seulement la difficulté qu'il faut aimer, ou le concept même des rogue-like. C'est le côté encore très aléatoire de l'équilibrage du jeu et de ses ressources à sa sortie. Il faudra peut-être plusieurs mois de patchs et d'échanges avec la communauté pour arriver à une expérience moins frustrante.

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