Test | Another Code R affine le style Cing sur Wii
06 août 2009

Testé par sur
Another Code : R

Après un âge d'or et sa mort de nombreuses fois proclamée, le jeu d'aventure de type pointer/cliquer n'en finit plus de renaître sous diverses formes. Que ce soit des jeux épisodiques à télécharger (les productions TellTale) ou de timides et trop classiques tentatives (Runaway et autres Secret Files). Et si la relève, la "vraie", venait plutôt du Japon ? Le studio Cing, aujourd'hui attaché à Nintendo, trace depuis plusieurs années une route singulière. Elle se situe dans un style graphique bien reconnaissable et une utilisation judicieuse des nouvelles interfaces de jeu.

De l'autre côté de la mémoire

Deux années ont passé depuis qu'Ashley Robins a retrouvé son père sur l'île de Blood Edward (voir Mémoires doubles sur Nintendo DS). Désormais âgée de seize ans, la jeune fille vit chez sa tante et investit toute son énergie dans la guitare en vue d'un concours important. Un malaise la ronge cependant de l'intérieur. Son père, malgré ses promesses, ne se consacre entièrement qu'à son travail et à ses nouvelles recherches scientifiques. Il propose néanmoins à sa fille de venir le rejoindre le temps d'un week-end pour camper à Lake Juliet : un havre de paix naturel ... non loin de ses bureaux. Ashley s'y rend à contrecœur sur les conseils de sa tante, persuadée que son père ne se souciera guère d'elle une fois sur place. A peine arrivée au camp de vacances, elle commence à se souvenir de sa mère disparue il y a treize ans... Le passage de la portable au double écran à la console de salon 16/9e aurait pu laisser espérer un jeu plus complexe et ouvert. Il n'en est rien, au contraire même. Si Mémoires doubles proposait un environnement à trois dimensions (vu de haut sur l'écran tactile), Les portes de la mémoire se joue sur des rails avec cependant des choix de direction et des déplacements à activer soi-même via le bouton "A". A la façon (dans un registre totalement différent) de killer7 sur GameCube. Le confort visuel apporté par un écran de télévision permet quant à lui de repérer plus facilement les objets qui avaient tendance à se perdre dans les décors du jeu DS. En revanche, l'aventure devient plus consistante avec une quinzaine d'heures de jeu, gommant ainsi un défaut du premier volet souvent présenté comme un jeu très court.

Toujours le même jeu...

Les séquences cinématiques proposent un rendu proche du dessin animé.

Another Code R est un jeu développé par le studio japonais Cing et cela se reconnait de loin une fois le jeu lancé. Plusieurs éléments sont devenus de véritables marques de fabrique au fil des productions de la société. Que ce soit du méconnu Glass Rose sur PlayStation2 (à l'époque réalisé pour le compte de Capcom) à Hotel Dusk sur Nintendo DS. L'intrigue s'appuie ainsi sur une certaine unité de lieu. Bien que composé de plusieurs zones et bâtiments le camp de vacances de Lake Juliet est un lieu coupé du monde extérieur. Il est en ce point comparable au manoir de Glass Rose ou à l'hôtel de Room 215. Ce qui pourrait passer pour une limite se transforme en atout car le moindre élément du monde exploré trouve une justification forte. Autre procédé incontournable des jeux Cing : le questionnaire proposé au joueur à chaque fin de chapitre afin de faire le point sur les événements du scénario. Scénario qui exploite à la façon de ses prédécesseurs le motif de la mémoire ou plus généralement du passé oublié qui ressurgit soudainement : L'objectif d'une vérité à reconstituer pour le joueur. Les jeux Cing sont extrêmement narratifs et misent davantage sur leur intrigue que sur leur contenu purement ludique. Sur Wii, cet aspect est même renforcé par de nombreux rappels à l'ordre lorsque vous tentez de faire autre chose que l'objectif immédiat. Si la notion de film ou de roman interactif évoque pour vous la pire espèce de jeux vidéo, il est malheureusement probable que ces Portes de la mémoire resteront fermées à vos yeux.

... un peu mieux à chaque fois.

Les énigmes tirent parti de la reconnaissance de mouvements malgré quelques soucis.

Seulement la jouabilité ne fait pas tout et l'interactivité n'est pas nécessairement une fin en soi. Another Code R n'est pas le premier jeu à tenir le pari de la narration et de l'ambiance. Graphiquement, Cing affine son style "manga réaliste" avec un rendu dessin animé du plus bel effet. Sans chercher à tout prix la performance et la comparaison avec les consoles haute-définition. Le studio prouve ainsi que la Wii peut proposer des jeux soignés visuellement et surtout, dotés d'une véritable personnalité. Côté auditif, la réussite est moins évidente, notamment à cause des musiques simplistes. L'absence de voix lors des dialogues risque de dérouter à notre époque mais s'inscrit dans une tradition écrite qui conserve courageusement la lecture. C'est l'occasion d'apprécier à sa juste valeur le travail de la scénariste Rika Suzuki. Les rebondissements ne sont pas forcément surprenants. L'essentiel est dans l'émotion qui pointe au détour d'une réplique ou d'un détail qui pouvait sembler insignifiant. Another Code R est un voyage dans un petit monde, dans une atmosphère que l'on savoure chaleureusement pour quelques heures. Discret, le contenu ludique brille par sa cohérence. Les énigmes ont toutes une bonne raison de s'inscrire dans l'histoire, évitant l'écueil d'une large majorité des jeux du genre. De plus, Cing prouve encore l'intelligence avec laquelle ils conçoivent leurs jeux en fonction de leur support. Ceux qui ont joué à Mémoires doubles ou à Hotel Dusk se souviennent sans doute de solutions inédites liées aux spécificités de la DS. Sans trop en dévoiler, signalons juste que la télécommande Wii est ici utilisée comme jamais, malgré les habituels tracas liés à la reconnaissance de mouvements.
Les Plus
  • Le style graphique est sobre et élégant.
  • Les énigmes sont parfaitement intégrées à l'intrigue.
  • Une qualité d'écriture supérieure à la moyenne.
  • Les jeux émouvants sont trop rares pour laisser passer celui-ci.
Les Moins
  • Certaines séquences sans interactivité sont un peu trop longues.
Résultat

Depuis le succès phénoménal de la Wii, les discussions autour du jeu vidéo ont vu apparaître toutes sortes de notions. Certaines sont floues comme le jeu occasionnel et les stratèges de la communication ont introduit des concepts tout aussi fumeux que la Touch Generation. Sur les forums, les martyrs des causes perdues (gameplay total, hardcore gaming etc...) pleurent la fin des jeux, des vrais, des tatoués. Que peut espérer un titre comme Another Code dans un tel marasme ? Avec sa jeune héroïne aux formes humaines, ses heures de dialogues textuels et son absence total de perspective sordide sexuelle ou pyrotechnique... Le dernier né du studio Cing donne du grain à moudre aux joueurs blasés, persuadés d'être les seuls à même d'apprécier la profondeur du jeu. Ne les écoutez pas. Cohérent dans sa direction artistique, bien raconté et d'une logique implacable dans ses énigmes, Another Code R montre la voie à un genre moribond dont l'avenir ferait bien de s'inspirer. Celui d'Ashley s'annonce en tous les cas des plus radieux.

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