Test | The Quiet Man
28 déc. 2018

L'Itinéraire d'un enfant cassé

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The Quiet Man

Lorsque The Quiet Man est apparu pour la première fois, il a fait forte impression. Pour ceux qui ne l'ont pas connu, il se présentait moitié film et moitié Beat them all, avec son pitch séduisant, son ambiance photo-réaliste poisseuse et sa mise en scène acérée. Les plus anciens auront tout de suite pensé à The Bouncer, un jeu Squaresoft de 2001 ô combien attendu, qui a déçu toutes les attentes. Déjà à l'époque, Squaresoft avait tenté le film interactif parsemé de scènes d'actions, d'un scénario façonné et avec la même promesse : d'être achevé en une session de jeu. The Quiet Man réussira-t-il là où son aîné a échoué ?

L'histoire

Vous êtes face à une aventure cinématographique entrecoupée de scènes d'action. Le jeu navigue entre prises de vue réelles et images de synthèse, mises en scène à la manière d'un téléfilm ou d'un direct-to-video pour nous raconter une histoire de série B sur fond de vengeance. Sa plus grande originalité est de prendre pour héros un personnage atteint de surdité... mais rassurez-vous tout le reste est typique de ce genre de productions: des trahisons, un méchant masqué, un gang latino qu'il faut dissoudre pour plus de vérité et une belle chanteuse de cabaret en complexe d'œdipe.

L'histoire s'inscrit bien dans ce contexte caricatural mais en faisant preuve d'indulgence et de curiosité vis-à-vis de ce genre de productions, on prend plaisir à suivre cette histoire qui se laisse regarder avec intérêt. On est dans le même ordre d'idées que Late Shift, mais en plus ambitieux. Late Shift avait tendance à se dérouler trop souvent dans des espaces intérieurs avec des personnages simplistes. Ici, la ville de New-York est le lieu de cette tragédie urbaine. Les personnages sont nombreux et bien écrits avec de vraies personnalités. De même, les situations sont variées et les coups de théâtre fonctionnent plutôt bien. Il est juste dommage que la fin soit si aberrante et qu'elle renverse ce qui se tenait pour finir en grand n'importe quoi.

Deux méthodes pour raconter cette histoire. D'une, des images soignées en prises de vue réelles avec un vrai souci de la mise en scène. Les acteurs font leur travail de manière impliquée au premier degré, là où dans Late Shift on pouvait sentir une espèce d'ironie, de distance qui gâchait le plaisir du joueur. De l'autre, des cinématiques en images de synthèse qui s'intègrent mal à l'ensemble : les personnages sont raides et leurs expressions simplistes et caricaturales s'accordent mal avec les émotions qu'ils sont censés véhiculer. À noter aussi les énormes problèmes de découpages et de transitions entre les différentes scènes du jeu.
Une histoire de série B

L'expérience

Vous ne serez pas toujours au centre de l'image.

Le grand problème de The Quiet Man c'est qu'à aucun moment le jeu n'a été pensé pour être compris, vécu, senti du point de vue d'un personnage qui est censé être sourd. Toutes les cinématiques, interactions et mises en situation des personnages sont réalisées comme si le héros n'avait aucune particularité auditive. La seule solution que les développeurs semblent avoir trouvé pour simuler ce handicap, c'est nous ôter tous les dialogues.

Vous serez ainsi privé de compréhension narrative durant toute l'aventure. Le résultat est consternant. Certes, le scénario n'est pas d'une profondeur telle que vous n'y compreniez rien : il est évident qu'il rattachera grosso modo les fils et constituera l'histoire. Ce qui est horrible, c'est de se trouver devant un objet impropre, comme si un film traitant de la surdité tel "Les enfants du silence" se devait d'être regardé le volume sonore éteint.

L'effet final est celui d'un produit qui n'a pas les moyens de ses ambitions, tant narratives que techniques, qui donne l'impression que les développeurs n'ont pas eu le temps d'inclure les dialogues et les sous-titres. L'excuse d'un personnage sourd semble toute trouvée pour sortir un jeu inachevé. Cependant, ce choix des développeurs est assumé et fait, selon eux, partie intégrante de l'expérience puisque le jeu se termine en vous renvoyant vers un patch gratuit chargé de rétablir une compréhension exacte de l'histoire.

Il y a donc deux jeux. Le premier sourd et impropre. Le second jeu, patché par les sous-titres et une bande son, vous offre un jeu qui certes ne tient pas totalement ses promesses mais reste compréhensible. La contrepartie est qu'il faut faire le jeu une première fois avec pour seuls compagnons : incompréhension et désintérêt. Une version stupide qui vous découragera d'y revenir. Car une fois le son activé, on découvre une réalisation narrative qui fait amplement son travail et qui aurait facilement trouvé un public venu pour ce genre d'expérience.
Se trouver devant un objet impropre

Le principe

De jolis effets.

Pour faire avancer l'histoire, il faut vous battre en faisant preuve de beaucoup de courage et d'indulgence. Aucun tutoriel ne vient vous expliquer la marche à suivre, alors vous appuyez sur toutes les touches et comprenez rapidement qu'il y a une touche pour les mains, pour les pieds, pour la choppe et un déclencheur de finish. Pour les ennemis, c'est aussi simple : il y en a deux sortes, ceux que l'on tabasse bêtement et ceux (les boss) qu'on tabasse en esquivant. Du Beat them all simplifié à l'extrême qui ne vous apporte aucun plaisir : les ennemis arrivent sur vous mécaniquement en traversant les murs et sont totalement idiots. Heureusement, les développeurs, réalistes quant à l'état de cette partie du jeu, vous épargnent toute difficulté, et passer ces scènes reste alors une formalité... sauf dans l'interminable dernier niveau.
Beaucoup de courage et d'indulgence

Les graphismes

Des acteurs qui assurent.

Graphiquement le jeu n'impressionne personne, surtout que, durant les combats, il y a des problèmes énormes de collisions, de textures qui disparaissent, de découpages de mouvements... et j'en passe. Le jeu, aussi court qu'il soit, se permet aussi de réutiliser les mêmes décors à plusieurs reprises : vous avez alors l'impression de jouer plusieurs fois les même scènes.

Le jeu fait pourtant des efforts sur l'ambiance hyperréaliste, avec une magnifique photographie très stylisée à la Michael Mann où les corps remplissent pleinement l'espace et les lumières nocturnes s'étirent oniriquement.
Les lumières nocturnes s'étirent oniriquement

Pour qui ?

Les modèles numériques des acteurs manquent de vie.

Sincèrement, je peux difficilement le conseiller. L'idée qui consiste à parcourir le jeu une première fois de manière sourde est décourageante. Néanmoins, si un autre patch permet de faire le jeu directement dans sa version définitive, 15 € ou à un prix encore plus abordable, ce n'est pas non plus honteux.
Néanmoins si un autre patch permet de faire le jeu directement dans sa version définitive

L'anecdote

Beaucoup de flou pendant les combats.

Le dernier niveau est insupportable : les ennemis apparaissent plus que de raison histoire de faire durer le plaisir. Je n'en pouvais plus, je n'avais qu'une hâte, c'était que cela se termine pour relancer une partie avec le doublage, histoire enfin d'y comprendre quelque chose. Et voilà que devant le boss final, un bug !!! Plus de texture, plus de boss, plus rien, j'errais dans un niveau vide au stade embryonnaire dans l'impossibilité de reprendre à cet endroit et avec l'obligation de me retaper tout le niveau : une véritable purge.
Histoire de faire durer le plaisir
Les Plus
  • Une bonne histoire
  • Jolis effets de lumière
Les Moins
  • Jouabilité ratée
  • Technique aux fraises
  • La première partie sous silence désastreuse
Résultat

The Quiet Man aurait pu être une expérience sympa, certes à la jouabilité et à la technique ratées, mais qu'on aurait salué pour ce qu'elle fait de bien : nous porter durant trois heures dans une histoire efficace et divertissante, avec des acteurs et une réalisation totalement honnêtes pour un genre sous-représenté sur nos consoles. Au lieu de ça, les développeurs ont fait le choix d'un film muet totalement hermétique. Inévitable impression finale : celle d'un désastre.

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