Peter Molyneux comme vous ne l'avez jamais lu
24 mai 2020

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Trois facettes pour un personnage haut en couleurs et en histoires : c'est la promesse de ce livre fraîchement sorti chez Third Editions, réalisé sur la base d'une vingtaine d'heures d'entretiens successifs avec le légendaire génie britannique

La vie et l'œuvre de Peter Molyneux ramassées en 215 pages ? Raphaël Lucas a rendu possible cette prouesse, au gré d'un an de rendez-vous Skype. De nombreux sujets sont abordés, depuis ses premiers déboires à l'école, son premier vrai job comme programmeur de logiciels de compta (heureusement pour nous que cela ne durera pas), jusqu'à son trop-plein de responsabilités chez Microsoft. Comme l'auteur le souligne dès les premières pages, l'enfance de Peter a grandement influé sur sa carrière, avec notamment une mère propriétaire d'une boutique de jouets et un père bricoleur de génie. Cela fait rêver mais la vérité est tout autre : Peter devait se contenter de jouets cassés ramenés par sa maman de la boutique, tandis que son père les réparait dans un atelier qui fait aujourd'hui l'objet du prochain jeu de Molyneux. Car ce que Raphaël Lucas parvient habilement à montrer au fil des pages, c'est que l'inspiration de Molyneux pour ses jeux s'est toujours trouvée à portée de mains. Les marécages où il aimait se perdre enfant avaient le côté féerique que l'on retrouve dans Fable, les fourmilières derrière la maison et leur activité frénétique au moindre coup de bâton se retrouvent dans le peuple soumis de Black & White, tandis que l'envie profonde, enfant, de s'amuser dans un parc d'attraction, a mené à Theme Park. Avec toujours, au fil des jeux, cet équilibre entre le bien, le mal, l'impact des actions des joueurs sur l'environnement et les populations.




- Un auditoire buvant la parole sacrée du maître -


Le livre nous en apprend également beaucoup sur la méthode de conception de Molyneux : une vague idée au départ, un bout de concept, qui s'affine au fur et à mesure de tests, de jeu sur le prototype, notamment en multijoueur. C'est cela qui fera le succès de son premier titre, le bien-nommé Populous, dont l'équilibre remarquable se fera au prix d'innombrables heures de test en multijoueur et de fine tuning. Méthode qui n'est pas réellement compatible avec les enjeux de grandes entreprises comme Electronic Arts qui fera l'acquisition de Bullfrog et plus tard de Microsoft avec Lionhead. Successivement, Peter Molyneux créera un studio à partir de rien, avec une équipe réduite, jusqu'à se faire rattraper par le succès et l'attrait des géants, se faisant piéger coup sur coup par cette escalade d'échelons hiérarchiques incompatible avec son profil de concepteur-programmeur. Molyneux n'est pas tendre avec Microsoft, dont les ambitions pour la Xbox au fil des générations se sont progressivement éloignées des joueurs selon lui. Autre piège récurrent : la presse. Le jeu du chat et de la souris auquel se livrent journalistes et studios, pour grappiller les moindres infos, a été pour Molyneux l'objet de nombreuses déconvenues. Peter partageant presque naïvement son travail à date, ce qu'il annonce ne sera pas forcément présent dans le jeu final. Et ça, les joueurs l'ont mal compris : Peter a beaucoup subi les foudres des joueurs et journalistes déçus de ne pas avoir eu droit aux "promesses" faites, qui en réalité n'en n'étaient absolument pas.

Pour quiconque suit de près ou de loin l'activité vidéoludique, le nom de Peter Molyneux évoque nécessairement toute une panoplie de sentiments. Adulé pour ses productions, détesté pour sa personnalité, il n'en reste pas moins un personnage aux multiples facettes, comme Raphaël Lucas le montre bien. À vous de déterminer si son aura est justifiée, si son personnage correspond à son image, si son histoire explique ou justifie certains de ses actes...




- Un chapitrage digne d'un RPG IRL -


Si la lecture de ses souvenirs et témoignages se fait avec un appétit presque pervers (oui, le moment où il envoie son mail de démission à Electronic Arts complètement bourré sous forme de quasi doigt d'honneur est un pur délice), l'enrobage et l'accompagnement fait par l'auteur alourdit malheureusement l'ensemble. Les relances et questions sont nécessaires, de même que la remise en contexte de certaines informations. Cependant, au 15e "Peter (Pan ?)", le lecteur aura compris l'analogie de l'enfant qui ne veut pas grandir. Le sur-emploi de parenthèses, de mots non-choisis via des "/", ou d'expressions toutes faites apportent un déséquilibre déconcertant face à la simplicité du propos de Molyneux. D'autre part, malgré quelques tentatives visuelles étranges de jeux de typo plus ou moins réussis, le livre est avant tout un récit d'entretiens pur texte. Il aurait été intéressant de bénéficier de captures d'écran, documents de conception scannés, visuels de recherche, comme de nombreux ouvrages dédiés à l'industrie vidéoludique le proposent.

📖👀 À lire : L'œuvre de Peter Molyneux : trois vis(ages) d'un créateur, 2020, 218 pages, 24,90 € chez Third Editions.

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