Test | Deadly Premonition 2 : A Blessing in Disguise
10 août 2020

Les frontières brouillées

Testé par sur
Deadly Premonition 2

Personne n'aurait imaginé que Deadly Premonition puisse avoir une suite. On gardait précieusement son souvenir, son expérience comme un voyage unique mais douloureux, l'impression de s'être assis sur un banc de clous mais devant un paysage à voir avant de mourir. Puis sa suite fut annoncée. Il n'y eut ni joie, ni enthousiasme. Aucune clameur n'est venue pour un jeu considéré comme lieu de pèlerinage. Deadly Premonition 2 : A Blessing in Disguise sort même dans l'indifférence et, ironie du sort, se récolte les mêmes critiques que lors de son précédent épisode. « Qu'est-ce qu'ils ont cru Zack, qu'on allait revenir tel Prometheus alors qu'on s'est tatoué "Ne la touche pas, sale pute !" dans le dos ? »

L'histoire

Lorsque le jeu démarre, on a plus l'impression de se retrouver dans la suite de D4 : Dark Dreams Don't Die que dans celle de Deadly Premonition. Même appartement, même ambiance poisseuse, mêmes attitudes nonchalantes et même style graphique ; Swery reprend les choses où il les a laissées.

En tout cas, d'emblée, la suite est prise à contre-pied puisque si vous allez retrouver l'agent York, il semble centenaire, dans un état lamentable. C'est donc une suite qui n'en est pas une, puisque nous allons suivre notre agent sur une de ses missions, quinze ans plus tôt. Les plantes et les graines rouges font le lien entre les deux épisodes. L'agent York sur la piste de la drogue provenant de cette graine se retrouve dans la ville de Le Carré en Louisiane, où une jeune femme a été découpée en morceaux dans un meurtre cabalistique.

La narration de cet épisode est identique au premier. Ainsi ce sont les dialogues, bavardages, échanges entre son double Zack, les protagonistes, les habitants et sur lieux d'enquêtes qui font avancer l'histoire. Comme chez Tarantino, ce n'est pas un jeu narratif mais un jeu lyrique qui fait la part belle à l'élocution, au verbe, et dans cet épisode Swery est en grande forme. Parfaitement écrits, les dialogues sont un délice qui surpasse le premier épisode, et Swery déploie une écriture d'une finesse, d'une drôlerie, d'une dramaturgie qui touche à la perfection.

Monsieur prend des risques. Si l'épisode précédent voyait un héros nous parler constamment et amoureusement de ses références cinématographiques aux films de genre des années 70/80 tout en pastichant l'univers de Twin Peaks, cet épisode met sa réputation sur la table et s'attaque à ces années-là. Les fans vont faire la gueule : dorénavant l'ambiance change radicalement et l'univers WASP du premier épisode se charge d'une pesanteur expérimentale du côté d'un cinéma plus agressif et engagé. Mais aussi des divertissements familiaux qui placent les sagas familiales, la jeunesse, les extraterrestres et les lotissements de banlieue en étendard... Vous allez donc retrouver un jeu plus resserré autour de son scénario et de ses personnages secondaires. Oubliez les scènes poético-contemplatives du premier épisode, avec un héros qui aura moins de temps pour se parler à lui-même et une interaction réduite avec les voisins puisque c'est l'omerta dans la ville.
Un jeu plus resserré

Les graphismes

Un héros mis à l'interrogatoire.

Quelque part les graphismes et la partie technique font aussi partie du décorum. De nombreuses fois durant l'aventure le jeu fait l'apologie des films cassés et en vante les mérite, à tel point qu'on se demande si Swery n'entretient pas un peu le désastre. Il n'y a rien qui puisse expliquer qu'en 2020 un jeu ressemble autant à ce qui se faisait sur PS2, à part pour rendre hommage à une époque ou entretenir le mythe, comme une espèce d'identité visuelle qui appartiendrait dorénavant à la mythologie Deadly Premonition. Comme ces phases de combat qui reviennent, alors même que Swery durant des années expliquait à qui voulait l'entendre qu'elles lui avaient été imposées par l'éditeur.

Deadly Premonition 2 apparaît au fil de l'aventure comme un jeu soucieux de s'inscrire dans une continuité esthétique où le visuel ne serait plus induit par la technique, le financier, mais bien par une volonté artistique qui viendrait légitimer le travail depuis le premier épisode et former ainsi un ensemble cohérent et indissociable. Une attitude d'artiste engagé qui réutilise ses jeux précédents (Deadly Premonition et D4) pour en extraire les motifs, les codes, les réarranger et se les réapproprier. Deadly Premonition 2 est une copie virtuose qui se joue des conventions et de la question de l'obsolescence programmée d'une création vidéo ludique dont les remaster, remake et director's cut font maintenant partie du prévisionnel d'un jeu.

Certes nul ne s'était préparé à ce que le jeu soit visuellement aussi rude, mais de la part de Swery imaginait-on réellement que le jeu prenne les allure d'un triple A ? Avec autrement plus de moyens, D4 était déjà un jeu crasseux et frappadingue. De la même manière, peut-on s'imaginer un instant que si le skateboard a remplacé la voiture dans Deadly Premonition 2 c'est parce que le jeu ne serait pas capable d'afficher les textures au volant ?
Une attitude d'artiste engagé

Le principe

Once upon a time…

Deadly Premonition 2 reprend les mécaniques du premier épisode, c'est-à-dire que dans une ville du fin fond des États-Unis d'Amérique vous allez mener l'enquête en vous confrontant aux autochtones. Il s'agira de longues discussions avec différents individus, de se déplacer d'un endroit à un autre, d'exécuter des tâches à remplir, certaines principales, d'autres secondaires, avec des contraintes de lieux, de jour et d'horaires. Le commissariat vous réservera même la possibilité de vous occuper des désagréments locaux : en tuant des abeilles, crocodiles, chiens ou écureuils chapardeurs, et il y aura même des boîtes aux lettres à fouiller...

Au cours de votre enquête, certains lieux liés directement au crime se révéleront être de véritables fortifications cauchemardesques et labyrinthiques, hantées de créatures maléfiques. Ces phases de jeu prennent la forme d'un jeu d'action tel qu'il se faisait à l'époque de la PS1/2, où vous avanciez mollement dans des couloirs en forme d'entonnoir en tirant sur des monstres qui apparaissaient au hasard de vos déambulations. Bienheureusement ces phases de jeu sont entrecoupées de scènes de crime passionnantes à observer, à comprendre et elles se terminent toujours par des boss plutôt bien foutus.

Que ceux qui ont fait le premier épisode se rassurent : ces phases d'action se contrôlent de manière bien plus naturelle et agréable qu'avant. Les autres seront surpris de ces mécaniques de jouabilité moyenâgeuses. Deadly Premonition, c'est un scénario passionnant et grisant mais en contrepartie un retour aux jeux vidéo d'il y a 30 ans.
Un retour aux jeux vidéo d'il y a 30 ans

Pour qui ?

Des PNJ trop statiques.

Si le premier épisode avait été pensé pour la PS2, les joueurs lui avaient pardonné ses contreparties techniques et ses phases de shoot ridicule ; pas sûr qu'aujourd'hui les joueurs y replongent. Caution artistique ou pas, l'impression que cela dégage est celle d'un jeu bâclé, immonde, auquel on n'a pas envie de se confronter. Les thématiques scénaristiques ayant changé la mélancolie poétique du premier épisode ont disparu au profit d'une ambiance plus rentre-dedans, virile et grotesque, qui prise au premier degré ne passera pas même auprès des défenseurs du premier épisode. Un jeu à réserver aux fans de Swery et à ceux qui s'intéressent aux jeux vidéo en tant que matière artistique. La réflexion et le résultat ici sont vraiment très intéressants à observer et à questionner.
À réserver aux fans de Swery

L'anecdote

La véritable star du jeu.

Le test est élogieux et votre testeur fait le pari de la tare artistique dans l'inscription des énormes problèmes de framerate, clipping et autres joyeusetés au programme patrimonial de Deadly Premonition. Néanmoins des problèmes plus graves sont à signaler et obligent à prévenir : quelques fois la Switch se crashe ou le personnage se bloque sans raison en refusant de bouger. Alors surtout sauvegardez souvent.

Pour le reste continuons à encenser le jeu et notamment dans sa partie musicale qui est magnifiquement composée par Satoshi Okubo (Hotel Dusk). Notamment le thème de l'hôtel Casa Pineapple que vous ne pourrez vous lasser d'entendre...
Une musique splendide
Les Plus
  • Un scénario toujours au sommet
  • Des musiques divines
  • Une réflexion sur l'artistique époustouflante
  • Un cheminement de jeu très agréable
Les Moins
  • Techniquement et graphiquement affreux, affreux, affreux
  • Des quêtes optionnelles comme au temps de la première PlayStation
Résultat

Si vous vous attendez à retrouver les mimiques de l'agent York inchangé, dans un univers intact mais plus exhaustif que dans le premier épisode, avec tout l'enrobage d'un jeu moderne graphiquement et techniquement à la hauteur, fuyez et divisez la note par quatre cents. Graphiquement horrible, techniquement le jeu fera crasher votre Switch et, pour ne rien arranger, l'univers du jeu transpire la sueur et refoule les dessous de bras. Par contre si vous êtes prêt à découvrir un scénario écrit d'une main divine où la passion cinématographique de l'agent York (Swery) pour les films de genre s'incarne enfin à l'écran ; prêt à découvrir une démarche artistique excessive, suicidaire mais passionnante qui voit Swery inscrire son travail dans un monolithe, alors foncez ! Deadly Premonition 2 n'a rien perdu de sa grandeur, il est resté le même et bien plus encore. S'il était génial hier, il est grandiose aujourd'hui, la saga complète. Vous en sortirez orgueilleux.

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